Burundi : le gouvernement est en "dérive autoritaire", selon un rapport d’ICG
Analyses

ICG, 25 oct. 2012

Burundi : bye-bye Arusha ?

Rapport Afrique N°192 - 25 oct. 2012

 Bujumbura/Nairobi/Bruxelles - La situation se détériore au Burundi, pays auparavant considéré comme un modèle de résolution des conflits, et les violences commises par le parti au pouvoir et par l’opposition menacent la stabilité.

Burundi : bye-bye Arusha ?, le dernier rapport de l’International Crisis Group, démontre que la mainmise du parti au pouvoir sur les institutions étatiques et le boycott des élections de 2010 par les principaux partis de l’opposition ont vidé de sa substance le système de partage du pouvoir établi par l’accord d’Arusha en 2000. Cet accord a pourtant permis de résoudre le conflit ethnique qui a dévasté le pays pendant une décennie et de poser les jalons d’un régime démocratique.

« Les accords d’Arusha ont fait place à un monopartisme de fait, caractérisé par la fin du dialogue entre l’opposition et le parti au pouvoir, une dérive autoritaire du gouvernement et le retour de la violence politique », explique Thierry Vircoulon, le directeur du projet Afrique centrale de Crisis Group. « Depuis 2010, les principes de l’Etat de droit, et notamment les droits des minorités, ont été largement ignorés ».

La situation ne s’est toujours pas normalisée depuis les élections de 2010. Après avoir boycotté le processus électoral, les partis d’opposition ont formé une coalition (l’Alliance démocratique pour le changement, ADC-Ikibiri), et nombre de leurs dirigeants sont partis en exil. Leur départ s’est accompagné d’une vague de violences entre l’opposition et le parti au pouvoir, notamment de la part de groupes armés opérant dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC).

Le parti au pouvoir gère les affaires de l’Etat et le processus de justice transitionnelle comme bon lui semble. Il instrumentalise les services de sécurité et prépare une révision constitutionnelle dont les contours restent flous. La presse et la société civile demeurent les seuls contre-pouvoirs, mais journalistes et activistes vivent constamment sous la menace de la répression gouvernementale.

Cependant, une ouverture existe. Des pourparlers ont été tenus en mai dernier en Suisse lors d’une rencontre à l’instigation de l’organisation non gouvernementale Initiatives et Changement réunissant des dirigeants de l’opposition, des représentants de la société civile ainsi que deux membres du parti au pouvoir (le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie, CNDD-FDD). La poursuite de ce dialogue et la consolidation de la paix au Burundi nécessitent cependant des concessions de la part du parti au pouvoir comme de l’opposition, accompagnées du soutien et de pressions suffisantes de la part des bailleurs de fonds.

Afin d’assurer une stabilité durable, les acteurs politiques doivent reprendre le dialogue, garantir le pluralisme pour les élections de 2015 et soutenir un processus de justice transitionnelle consensuel. En vertu de l’aide considérable qu’ils fournissent au Burundi, les partenaires internationaux ont un rôle significatif à jouer et devraient ainsi mettre l’accent sur ces questions lors des discussions avec le gouvernement. Plus précisément, ils devraient soutenir la Commission nationale indépendante des droits de l’homme, contribuer à protéger les journalistes et les militants de la société civile et promouvoir une réforme du secteur de la sécurité axée sur les droits de l’homme.

« Le gouvernement du Burundi doit initier rapidement un dialogue inclusif dans le prolongement de la rencontre en Suisse : il doit mettre l’accent sur le retour des dirigeants de l’opposition, le respect des libertés politiques, le cadre légal des élections de 2015 et la question des prisonniers politiques », affirme Comfort Ero, la directrice du programme Afrique de Crisis Group.

SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS

En dépit du fonctionnement régulier des institutions et du discours officiel vantant les progrès en matière de développement et de sécurité, le Burundi est en train de perdre les acquis de l’accord d’Arusha. En raison de l’impasse électorale de 2010, le système de partage du pouvoir conçu à Arusha a fait place à un monopartisme de fait qui se traduit par la fin du dialogue entre l’opposition et le gouvernement, une dérive autoritaire et le retour de la violence politique. Le respect de la minorité politique et de la règle de droit, essentiel à la démocratie, semble ignoré depuis 2010. Afin de pérenniser les acquis du processus de paix et la stabilité du pays, la classe politique burundaise doit renouer avec le dialogue, garantir le pluralisme politique en vue des échéances électorales de 2015 et veiller à un processus de justice transitionnelle consensuel. En raison de leur implication dans le processus de paix, l’im­por­tance de leur aide au Burundi et l’absence de bailleurs alternatifs, les partenaires internationaux actuels doivent mettre ces trois questions au centre de leur dialogue avec le gouvernement.

La situation politique ne s’est toujours pas normalisée depuis les dernières élections, qui ont eu lieu en 2010. Le boycott par l’opposition du processus électoral à la suite du contentieux sur les élections communales a généré des tensions qui ont incité l’opposition à former une coalition, l’Alliance démocratique pour le changement (ADC-Ikibiri), et plusieurs de ses responsables à partir en exil. Cette situation s’est accompagnée d’une vague de violence alimentée aussi bien par le pouvoir que l’opposition. A la résurgence des groupes armés et aux critiques de la société civile, le gouvernement a répondu par une stratégie de répression et une politique d’intimidation.

La mainmise du parti au pouvoir (le Conseil national pour la défense de la démocratie et Forces pour la défense de la démocratie, CNDD-FDD) sur toutes les institutions en l’absence d’opposition véritable a vidé de sa substance le modèle consociatif défini à Arusha et a créé une situation de monopartisme de fait où seuls les médias et la société civile jouent le rôle de contre-pouvoirs. Par ailleurs, cette emprise renforcée sur les institutions conduit à une gestion partisane de l’Etat et du processus de justice transitionnelle ainsi qu’une instrumentalisation des services de sécurité qui sont contraires aux principes d’Arusha. Dans le même temps, le projet d’amendement constitutionnel dont les contours sont pour l’instant flous suscite des inquiétudes.

Cependant, une ouverture existe. D’une part, la détérioration de la situation socioéconomique, le mécontentement social croissant et la controverse sur les exécutions extrajudiciaires sont autant de problèmes pour les autorités qui nuisent à leur légitimité et réduisent leur marge de manœuvre. D’autre part, le dialogue a été récemment engagé à un double niveau : entre l’Union européenne et le gouvernement mais aussi entre les acteurs politiques burundais. Ainsi à l’instigation de l’organisation non gouvernementale (ONG) Initiatives et Changement, les bases du dialogue entre opposition et parti au pouvoir ont été posées au cours d’une rencontre à Caux en Suisse du 28 mai au 2 juin 2012 avec la participation de la plupart des partis d’opposition, diverses personnalités du monde politique et de la société civile et de deux parlementaires du parti au pouvoir.

Dans le prolongement de ce double dialogue et afin de préserver les acquis d’Arusha et de réussir une véritable consolidation de la paix, des concessions mutuelles de la part de l’opposition et du gouvernement sont nécessaires. Les partenaires internationaux devraient continuer le dialogue sur les problèmes politiques et sécuritaires actuels du Burundi et ne pas hésiter à recourir à des incitations financières, notamment en matière de préparation des élections et de réforme du secteur de la sécurité. Les programmes d’aide internationale doivent notamment être orientés vers la protection des journalistes et des activistes de la société civile, la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH), et une réforme du secteur de la sécurité respectueuse des droits de l’homme.

RECOMMANDATIONS

Au gouvernement et à l’opposition :

1.  Initier dans les meilleurs délais un dialogue inclusif sur les bases des propositions émises lors de la rencontre de Caux en Suisse, à savoir les conditions de retour des exilés politiques, la problématique des libertés publiques, le cadre légal des élections de 2015 et la question des prisonniers politiques.

A l’opposition :

2.  Renoncer publiquement à la violence et à remettre en cause les résultats des élections de 2010.

Au gouvernement :

3.  Préserver et favoriser le pluralisme politique en vue des échéances électorales de 2015 en :

a) réexaminant plusieurs lois votées ou en passe de l’être (lois sur les partis politiques, sur la presse et sur les manifestations et réunions publiques) qui risquent de mettre électoralement hors-jeu des partis d’opposition et de restreindre la liberté d’ex­pres­sion ;

b) s’assurant que la nouvelle équipe de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) représente un large consensus de l’ensemble de la classe politique; et

c) soumettant la question de l’éligibilité de l’actuel chef d’Etat à un débat large et ouvert.

4.  Respecter les conclusions des consultations populaires sur la mise en place des mécanismes de justice transitionnelle, confier la révision de l’avant-projet de loi à un comité tripartite (gouvernement, société civile et partenaires internationaux) et veiller à ce que le calendrier de la commission vérité et réconciliation n’interfère pas avec le calendrier électoral.

5.  Constituer une commission de réflexion sur la révision de la Constitution, composée de personnalités politiques issues de toutes tendances, de représentants de la société civile et, si nécessaire, d’experts internationaux.

A la société civile et aux médias :

6.  Mettre en place un dispositif d’alerte en cas de menaces et un fonds d’assistance juridique en cas de poursuites.

A la communauté internationale et en particulier aux Etats-Unis, au Bureau des Nations unies au Burundi et à l’Union européenne (et tous les pays européens représentés à Bujumbura) :

7.  Défendre la liberté de la presse et favoriser le pluralisme des médias en :

a) prenant publiquement position pour la dépénalisation des délits de presse dans le débat public déclenché par le projet de loi sur les médias ;

b) donnant aux médias burundais les moyens d’étendre leur couverture géographique et de professionnaliser leur personnel par des formations qualifiantes ; et

c) encourageant le journalisme de qualité à travers l’organisation périodique de prix pour les meilleurs journalistes, médias et productions journalistiques (articles, reportages, documentaires, etc.).

8.  Organiser un séminaire incluant le parti au pouvoir et les principaux partis d’opposition afin de définir une feuille de route consensuelle pour la préparation des élections de 2015.

9.  Soutenir un dispositif d’alerte en cas de menaces contre les activistes de la société civile et les journalistes et contribuer au fonds d’assistance juridique en cas de poursuites.

10.  Appuyer le programme d’assistance judiciaire de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) et soutenir la formation de son personnel.

11. Mettre les droits de l’homme au cœur de la réforme du secteur de la sécurité (RSS) en :

a) incluant des indicateurs sur le respect des droits de l’homme dans l’évaluation de la réforme ;

b) insistant sur l’effectivité des contrôles externes et internes dans les programmes d’appui à la RSS ; et

c) proportionnant l’appui financier à la RSS aux progrès en matière de droits de l’homme et de contrôle démocratique des forces de sécurité.

A l’Union européenne :

12.  Inscrire à l’ordre du jour du dialogue politique : la préparation des élections de 2015, le dialogue avec l’opposition, la dépénalisation des délits de presse, la situation des droits de l’homme et des libertés publiques, la justice transitionnelle et l’implication des responsables des services de sécurité dans des affaires criminelles.

Bujumbura/Nairobi/Bruxelles, 25 octobre 2012

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