HRW : le Sénat burundais sur le point de violer les droits humains élémentaires
Droits de l'Homme

@rib News, 16/02/2009

Burundi : Le parlement devrait respecter le droit à la vie privée et rejeter une loi répressive

Le projet de révision du code pénal violerait le droit international

 (Bujumbura, le 16 février 2009) - Le parlement du Burundi devrait respecter ses obligations en matière de droits humains et rejeter un projet de révision du code pénal qui interdirait les pratiques homosexuelles consenties, a déclaré aujourd’hui Human Rights dans une lettre (ci-joint) au président Peter Nkurunziza et aux membres du Sénat burundais.

Les législateurs ont rectifié d’autres aspects du code pénal proposé qui posaient problème, supprimant la peine de mort et faisant de la torture, du génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité des délits punissables. Cependant, ils n’ont pas jusqu’ici modifié une disposition qui imposerait des peines pouvant atteindre deux ans de prison pour pratique homosexuelle consentante. Human Rights Watch a affirmé que cette disposition violerait la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) dont le Burundi est signataire. Il est prévu que le projet révisé soit mis au vote en session plénière du Sénat, le 17 février 2009.

« Nous trouvons profondément décourageant que le Sénat soit sur le point de voter une disposition qui viole les droits humains élémentaires », a déclaré Scott Long, directeur du programme de Human Rights Watch sur les droits des lesbiennes, homosexuels, bisexuels et transsexuels. « Les sénateurs devraient résister à toute pression risquant d’entériner une injustice dans le cadre d’une loi. »

Le nouveau code pénal a été rédigé sur une période de presque deux ans, avec l’aide de juristes burundais et internationaux, après que les élections ont en 2005 restauré un système démocratique dans le pays et requis une révision des textes de loi. Cependant, en octobre 2008, à la fin de la discussion sur le projet de loi, la Commission de la justice et des droits de la personne humaine de l’Assemblée nationale a inséré une disposition criminalisant « toute personne qui s’engage dans une relation sexuelle avec une personne de même sexe ». La disposition serait la première soi-disant « loi sur la sodomie » de l’histoire du pays.

Le projet de loi a été approuvé à la hâte par l’Assemblée nationale le 22 novembre, quasiment sans que les membres du parlement aient eu le temps de débattre de la disposition.

A la suite de ce vote, Human Rights Watch, d’autres organisations nationales et internationales de défense des droits humains, des responsables de la santé publique du Burundi, l’Eglise catholique du Burundi, des missions diplomatiques ainsi que d’autres organisations et individus ont appelé le Sénat à modifier le projet de loi.

Le 6 février, la Commission permanente chargée des questions judiciaires, institutionnelles et des droits et libertés fondamentales au Sénat a ajouté une série d’amendements à la version de l’Assemblée nationale, qui ne modifiait pas la disposition sur l’homosexualité. Plusieurs sénateurs ont dit à Human Rights Watch qu’ils étaient personnellement opposés à la disposition en question, mais qu’ils hésitaient sous la pression de certaines personnalités politiques et de groupes religieux.

Se soumettre à de telles pressions serait compromettre les droits humains élémentaires des Burundais, ainsi que les obligations du pays à l’égard de divers traités. Selon la décision de 1994 du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, dans l’affaire Toonen c. Australie, les lois criminalisant les pratiques homosexuelles consenties entre adultes violent le droit au respect de la vie privée, tel qu’il est protégé par le PIDCP.  Le PIDCP et la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples interdisent tous les deux la discrimination fondée sur « toute autre situation » (article 26 du PIDCP, article 2 de l’ACHPR).

La Constitution du Burundi garantit elle-même le droit au respect de la vie privée (article 28) et le droit de ne pas subir de discriminations (article 17). Selon l’article 19, les droits protégés par les conventions internationales auxquelles le Burundi est partie, y compris le PIDCP, sont intégrés au droit burundais et reconnus comme « fondamentaux ».

De plus, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a estimé que des arrestations sur la base d’une pratique homosexuelle consentie constituent par définition des violations des droits humains.

Si le Sénat vote la loi, le président pourra la contester en demandant une seconde lecture ou en la soumettant à la Cour constitutionnelle pour avis.

«  Le code pénal devrait être un moyen de protéger les personnes vulnérables, et non d’entériner des préjugés », a déclaré Scott Long. « Le Sénat et le président doivent accomplir leur devoir en s’assurant que la loi burundaise correspond aux obligations découlant des traités et ne viole pas les droits humains fondamentaux ».


Lettre au Président Nkurunziza et au Sénat du Burundi :

Le Parlement risque de violer le droit international en criminalisant l’homosexualité

Le 16 février 2009

A son Excellence le Président de la République du Burundi,

Aux membres du Sénat du Burundi :

Excellence, Mesdames, Messieurs,

Au nom de Human Rights Watch, je vous écris pour manifester notre inquiétude au sujet d’un projet législatif que le Sénat du Burundi serait sur le point d’approuver, et qui supprimerait des droits humains fondamentaux.

Un projet de code pénal, dont le vote est prévu au Sénat le 17 février, criminaliserait les pratiques homosexuelles consenties, pour la première fois dans l’histoire du Burundi indépendant. L’article 552 du projet prévoit une peine de trois mois à deux ans de prison et/ou une amende pour une telle conduite.

Lors de l’Examen périodique universel mené par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, en décembre 2008, de nombreux États membres ont demandé au Burundi de réexaminer le projet de loi afin de se conformer à ses obligations à l’égard de divers traités. Ces obligations sont claires. Le code pénal envisagé violerait la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) dont le Burundi est signataire. Selon la décision de 1994 du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, dans l’affaire Toonen c. Australia, les lois criminalisant les pratiques homosexuelles consenties entre adultes violent le droit au respect de la vie privée, protégé par l’article 17 du PIDCP.

Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a aussi estimé que des arrestations pour pratique homosexuelle consentie constituent, par définition, des violations des droits humains.

La Constitution du Burundi elle-même garantit le droit au respect de la vie privée (article 28) et le droit de ne pas subir de discriminations (article 17). Selon l’article 19, les droits protégés par les conventions internationales auxquelles le Burundi est partie, y compris le PIDCP, sont partie intégrante du droit burundais et reconnus comme « fondamentaux ».1

De plus, cette nouvelle disposition compromettrait gravement les efforts consacrés à combattre la pandémie HIV/SIDA. Au Burundi, le HIV et le SIDA sont essentiellement transmis par contact hétérosexuel, comme dans le reste de l’Afrique subsaharienne : le Burundi ne peut cependant pas assumer les effets sur la santé publique d’un projet législatif qui contraindrait une partie de sa population au silence et à la clandestinité. Un tel changement paralyserait l’action menée pour sauver des vies, l’éducation et les efforts en matière de soins.

Human Rights Watch reconnaît les efforts considérables réalisés tant par l’Assemblée nationale que par la Commission de la justice du Sénat, qui ont rédigé des amendements au code pénal pour mettre d’autres sections du code en accord avec les principes des droits humains. Il revient maintenant au Sénat et au Président de la République de rectifier la faille qui subsiste dans la loi. Si le Sénat ne le fait pas, le devoir en incombera au Président de la République, qui devra exiger une seconde lecture de la loi ou la soumettre à la Cour constitutionnelle pour avis.

Nous vous demandons instamment, en tant que Président de la République et en tant que Sénateurs, d’agir conformément aux obligations légales du Burundi, en application du droit international en matière de droits humains, et de rejeter l’article 552 du projet de code pénal.

Veuillez agréer, Excellence, Mesdames, Messieurs, l’assurance de ma haute considération.

Scott Long

Directeur de la division Lesbiennes, homosexuels, bisexuels et transsexuels (LGBT) Human Rights Watch

[1] Toonen c. Australie, Communication No. 488/1992, ONU Doc CCPR/C/50/D/488/1992, 1994. Disponible sur le site: http://www1.umn.edu/humanrts/undocs/html/vws488.htm.