Le pèlerinage de Saint-Maurice aura eu le mérite de délier des langues
Opinion

@rib News, 14/06/2012

LE TEMPS DU SILENCE EST REVOLU

(Quand les « martyrs de Buta » parlent d’Outre-tombe)

Par Roger MACUMI

Procédure de pré-béatification ? Préludes à la canonisation des séminaristes de Buta ? A Saint-Maurice, dans le canton du Valais, en Suisse, comme au Burundi, les mots et les concepts exaspèrent, choquent et divisent. Espérons qu’ils ne tueront plus !

Si la sainteté n’a peut-être pas encore acquis la force de chose jugée, le pèlerinage aux « martyrs » burundais de Saint-Maurice aura au moins eu le mérite de délier des langues et de sortir du bois certains nostalgiques d’un passé encore présent, trouble et nauséabond.

Nous devons nous réjouir de ce que beaucoup de nos compatriotes commencent enfin à découvrir le sens de la justice, qu’ils la souhaitent impartiale et équitable (rejet du « deux poids, deux mesures » !). Il n’est jamais trop tard pour revenir à la raison !

Monsieur Emmanuel Bamenyekanye, n’en déplaise à ses détracteurs, ne tombe pas dans le sectarisme ethnique quand il dit ceci (à mon avis le cœur même de son message) : « La mémoire collective est quelque chose de fort qui risque de ressurgir tant que rien n’est fait pour écouter toutes les victimes, de tous les temps et mettre hors de nuire tous les bourreaux de tout acabit » (c’est l’auteur de cet article qui souligne).

Quand il dit « En ces périodes de réconciliation nationale approchant, le temps est venu de rapprocher les gens en commençant par honorer dans la dignité le précieux sang versé et la mémoire des personnes tuées en 1972 et de construire un monument en souvenir du génocide des hutus de 1972 », il ne fait rien d’autre qu’inviter les Barundi à aller à la racine du Crime incarné par l’Etat de Micombero et ses défenseurs !

L’Etat protège. L’Etat ne doit pas tuer ses citoyens. L’Etat ne doit, sous aucun prétexte, exterminer ses propres populations ! Reconnaitre le génocide hutu de 1972, c’est refuser le Crime d’Etat comme mode de règlement des conflits socio-politiques. Il ne faut pas être Hutu, Tutsi, Twa, croyant ou non croyant pour comprendre ces choses. Il faut tout simplement être humain. Et c’est peut-être cela qui est très difficile !

La reconnaissance du génocide hutu de 1972 et le châtiment des criminels présumés (au moins les « gros poissons » !) seront des actes libérateurs pour toute la population du Burundi. Nous aurons ainsi mis fin à la culpabilisation collective. Qui veut supporter pour longtemps encore des assertions comme « Les Tutsi nous ont exterminés » ; « Les Hutu nous ont exterminés » ; « Nous avons tous tué » ; « Nous avons tous perdu les nôtres », etc. ? Il y aura encore des plus téméraires parmi nous qui nous empêcheront de « ressasser » le passé !

Pourquoi cette absolution générale activement recherchée par certains ? A qui profite la « collectivisation » de la responsabilité criminelle individuelle ? Aux seuls responsables présumés et à leurs soutiens, mais pas aux victimes ! La justice ne sortira jamais grandie de cet équilibrisme diabolique.

« Martyrs » ou « victimes » ? Il me semble plus utile d’arrêter de radoter sur des martyrs réels ou imaginaires et de parler plutôt de victimes que la justice a le devoir de reconnaître et de réhabiliter ! Appartient-il à quelque misérable créature humaine de faire de son semblable un saint ?

A ceux qui se retrancheraient derrière le silence de la foi pour tenter d’étouffer dans la nuit la clameur des peuples meurtris et échapper ainsi au jugement de l’Histoire je dis : nous n’avons pas besoin de prières et de bénédictions urbi et orbi car nous ne sommes pas tous et toutes des catholiques romains ! Par contre, les décisions de justice, contrairement aux décrets religieux, seront absolument pourvues d’effet erga omnes.

Il est déjà très difficile de rendre une justice neutre et laïque, imaginez ce que serait le droit s’il était dit entre la croix et la bannière. Heureusement que nous avons aboli la peine de mort !

Je continue mon intervention sur cet ancien échange (toujours actuel !!!) avec Monsieur, Eugène Nindorera, ancien Ministre et fondateur de la Ligue des Droits de l’Homme Iteka, lequel ne saurait être accusé d’exclusivisme ethnique (E. Nindorera, Pas de réconciliation véritable sans justice, Réponses aux questions des internautes, Bujumbura, le 24 avril 2006, http://arib.info/Nindorera_24042006.htm).

« VI. Roger Macumi :

Monsieur Nindorera, vous me permettrez tout d’abord de vous féliciter pour votre courage et votre franchise dans l’analyse que vous faites de la situation burundaise et des pistes de réflexion que vous proposez. Toutefois, je serais heureux de connaître votre position sur le génocide hutu de 1972 au Burundi. Ce crime toujours nié (au mieux justifié !) est à l’origine de tant de frustrations transformées en violences meurtrières. Son impunité  ne peut qu’ouvrir la voie aux récidives, respectivement aux réactions de vengeances toujours meurtrières. Sans tomber dans l’« équilibrisme ethnique » et la fausse pudeur, reconnaissez-vous le génocide hutu de 1972 au Burundi ? Ne pensez-vous pas qu’aucune réconciliation n’est possible aussi longtemps que les Burundais (l’Etat) n’osent pas affronter ce problème ? Pensez-vous que la thèse du « génocide tutsi de 1993 » soit de nature à favoriser la réconciliation entre les Burundais ? Au Burundi, selon vous, quand les victimes du génocide de 1972 pourront-elles prendre la parole et s’approprier leur histoire ?

Merci de votre réponse.

Roger Macumi, Suisse.

Réponse :

Quand quelqu’un vous demande s’il y a eu un génocide hutu ou tutsi à un moment précis de l’histoire récente du Burundi, il veut souvent entendre un « oui » ou un « non » pour ensuite vous « étiqueter » en fonction de ses convictions personnelles. C’est pourquoi je tiens souvent à préciser un certain nombre de choses avant de répondre à ce genre de questions.

Le terme génocide a été galvaudé et chacun le définit ou le comprend à sa façon. Pire encore, on a l’impression que les crimes de sang qui ne sont pas des actes de génocide sont devenus acceptables ou tolérables.

Ceci dit, comment reconnaître s’il y a eu un génocide ou pas au Burundi. Personnellement, je considère qu’il faut se poser trois questions principales :

·         les personnes tuées (population civile) étaient-elles ciblées à cause uniquement de leur appartenance ethnique (personne n’a choisi de naître d’une ethnie X ou Y) alors qu’elles n’avaient rien fait ?

·         les auteurs de ces crimes avaient-ils l’intention de détruire, en tout ou en partie, ce groupe ethnique ?

·         ces crimes ont-ils été préparés et organisés ?

Au Burundi comme ailleurs, la réponse à la première question est relativement facile. Si la réponse est positive, nous sommes déjà en présence d’un crime contre l’humanité qui devrait provoquer une désapprobation spontanée et générale de tous les Burundais ayant un minimum d’humanité. Le jour où on atteindra ce stade, ce sera déjà un pas de géant dans l’édification d’une société respectueuse des droits de l’homme.

Dans la hiérarchie des crimes les plus graves et des crimes contre l’humanité, le génocide se trouve au sommet. Pour établir un génocide, il faut aussi une réponse affirmative aux deux autres questions. Comment déceler ou prouver une intention ? Comment démontrer, preuves à l’appui, que ces crimes ne sont pas le fruit du hasard et qu’ils résultent d’un plan orchestré quelque part ? Les éléments de réponse à ces questions ne sont pas aussi évidents et, d’une personne à une autre ou d’un juge à un autre, les exigences peuvent varier. Il est peut-être utile de préciser que le génocide ne dépend pas du nombre de victimes (les Nations Unies ont déclaré qu’il y a eu un acte de génocide à Sabra et Chatila en 1982 alors que le nombre de victimes était estimé à quelques centaines. Il n’y a pas eu de génocide des russes alors que le nombre de russes tués pendant la seconde guerre mondiale était de loin supérieur au nombre de juifs tués) et qu’il ne doit pas forcément être commis par l’appareil d’Etat.

Après cette introduction théorique qui peut déjà être sujet à controverses, je voudrais répondre directement à vos questions. Pour le génocide hutu de 1972, ma réponse étant « oui » aux trois questions, ma conclusion globale est affirmative même si je ne suis pas en mesure d’apporter des preuves irréfutables de la préparation de ce plan criminel. J’ai l’intime conviction que les faits survenus et relatés sur une grande partie du territoire n’étaient pas le fruit du hasard ou de simples coïncidences.

Ensuite, je pense aussi qu’il n’y aura pas de réconciliation véritable sans un minimum de justice, de vérité, de réparation et de pardon sur la tragédie de 1972 et des autres années sanglantes. Beaucoup de gens ont déjà relevé et déploré à quel point la seule date du 29 avril divise encore les Burundais. Le 29 avril 1972 est commémoré différemment par les Burundais, qu’ils soient au Burundi ou à l’étranger. Certains veulent seulement se souvenir de  l’assassinat du dernier roi du Burundi (Ntare V), du génocide hutu ou du génocide tutsi en ignorant les souffrances endurées par les membres d’un autre groupe ethnique. Cette triple commémoration est un signe manifeste que le chemin vers la réconciliation est encore long. Il est plus que temps que les victimes et les autres acteurs des événements de 1972 prennent la parole, s’approprient leur histoire et la rendent moins conflictuelle et moins passionnée. C’est d’abord une question de bonne volonté et de bonne foi des Burundais. Les étrangers, notamment à travers la CVR, ne peuvent que nous donner un coup de main, mais si nous restons enfermés dans nos ghettos ethniques et que nous continuons à nous inscrire dans la logique de « solidarité négative », leur aide risque de s’avérer peu fructueuse.

Quant à la thèse du « génocide tutsi de 1993 »,  il faut seulement se demander sincèrement si elle est fondée ou pas.  Si cela est confirmé en recherchant la vérité et la justice, ce serait une avancée vers la réconciliation des Burundais.

Enfin, vous partagez mon point de vue lorsque vous écrivez que le génocide hutu de 1972 est à « l’origine de tant de frustrations transformées en violences meurtrières ». J’ai d’ailleurs constaté que beaucoup de colonels du CNDD-FDD que j’ai côtoyé dans un séminaire en 2004 étaient nés autour de 1972 ……

En marge de ma réponse à votre question, je voudrais saisir cette opportunité pour soutenir votre point de vue sur la nécessité d’abolir la peine de mort et inviter les lecteurs à lire votre réflexion sur le même site ».

Il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir ! Il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre !

Roger MACUMI