Burundi : l'impatience des donateurs face aux exécutions extrajudiciaires
Droits de l'Homme

@rib News, 02/10/2012 – Source AFP

Des membres de l'opposition ont été abattus par dizaines au Burundi depuis deux ans selon l'ONU, mais le pouvoir nie de telles exécutions extrajudiciaires, suscitant l'impatience grandissante des donateurs internationaux.

Le Conseil de sécurité de l'ONU a dénoncé une dizaine de cas d'exécutions extrajudiciaires pour les derniers mois de 2010 et 61 cas en 2011 au Burundi, alors que l'organisation américaine Human Right Watch dénombrait des centaines de cas pour la même période.

La plupart des victimes sont des militants ou d'anciens combattants des ex-rebelles hutu des Forces nationales de libération, tués par des membres de la police, de l'armée, des services secrets burundais ou de la Ligue des jeunes du Cndd-FDD, le parti au pouvoir issu également de la majorité hutu, selon ces rapports.

« Ces gens sont arrêtés puis on les met dans des cachots de police avant d'être amenés dans des forêts où ils sont torturés ». « Certains ont été retrouvés démembrés, d'autres décapités et leurs corps jetés dans des fourrés, des rivières ou des latrines », décrit Pierre Claver Mbonimpa, le président d'une ONG locale de lutte pour les droits de l'Homme, l'APRODEH, à l'origine de nombreuses dénonciations de ces cas.

« Ce sont des actes d'une barbarie sans nom, et qui sont commis par des agents de l'Etat », dénonce ce lauréat du prix des droits de l'Homme Henri-Dunant 2011, dans un entretien récent.

Le secrétaire général et porte-parole du gouvernement burundais, Philippe Nzobonariba a dénoncé de « fausses accusations » qu'il met sur le compte « des ennemis du Burundi », qui cherchent « à déstabiliser ce pays, mais qui ont été mis hors d'état de nuire depuis 2011 ».

Les violences se sont multipliées au Burundi depuis les dernières élections générales, en juin et juillet 2010, boycottées par l'opposition et remportées par le parti du président Pierre Nkurunziza.

La multiplication des attaques meurtrières et autres exécutions sommaires a fait craindre une reprise des hostilités à plus grande échelle dans ce pays marqué par une guerre civile qui a fait près de 300.000 morts entre 1993 et 2006.

« La vérité est que le pouvoir et ses forces de sécurité ont dû faire face depuis la contestation des élections de 2010 à des groupes armés téléguidés par l'opposition, qui ont tout tenté pour ramener ce pays dans la violence », affirme un haut gradé de l'armée burundaise, sous couvert d'anonymat, faisant référence à la guerre civile.

« Nous avons dû mener une guerre secrète mais une guerre sans merci, où tous les coups étaient permis, (...), et on a gagné », dit-il.

Le 22 août, le procureur général de la République du Burundi, Valentin Bagorikunda, a annoncé qu'une commission créée un mois plus tôt sur le sujet « n'avait pu constater aucun cas d'exécution extrajudiciaire, au regard de la définition internationalement reconnue de ce crime ».

M. Bagorikunda a néanmoins concédé la découverte de quelques cas « d'homicides, de meurtres ou de tortures », et annoncé l'arrestation de huit suspects, dont deux officiers de police.

Pression internationale

« L'arrestation de ces personnes et notamment du commissaire adjoint de la police de la province de Gitega (centre) nous avait donné pendant un moment, un très petit moment, l'espoir que "l'impunité c'est fini au Burundi" », analyse Pacifique Nininahazwe, l'un des principaux leaders de la société civile.

« Mais ce n'était finalement qu'un écran de fumée destiné à calmer les bailleurs de fonds qui commencent à s'impatienter devant la multiplication des cas de violation des droits de l'homme », estime-t-il.

La position officielle burundaise irrite de plus en plus une communauté internationale, dont l'aide alimente environ la moitié du budget national, d'un total équivalent cette année à 625 millions d'euros.

« On ne s'attendait pas à de grandes révélations, mais là c'est trop », a réagi un diplomate occidental sous couvert d'anonymat après la déclaration du procureur général.

L'ambassadeur de l'Union européenne au Burundi Stéphane de Loecker a écarté les conclusions de la commission d'enquête, ajoutant que ce qui importe, « ce sont les cas documentés par le Bureau des Nations unies au Burundi ».

« Nous avons donc demandé (...) ce qu'il en était exactement des 61 cas d'exécutions extrajudiciaires documentés en 2011 et des 16 cas documentés pour le premier trimestre 2012, et qu'on nous dise exactement combien d'enquêtes ont été menées et combien ont abouti et à quoi », a souligné devant la presse M. de Loecker, après une rencontre mi-septembre avec le gouvernement burundais.

L'ambassadeur européen, qui exige que « les enquêtes aboutissent », attend toujours une réponse des autorités.

Le pouvoir burundais « est désormais est sur la sellette. Il ne peut plus continuer à ignorer les mises en garde de la communauté internationale, d'autant que les exécutions extrajudiciaires se sont poursuivies malgré de nombreux avertissements », juge un haut fonctionnaire onusien, sous couvert d'anonymat.