Pénurie d'essence au Burundi : la grogne sociale couve !
Opinion

@rib News, 14/10/2012

Bujumbura : quand devant une pénurie d’essence l’autorité de l’Etat fout le camp !

Par Muhakwanke Balthazar

Il y a des moments où la nation aux abois attend que le Chef de l’Etat sorte du silence promptement et partant, tire son épingle du jeu. Comme en ces jours où la pénurie d’essence sème un désespoir démesuré. Avec des stations quasiment en cessation d’activités, peu de bus de transport en commun aident les Burundais à se rendre au travail. A la fin de la journée, on se précipite au marché central dans l’espoir d’user de ses biceps pour arracher une place dans quelque bus vétuste. Des scènes d’une autre époque où les passagers passent par la fenêtre ou bagarrent à l’entrée du bus choquent. Dans ces chamailleries, bien des passagers se font voler porte-monnaie, montres ou téléphone. Voilà plus de deux semaines que le calvaire perdure. Le Gouvernement a beau multiplier les déclarations rassurantes, personne n’est dupe : les pétroliers souhaitent l’augmentation du prix et ils l’obtiendront. A quoi bon éprouver longtemps les nerfs des pauvres hères ?

La dépréciation de la monnaie burundaise pointée du doigt

Il suffit d’analyser la structure actuelle des prix des carburants pour comprendre que les pétroliers en ont vraiment ras-le-bol. Dans la structure en vigueur, le dollar américain est converti à hauteur de 1470 francs. Or, depuis bien des mois, le dollar a franchi la barre de 1500 francs. De nos jours, le dollar s’achète dans les bureaux de change à plus de 1520. Quand on sait que les importateurs achètent une partie des devises dans les banques et l’autre dans les bureaux de change, on comprend le désarroi des pétroliers. Les nouvelles en provenance du Rwanda où le gouvernement vient d’augmenter de 100 francs (soit plus de 200 francs burundais) le prix de l’essence ne sont pas de nature à calmer le jeu. Que le Burundi préfère les manœuvres dilatoires, cette stratégie n’est pas payante. Même si le Gouvernement disait étudier les modalités d’abandonner impôts ou taxes, le temps serait loin d’être son meilleur allié quoique ce week-end plus de stations rationnaient le carburant en limitant souvent à 10 litres !

Du côté des automobilistes, on devient réaliste. Etant donné que le marché noir existe, on fait contre mauvaise fortune bon cœur en s’approvisionnant à Buyenzi, Kinama ou à Gatumba. Un litre d’essence s’achète facilement plus de 3500 francs à Buyenzi au lieu de 2080 francs à la pompe. Et cette essence ne vient pas de la contrebande mais bel et bien des pétroliers véreux qui mettent la clé sous le paillasson et nuitamment, remplissent des bidons pour leurs démarcheurs ! Du côté de la frontière avec la RDC, les Congolais se frottent les mains. Il en est de même d’ailleurs d’autres voisins du Burundi du côté de la Tanzanie. Ce carburant de la débrouillardise n’est pas exempt de danger pour les familles voire les moteurs des véhicules.

L’autorité de l’Etat a foutu le camp

Alors que le Directeur Général du Commerce affirme que le Burundi dispose du carburant suffisant pour endiguer le phénomène de longues files devant quelques stations qui, de temps en temps, distribuent l’essence, les consommateurs s’indignent plutôt. Mais les traumatismes de la guerre ont rendu les Burundais dociles ou mieux stoïques. Sous d’autres cieux, le soulèvement aurait déjà eu lieu ! Et pour cause.

Il arrive qu’un pétrolier s’approvisionne auprès de la société mixte chargée de l’entreposage des produits pétroliers (SEP). Un camion citerne de cinq ou dix mille litres. Les pompistes ouvrent le robinet. Pendant une ou deux heures, on sert les clients. Et soudain, les pompistes disent que l’essence vient de tarir. Il faut déguerpir. La mort dans l’âme, les clients rentrent bredouille. Mais revenez une heure plus tard. Grande sera votre colère de voir les mêmes pompistes servir quelques clients amis du patron. Pire, les bidons de vingt litres se remplissent et disparaissent aussi vite que la neige devant le soleil ! Il arrive d’ailleurs que certains propriétaires de stations d’essence refusent carrément de servir les clients alors que l’essence s’entasse dans leur entrepôt ! Personne ne les inquiète comme j’ai eu à le constater auprès de la station Engen ne loin du siège de la Radio Publique Africaine. Allez comprendre qui est pétrolier au Burundi ! Un affairisme d’Etat ?

Le jeudi 11 octobre à 16 heures. Je suis parmi les clients qui attendent l’essence à la station Top One près du rond point Ngagara. Parmi les véhicules qui font la queue, il y a ceux formant le cortège du Deuxième Vice-Président de la République et du Président de l’Assemblée Nationale. Les chauffeurs ont garé les véhicules en bonne place. A tout seigneur, tout honneur ! C’est normal qu’ils soient servis les premiers. Et pourtant, quand j’échange avec quelques chauffeurs, je tombe des nues ! Même les véhicules du Deuxième Vice-Président de la République n’ont pas été autorisés à faire le plein. Ils ont eu droit à un rationnement, dit-on ! Il en est de même pour les jeeps du Président de l’Assemblée Nationale. Ce qui me fait croire que l’autorité de l’Etat a foutu le camp, c’est quand on m’explique que certains véhicules des illustres personnalités ne sont pas servis. Les pompistes clament, la main sur le cœur, que l’essence est épuisée. Le tort est du reste à rejeter au Gouvernement qui a lamentablement échoué à constituer son stock stratégique. Et où est donc passé l’argent prélevé sans discontinuer sur le prix de chaque litre d’essence, de gasoil ou de pétrole vendue ?

Je ne quitte pas les lieux. Et quelques minutes après le départ des gens de la Deuxième Vice-présidence, le moteur d’une station entre en marche. On sert un client, et un autre, puis un troisième. Le moteur s’arrête. Sachez que j’ai tenu à noter le nombre de litres d’essence servies : 140 litres! Je quitte alors la partie du bâtiment où on sert de l’essence pour l’autre où on sert du gasoil. Les clients ne tarissent pas d’éloges envers le propriétaire de la station. « Ce monsieur est un honnête homme. Il a donné des instructions claires et les pompistes s’exécutent. Pour le gasoil, tout le monde est servi ! Constatez par vous-même qu’il n’y a aucune discrimination ! »  A peine mon interlocuteur venait-il de lâcher le dernier mot que le cri d’une dame attire mon attention. Elle a un bon et veut être servie. Hélas, les pompistes exigent qu’elle fasse valider le bon auprès de l’administration de la société ! Hélas, le bureau de l’administration de ladite station est fermé à deux tours. On frappe à la porte et personne ne se hasarde à ouvrir ! De quoi a-t-on peur ? Un quart d’heure plus tard, la porte s’ouvre. La dame présente le bon. Il est validé et elle peut retrouver le sourire ! Les produits pétroliers provoquent des déboires et des miracles !

Une solution rapide s’impose

Les Burundais ont beau être stoïques, nous ne vivons pas sur une île. Cette pénurie qui perdure éclabousse le régime. D’aucuns n’hésitent pas à vouer aux gémonies le régime en faisant remarquer que même du temps de l’embargo, ce genre de situations ne se produisaient pas. En 1996, Pierre BUYOYA savait négocier des passages officiels et clandestins ! C’est dans la tempête que le capitaine d’un navire se distingue. Le régime d’anciens rebelles table-t-il sur une bombe à retardement héritée d’anciens systèmes. Même avec ce genre de conjectures ? Impossible à avaler comme couleuvres. 

Dans un contexte où le Burundi souhaite attirer investisseurs et touristes, ces scènes de chaos sur les lignes de bus de transport public, cette gestion scandaleuse de la distribution de l’essence par les pétroliers, ce mépris de l’autorité de l’Etat, ces chaînes de désespoir méritent que le Chef de l’Etat tape la main sur la table. Il est grand temps que l’on cesse d’admirer la clairvoyance et la rigueur des Rwandais mais qu’on creuse les méninges pour redorer le blason de notre nation, pourtant fertile en esprits éveillés et pragmatiques.

Par MUHAKWANKE Balthazar.