Un bloggeur sous la menace d’agents de renseignements burundais
Opinion

@rib News, 19/08/2012

Qui a peur des idées d’un étudiant burundais en Russie ?

 Par Jean-Marie Ntahimpera

Avant-hier, je partageais sur le blog collectif zeraction.com dont je suis le rédacteur en chef un poème de Inès Kidasharira intitulé « Aux hommes forts ». J’ai décidé de partager ce poème avec la permission de son auteur parce qu’Ines m’a signifié qu’elle avait en peu pensé à moi en l’écrivant. Non pas que je sois un homme fort (je ne sais pas ce que ca signifie). Une façon, sans doute de me remonter le moral, de me rappeler qu’ « Être humain est un éternel combat ! ».

Parce que je lui avais fait par de mes inquiétudes, de mes frustrations. Je me pose trop de questions, sans toutefois trouver des réponses. Je n’arrive presque plus à écrire. Je me sens déboussolé. Parce que des agents de renseignements burundais opérant en Afrique du Nord et en Europe jurent de me rendre la vie dure si je n’arrête pas à écrire sur la politique burundaise, à dénoncer les abus du pouvoir de Bujumbura.

On passe sur mes anciens amis d’école pour me recommander de fermer ma gueule. Me dire que si je n’obéis pas je le payerai cher quand je rentrerai au pays, à moins de retourner avec une armée internationale pour me protéger. On me déconseille d’emboiter le pas de la société civile burundaise qui ne cesse de dénoncer les abus de pouvoir parce qu’eux ils ont une réputation qui leur confère une certaine immunité internationale, alors que moi personne ne me connais, que personne ne se souviendrait de moi s’il m’arrivait un « accident ».

Et ca dure depuis que je me suis improvisé blogueur a mes heures perdues afin de gérer  la solitude de l’étudiant solitaire que je suis dans un pays lointain qui se construit sur les ruines de ce que fut, naguère, l’Union Soviétique ; donc depuis fin 2010 quand j’ai créé le blog « Le Journal du Muntu ».

Ce sont des menaces à peine voilées. Il n’y a pas de quoi en faire une affaire du siècle, sachant que des milliers d’hommes et des femmes plus ou moins importants que moi, a l’intérieur ou a l’extérieur de mon  pays, subissent à longueur de journée ce genre de menaces, soit pour leurs convictions politiques, soit pour leur combat pour la justice et la liberté. Il y en a même qui en meurent. Et beaucoup. Mon dieu! Ca fait peur. Ca fait bien sur peur, surtout et surtout que nous savons que des gens innocents sont assassinés ici et la! Mais des fois je me dis "de quoi ont-ils peurs?" Pourquoi doivent-ils utiliser ce genre d'intimidation? Ils ont un président populaire, ils contrôlent tous les leviers du pouvoir ... pourquoi ont-ils peur des idées d’un étudiant burundais en Russie?

Quand on décide de se battre pour la justice, pour la liberté ou pour toute autre cause, même pacifiquement, on sait que ce genre de pressions et de menaces finissent par peser sur nous un jour. On prend le risque d’avancer avec, de continuer le combat, ou bien on se laisse anéantir. 

De toute cette histoire, j’ai appris qu’il ne faut jamais céder à ceux qui veulent vous détruire en vous empêchant de faire ce que vous faites le mieux et qui donne sens à votre vie. Quand on cède à ceux qui veulent vous détruire, on est déjà un homme mort. Notre petite vie est courte, il faut la vivre pleinement, s’assurer que notre vie n’est pas un accident, qu’on vit pour quelque chose et que la caravane passe toujours. Comme l’a sagement dit Winston Churchill : "Vous n'arriverez jamais au bout de votre voyage si vous vous arrêtez pour jeter une pierre à chaque chien qui aboie".

Pour mon honneur, je me suis engagé de ne plus m'arrêter pour jeter des pierres aux chiens qui aboient. Mais le risque est grand, étant donné que les chiens peuvent être enragés. Qui ne risque rien n’a rien.

Je m’excuse de devoir recourir à l’image du chien pour pouvoir exprimer ce que je ressens. La courtoisie a toujours été une valeur maitresse pour moi, et je ne voulais pas la perdre.

Je ne me fais pas tellement de souci pour ma petite personne, étant donné que ce que j’écris n’a pas d’originalité propre, ca ne relève que du bon sens. Toute personne douée de raison peut le dire, ou l’écrire. Je dirai et j’écrirai toujours ce que je pense valoir la peine d’être dit. Il y va sans dire que je m’autocensure pas mal. J’essaie de rester courtois dans mes écrits, de ne pas tomber dans l’insulte et la calomnie comme pas mal de gens s’en donnent a cœur joie. L’un des principes moraux qu’on m’a enseigné au séminaire de Buta et auquel je reste fidele est de tourner la langue dans sa bouche sept fois avant de l’ouvrir, histoire de s’assurer que ce qu’on veut dire vaut la peine d’être dit. 

Nombreux sont ceux qui pensent que je suis en danger à cause de mes écrits. Il y a deux semaines, je postais ce petit texte sur facebook, où je m’indignais de ce qui se passait dans le pays : « Il se passe des choses terribles dans mon pays. Quand les gens parlent à la radio, et que ce qu'ils disent déplait à certains jeunes hommes intouchables investis de je ne sais quelle mission, on trouve les premiers battus, morts, ou alors ils sont portés disparus quand ils ne parviennent pas à s'enfuir à temps. Où est la justice? Où sont les forces de sécurité? Je crois savoir que la mission principale de ces forces du gouvernement est de protéger les citoyens et d'empêcher qui que ce soit de nuire ».

Voila la réaction que j’ai reçu : « Quand tu vas rentrer au Burundi il te faudra au moins un bataillon pour faire de telles commentaires! Dans le cas contraire tu vas suivre les autres! »  Quand j’ai voulu savoir ce que mon interlocuteur entendait par « suivre les autres », un ami qui avait vite compris m’expliqua : « Je pense qu'il a voulu dire: Mpimba (la prison), mpanda (le cimetière) ou l'exil. Mais si tout le monde devait se taire, je pense que la majorité des burundais irait également aux mêmes endroits». La mort, la prison, ou l’exil, voila le sort qui m’attendrait dans mon pays.

Les intimidations, les menaces, poussent les gens à se sentir étrangers dans leur propre pays. Beaucoup de ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir à Bujumbura ont eu à subir les mêmes menaces, les mêmes intimidations, l’exil, les assassinats de proches au cours des différentes dictatures des anciens régimes, et j’imagine que ca ne les a pas plu du tout. Ce qui m’inquiète, c’est qu’ils ont tendance à perpétuer, à reproduire les pratiques barbares des régimes qu’ils ont combattu. Ils promettent au peuple le changement, mais font à peu près la même chose que les régimes militaires qui n’avaient pas de légitimité populaire et ne tenaient à rendre des comptes qu’à soi-même.

Les intimidations dont je fais l’objet ne visent pas ma petite personne. Elles entrent dans une large tendance qui vise à museler les « grandes gueules » au Burundi. Elles sont liées à ces militants des partis d’opposition qu’on trouve assassinés dans différents coins du pays ; à  l’assassinat de ce militant anti-corruption Ernest Manirumva  qu’on trouva gisant à son domicile, et dont les assassins restent impunis ; à l’emprisonnement de ce journaliste Hassan Ruvakuki, dont le crime fut de donner la parole à un groupe rebelle ; à la condamnation à de lourdes amendes de cet autre militant anti-corruption Faustin Ndikumana, qui eut le culot de dénoncer la corruption qui sévit dans un ministère ; à ces medias qu’on menace de fermer avec le nouveau projet de loi sur la presse au nom de «l’ordre public». Autrement dit, c’est la liberté d’expression qui est menacée. C’est la démocratie en soi qui fait des grands pas en arrière.  

J’envoie alors balader ceux qui veulent me faire taire. J’ai des principes à défendre, et je suis prêt à les défendre jusqu'à la fin de ma vie. Le premier principe, c’est le respect de l’Homme, de l’être humain, de sa dignité. Je suis de ceux qui croient que la vie humaine est sacrée et que personne n’a droit de l’ôter à son semblable, sous aucun prétexte.  Le deuxième, plus politique, est inspiré du Discours de Suède d’Albert Camus : « « L’écrivain ne peut se mettre au service deux qui font l’histoire, il est au service de ceux qui la subissent». Je ne me considère pas comme un écrivain, mais je me considère comme un intellectuel en herbe qui lit, pense, et écrit parfois. Ce commandement de Camus est valable pour tous ceux qui exercent un travail intellectuel, et il m’interpelle beaucoup.

En attendant de terminer mes études et de rentrer dans mon pays l’année prochaine en bonne santé et sans armée, je remercie tous eu qui ne cessent de me soutenir et de m’encourager. Sans oublier tous ceux qui se font du souci pour moi, pour ma santé, ma sécurité. Je sais que je ne suis pas seul, je partage le destin, la souffrance, les rêves et les joies  du peuple qui m’a vu naitre.

Jean-Marie Ntahimpera