Drame de Buta : Grossier mensonge et visées négationnistes ?
Opinion

@rib News, 21/07/2012

Le carnage des séminaristes de Buta

Laissons s’accomplir le dessein de Dieu.

 Par Salvator Sunzu, journaliste

Le drame de Buta a longtemps fait objet de plusieurs écrits relevant tantôt d’un véritable et légitime courroux et de révolte face à un carnage inacceptable, tantôt d’un sentiment de désolation et de soutien aux familles, tantôt d’un alarmisme outrancier en passant par une sorte de dramaturge artistique, de la spéculation voire même de la désinformation-manipulation, alors que d’autres ont des visées et objectifs purement politiques ou d’un rocambolesque cynisme. Très ancien du séminaire de Buta, et très touché par cette horreur, je me suis senti interpellé avec pour motif de remettre le drame dans son contexte, et dissuader ceux qui tentent de profiter d’une catastrophe pour une entreprise hautement et honteusement politicienne. Les réseaux aux apparences sibyllines qui sont tissés, et dont les tentacules atteignent même Vatican, cherchent manifestement à imposer une vision unilatérale et unique de l’histoire et des faits.

Contexte d’abord. A l’époque du drame, le Burundi était plongé dans une guerre civile provoquée par des militaires. L’armée burundaise a plongé le pays dans l’horreur. C’est le fait important, le reste ne fut que conséquence. Les conséquences de ce "coup imbécile" sont entre autre les horreurs de Buta qui par ailleurs se sont déroulées sur les milles et une colline burundaises par tous les acteurs de l’horreur de l’époque. Les rebelles furent en réalité une création de l’armée, ce fut son pur produit. Ce n’est pas seulement Buta qui a souffert, tout le pays était à feu et à sang pratiquement. Du fait que les victimes étaient cette fois des séminaristes, dans ce pays très "catholisé", les enchères ont été sans limites. Elles atteignent Vatican et placent déjà les victimes à la droite du Père. Ce serait très bien qu’ils y soient, mais ce serait dangereux qu’ils y soient y poussés. Et c’est malheureusement ce qui semble être le cas.

Déroulement des faits ensuite. Pourquoi Buta a été la cible en cette nuit du 30 avril ? On ne peut travailler que sur des hypothèses. 1. L’existence d’une position militaire. Ce qui est fort plausible. C’est plutôt le contraire qui étonnerait. Plusieurs endroits civils, y compris les sites des déplacés et les écoles avaient une protection militaire. Et pourquoi pas Buta ? 2. Action de vengeance. Certains de ceux qui ont écrit affirment que parmi les assaillant figuraient des anciens de ce séminaires qui avaient déserté le séminaire, chassés du séminaire par leur collègues tutsis de cette école. La vengeance n’est pas catholique. Elle est religieusement condamnable, mais reste humainement compréhensible, même si judiciairement elle est répréhensible surtout face à une disproportion action-réaction de cette nature. 3. Un désir irrésistible de tuer qui se nourrirait de l’idéologie du génocide. C’est la thèse chère à d’irréductibles racistes qui voudraient faire accréditer la thèse selon laquelle l’objectif et la mission des rebelles, majoritairement Hutu n’étaient réduits qu’à tuer. Ils voudraient que CNDD rime avec Hutu génocidaire, et surtout que cette vision s’incruste définitivement dans le subconscient de tout un peuple, si pas tout l’univers. Ceci relève du pur racisme. Réduire la rébellion CNDD en des machines à tuer, c’est oublier et faire fi de la légitimité de cette rébellion et du grand espoir que les Burundais plaçaient en son combat. La mission de la rébellion n’était donc pas du tuer, elle était de se battre, et rien n’indique que à un moment donné, elle y ait renoncé pour s’adonner à des tueries aveugles. Mais malheureusement aucune guerre n’est propre. S’en tenir aux exactions et crimes faits par la rébellion en faisant fi des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité faits par celle que l’on appelait à l’époque "Forces armées burundaises" est faire preuve d’un déconcertant parti pris.

Certains des témoins, dont un certain Daniel Hakizimana dans son article "Martyrs de la fraternité, ce trente des tirs au dortoir restera gravé dans nos mémoires", ou encore Par Philibert Nininahazwe dans "Les mobiles et les commanditaires du massacre des séminaristes de Buta" affirment même que les combats ont duré quatre heures. Surprenant tout de même est le bilan d’une trentaine de tués par une quarantaine d’assaillants armés de fusils d’assaut qui, dans une certaine matinée, attaquent des séminaristes non armés, encore au lit et ce pendant quatre heures et sans résistance aucune ! Sans être nécessairement militaires, d’aucuns peuvent se poser des questions sur  un tel déroulement des faits. Mieux encore, ces assaillants auraient eu le loisir de revenir à trois reprises pour s’assurer que personne des victimes ne restait. Outre qu’il est permis de se demander où étaient passées l’armée et la police burundaises pendant des jours d’attaques répétées, tout militaire avisé peut confirmer que, si les choses se sont passées de cette manière, avec un tel bilan, c’est qu’une confrontation a eu lieu. A lui seul, le boucher norvégien, Anders Breijvik, équipé d’un simple fusil a tué 77 personnes en un clin d’œil. Là on peut affirmer que les victimes étaient des civils non armés. Séminaristes armés ! Ceci ne serait guerre surprenant dans le contexte de l’époque où beaucoup de civils étaient armés. Ils étaient burundais avant d’être séminaristes. Position militaire ? Le contraire serait inadmissible. Et dans les deux derniers cas, les rebelles étaient confrontés à des hommes armés, ce qui est normal dans un contexte de guerre, civile surtout où plusieurs civils ont été officieusement armées. Et pour saler tout cela, ces témoins affirment que les assaillants étaient des interahamwe et des Ex-far rwandais. Avec cela, le jeu est joué. L’on fait du génocide rwandais un fond de commerce politico-idéologique au Burundi car dans la tête de ceux qui veulent imposer leur lecture des faits, il faut impliquer ces criminels pour que soit accréditée la thèse d’un imaginaire génocide. Mais leur problème est qu’ils ne sont jamais parvenus à faire le lien entre les rebelles du CNDD et les interahamwe. Même Kagame du Rwanda n’a jamais trouvé ce lien. Il l’aurait plutôt nié. Sinon il n’aurait pas attendu pour réagir et ... Agir. Et il en avait les moyens. On connaît certaines de ces mensonges taillés sur mesure. C’est connu au Burundi, c’est connu dans la sous-région où une exploitation outrancière du génocide rwandais fait légion. Et à y regarder de plus près, Il s’agit d’un affront aux véritables victimes, affront qui se doit d’être laver avec la participation de tous.

Grossier mensonge et visées négationnistes ? Ceux qui se déclarent être des "témoins" de l’horreur affirment que les jeunes séminaristes sont restés solidaires et ont préféré mourir ensemble, main dans la main. C’est une version. L’autre version dit exactement l’inverse : constatant que les rebelles en voulaient aux tutsis, dont certains parmi eux avaient été à l’origine de leur fuite de l’établissement, les séminaristes tutsis très ethniquement majoritaire, ont voulu faire des jeunes séminaristes hutus (ou ce qu’il en restait puisque les autres étaient contraint à regagner la rébellion) des chaires à canon. Ils les auraient plutôt forcés à se tenir devant eux, tout en feignant un geste de solidarité matérialisé par le "main dans la main" trompeur. Voilà le témoignage tenu par cet autre qui se réclame être un témoin oculaire. Des deux versions, qui dit la vérité ? Difficile de le dire. Mais la vérité est chez Dieu, seul témoin impartial de nos hérésies. Ce qui est sûr par contre, c’est que Buta ne fut pas un ilot de paix dans un pays ethniquement divisé. Le séminaire n’a toujours pas été un institut où Hutus et Tutsis se côtoyaient sans heurts. J’en sais quelque chose pour l’avoir fréquenté.

Manipulation des dates ? "Certainement", serait-on tenté de dire. La date du 30 avril est tombée comme une aubaine pour les négationnistes du génocide burundais de 1972. Je n’ose pas penser que la date n’est pas le fruit d’un hasard. Mais l’exploitation qu’on en fait n’est pas hasardeuse, loin s’en faut. Les graves incidents de Buta sont tombés à une date symbolique. Les séminaristes ont été tués le 30 avril 1997. La date fatidique du 29 avril 1972, marqua le début d’un génocide de Hutu qui a emporté des centaines de milliers de personnes dans une quasi indifférence de la communauté internationale. Aujourd’hui, les orphelins de cette tragédie tentent toujours de se relever de cette horreur qui les a frappées et profondément affectés tant physiquement, moralement, intellectuellement, qu’économiquement. Par ces handicaps hérités de cette tragédie, ils ne sont pas encore parvenus à faire accréditer cette réalité du génocide au niveau des Nations Unies. La main qui a laissé tant de blessures est toujours présente et fait tout pour que personnes des victimes ou de leur progéniture ne se rappelle du 29 avril 1972. C’est pour cela que cette même main a saisi le drame des séminaristes comme symbole avec pour objectif ultime d’effacer des mémoires la date du 29 avril. C’est du négationnisme pur jus. Il s’agit d’une escroquerie, politiquement motivée. C’est ainsi qu’aux dates du 29 et du 30 avril, la plupart des radios et télévisions qui se déclarent indépendantes et privées, y compris la Radio Télévision Nationale du Burundi, n’ont relayé que l’anniversaire de Buta tout en gardant un silence radio sur la date du 29 avril ou en le traitant superficiellement, sommairement ou tout simplement en désinformant. 

Il faut savoir sagesse garder. Que les séminaristes soient au ciel, cela ferait du bonheur à nous tous. Mais il est interdit d’imposer des vérités dont on ne peut assurer la certitude. Ce qui s’est  passé à Buta n’a rien de différent de ce qui est arrivé à Nyamugari, Gahombo, Kigazi, Butezi, Higiro, Kivyuka, Buhoro, Bugendana, Gatumba, et partout ailleurs. Même des gestes de solidarité dans la mort ont été vécus sur toute l’étendue territoriale, sinon il n’y aurait plus âme qui vive dans ce pays de Mwezi Gisabo. Dans un contexte de guerre civile comme celui là, des innocents meurent. Des civiles sont canardés. Des prêtres, des évêques, des bandits, des maçons, des intellectuels, des paysans, des animaux sauvages et domestiques, et même des... séminaristes. Et une fois miraculeusement rescapé de cette hécatombe, ce n’est pas très catholique, d’aller pécher dans cette mer de sang, de piétiner  tous les autres cadavres à la recherche de celui que l’on prétend être du "sien". Surtout dans un but de faire ignorer les autres. . Personne n’est Dieu, et donc n’a aucune assurance que "ces jeunes martyrs" qui font le choux gras d’une certaine presse sont réellement au ciel. La lecture différente des faits invite en tout cas à une grande prudence de la part de ceux qui remuent ciel et terre pour la canonisation des morts de Buta. Même le Vatican, apparemment très sollicité doit prendre avec pincettes certaines des écrits sur le drame. La presque totalité des Burundais ont eu des morts à pleurer, dans des circonstances parfois plus effroyables. Mais ils doivent toujours raison garder. Comme Malherbe le stoïcien écrivant à Duperiez qui venait de perdre une fille dans la jeunesse de l’âge, disons-nous : "Le malheur de - nos frères- au tombeau descendu, est-ce quelques dédales où notre raison perdue ne se retrouve pas ?… Ils étaient du monde (burundais) où les plus belles choses ont eu le pire destin" et dans la pire des situations".

Mais il est à craindre que ceux qui pleurent le plus ne versent que des larmes de crocodiles, question de faire pérenniser artificiellement la douleur de véritables victimes avec pour objectif d’enraciner et d’entretenir la haine. Ceux-là, il faut leur barrer la route. Il faut les marginaliser pour que les jeunes générations aient espoir en une vie normalisée, dénuée des peurs de l’autre et du lendemain. L’avenir du pays et des générations futures en dépend. Mais supposons que la première version, celle de la solidarité devant la mort, soit vraie. Dans ce cas, Dieu est entrain d’accomplir un dessein qui n’est connu que de lui seul. Laissons-le alors l’accomplir. La voie menant à la canonisation est généralement longue. Point n’est besoin de semer de supplémentaires embuches. Ce serait retarder, si pas bloquer définitivement le plan divin.