Le Burundi, entre impasse politique et "dérive autoritaire"
Analyses

Afrique Expansion Magazine, 27 Novembre 2012

Par Aude GENET

BUJUMBURA, Burundi - En 2010, l'opposition burundaise boycottait les élections présidentielle et législatives du pays. Deux ans plus tard, le petit pays d'Afrique des Grands Lacs n'est, disent les analystes, pas sorti de la crise politique et tend même à une "dérive autoritaire".

En se retirant du processus électoral il y a deux ans, l'opposition s'est exclue du jeu politique. Aujourd'hui, le parti dirigeant, le Conseil national pour la défense de la démocratie - Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), détient toutes les "manettes" du Burundi.

Et les acquis des accords de paix signés en 2000 à Arusha en Tanzanie, six ans avant la fin effective d'une guerre civile qui déchirait le pays depuis 1993, comme le succès des prochaines élections en 2015, sont en jeu.

"Le système de partage du pouvoir conçu à Arusha a fait place au monopartisme de fait qui se traduit par la fin du dialogue entre l'opposition et le gouvernement, une dérive autoritaire et le retour de la violence politique," résumait fin octobre l'International Crisis Group (ICG).

La reprise des violences au lendemain du boycott des élections, matérialisées par l'éclosion de mouvements rebelles et, selon l'ONU, des dizaines d'exécutions extra-judiciaires, ont un temps fait craindre une reprise de combats à grande échelle.

Depuis 40 ans, l'histoire du Burundi est jalonnée de massacres interethniques. Le pays a d'abord été traversé de rébellions -- réprimées -- de la majorité hutu contre le pouvoir tutsi. Aujourd'hui, le pouvoir est majoritairement aux mains des hutu, et les récentes violences sont surtout le résultat de fractures en leur sein.

Une détente sur le plan sécuritaire s'est cependant installé ces derniers mois. Les exécutions extrajudiciaires sont en baisse, note un observateur étranger, et "les poches de rébellions ne représentent pas grand chose".

Mais l'atmosphère reste minée par le difficile dialogue politique, aggravé par une corruption endémique et une détérioration de la situation économique -- en 2012, le Fonds monétaire international prévoit 14,7% d'inflation -- dans un pays déjà parmi les plus pauvres au monde.

Le gouvernement burundais balaie ces critiques, dénonçant "une fausse lecture de la réalité burundaise (...) inspirée par l'opposition". "Le monopartisme qu'on observe aujourd'hui", affirme le porte-parole du gouvernement Philippe Nzobonariba, résulte de "l'irresponsabilité politique de l'opposition", du "boycott" de 2010.

Analystes et diplomates ne rejettent pas sur le pouvoir seul la responsabilité de la crise politique. Fragmentée, l'opposition peine à exister.

Non seulement, note l'observateur étranger, elle s'est aliéné une partie de sa base électorale, qui s'est "sentie abandonnée", mais elle a aussi laissé un "boulevard" au CNDD-FDD, qui a même fini par recruter dans ses rangs.

Cette opposition "extra-parlementaire", qui a aussi subi une hémorragie avec le départ en exil de plusieurs de ses figures, laisse un vide politique que la société civile se trouve contrainte d'occuper.

"Quand il n'y a pas de parti politique qui peut jouer un rôle d'alternance, la société civile joue ce rôle, mais ça n'est pas dans ses fonctions," relève Christian Thibon, directeur, à Nairobi, de l'Institut français de recherche en Afrique.

Et de plus en plus, cette société civile est dans le collimateur du pouvoir.

Militants anti-corruption et journalistes sont harcelés, certains, comme le correspondant en langue swahili de Radio France Internationale (RFI) Hassan Ruvakuki et le président de Parole et action pour le réveil des consciences et l'évolution des mentalités (Parcem) Faustin Ndikumana, condamnés à de longues peines de prison.

Analystes et communauté internationale dénoncent aussi des lois en préparation menaçant la protection des sources des journalistes et restreignant le droit de manifester.

Dans ces circonstances, les élections de 2015 sont-elles jouées d'avance?

"Peut être pas complètement", mais il faut que "le pouvoir ouvre le jeu politique, qu'il accepte d'avoir les réunions politiques, d'avoir une opposition", note l'observateur étranger.

"Il faut que l'opposition en exil puisse rentrer, et qu'une fois rentrée, elle puisse travailler," renchérit Thierry Vircoulon, de l'ICG.

En attendant, Léonce Ngendakumana, président de la coalition d'opposition Alliance des démocrates pour le changement (ADC), déplore que le pouvoir cherche à créer "sa propre opposition".

Récemment, une réunion des Forces nationales de libération (FNL), l'une des principales forces d'opposition, a été autorisée. Mais il s'agissait d'une réunion de la branche du mouvement reconnue par le pouvoir, pas celle de son dirigeant historique Agathon Rwasa, reparti dans le maquis après 2010.

Et peu après, la police dispersait cette fois dans la violence un rassemblement du parti d'opposition Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu).