Le fabuleux destin footballistique d'un jeune burundais réfugié en Angleterre
Sports

SoFoot, 12/01/2013

Notorious Bigirimana

 Les blessures des milieux Magpies et une frappe enroulée dans la lucarne contre Wigan ont fait de Gaël Bigirimana (réfugié burundais en Angleterre) un Michael Essien en puissance. Attention, belle histoire. Avec du lait, un salon de coiffure et Dieu dedans.

- Papa, c’est quoi cette bouteille de lait ? Papa !!! C’est quoi cette bouteille de lait !!!??? / - Eh ben, tu vois mon fils, cette bouteille de lait, ça a été mon tremplin vers le foot professionnel.

- Papa, c’est quoi un tremplin ? / - Bon, t’es lourd, mange ton toast maintenant.

Voici à quoi pourrait ressembler une discussion matinale entre Gaël Bigirimana et son potentiel futur rejeton. Car le destin du jeune milieu de terrain de Newcastle, tout juste 19 ans, tient en effet au départ à une histoire de bouteille de lait.

En 2004, la famille Bigirimana fuit le Burundi, après un bref passage en Ouganda, avant d’atterrir, en qualité de réfugié, à Coventry. À 11 ans, Gaël, qui ne parle pas un mot de la langue de Shakespeare, a alors deux passions : le foot et Dieu. Un matin d’août 2004, maman envoie Gaël et le grand frère acheter une bouteille de milk au supermarché du coin, ASDA, à côté du centre d’entraînement des jeunes de Coventry City. « J’ai entendu une voix intérieure qui me disait : "Vas-y et demande à t’entraîner avec eux." Je l’ai dit à mon frère qui m’a répondu : "Tu sais, c’est pas aussi simple que ça. Il faut sans doute payer." Le lendemain, j’ai alors demandé un peu d’argent à ma mère. Elle pensait que c’était pour aller m’acheter des bonbecs ou des chocolats et m’a dit qu’elle n’avait plus de sous », raconte le Burundais dans les colonnes du Daily Mail. Le lendemain, Gaël, têtu, suit sa voix intérieure et implore le ciel : « Sur le chemin, je demandais à Dieu d’être avec moi sur ce coup-là. »

Dans un anglais cabossé, il tombe sur deux recruteurs, Reece Brown et Ray Gooding, qui se souvient : « Je lui ai demandé d’où il venait. Il m’a dit : "Le Burundi" et j’ai répondu : "C’est où ça ?" Il me disait qu’il y avait quelques problèmes là et qu’il était venu en Angleterre pour repartir de zéro. Je lui demande alors s’il était bon au foot et lui, cash : "Bien sûr que je suis bon." Il avait déjà une bonne confiance en lui du haut de ses 11 ans. » Gooding et Brown lui promettent d’aller l’observer dès lors qu’il trouvera une équipe, à l’école ou en club. Tout content, le jeune réfugié rentre chez lui en courant. Et là, miracle : « Ils ont été impressionnés par ma vitesse alors que, en vérité, je ne faisais que trottiner. Ils m’ont demandé si je pouvais venir à l’entraînement le lendemain, si j’avais tout l’équipement du footballeur. J’ai dit oui alors que je n’avais rien », s’excuserait presque Gaël.

Il paye un salon de coiffure à son frère et sa mère

Mis à l’essai pendant cinq mois, avec des pompes de foot aux pieds – « La seule fois que j’en avais portées, c’était en Ouganda » -, Bigirimana s’impose. « Après 10 minutes, Gaël s’approche de moi et me balance que le groupe n’est pas assez bon pour lui », enchérit Gooding. Le petit Gaël est surclassé à chaque fois et Gooding devient une sorte de père adoptif, tout en faisant dans le fooding : « Après chaque entraînement, il mourrait de faim. Je ne peux pas vous dire combien de fish&chips, de saucisses ou de poulet-frites il me doit ! ». Bigirimana a sans doute de quoi le rembourser depuis. Signé pro à l’été 2011, à 17 ans, par Coventry, il devient rapidement pour son côté pieuvre sur le terrain la coqueluche des fans Sky Blues. Il ouvre même un salon de coiffure en ville – Bigi Snippers & Clippers – où son frère coiffe les messieurs, maman les dames. Spécialité maison ? La Bigi, soit une crête à la Gaël. Dieu rôde toujours dans le coin : « Je crois qu’il m’utilise pour changer la ville, en commençant par l’équipe. Mais Dieu ne donne jamais des cibles faciles ». Une vingtaine de matchs plus tard, le bac en poche et un titre d’Apprentice of the Year décerné par la Football League, Bigirimana est enrôlé pour 700 000 euros en juillet dernier par Newcastle United, toujours prompt à signer du jeune à potentielle plus-value. Les supporters de St James' Park s’amourachent rapidement du petit modèle burundais. Sur les forums de supporters, on hésite sur l’air à coller à sa chanson : entre un Gimmee, gimmee, gimmee des Abba, un Hakuna Matata et un titre de Notorious Big. Tout roule donc pour Bigi, qui, après trois tentatives, a enfin décroché son permis de conduire, acheté une Opel Corsa et songerait même à donner au Bigi Snippers & Clippers un petit frère dans le Tyne and Wear. Gaël y a également gagné un nouveau père, en plus du sien, de Ray et de Dieu : Cheick Tioté, qui porte aussi très bien la crête. La Toon Army a d’ailleurs orienté son chant vers ce pan de l’histoire : « He’s big, he’s bad. Tioté is his dad ! »

Bref, Gaël Bigirimana est sur un nuage. Plusieurs sélections africaines lui font les yeux doux : le Rwanda (nationalité de sa mère), la République démocratique du Congo (nationalité de son père) et le Burundi (son pays natal). Mais Bigi n’a pas encore choisi, lui qui considère le Burundi comme pas « assez sûr et stable », alors que Stuart Pearce songe sérieusement à l’appeler avec les Espoirs anglais. Pour le moment, Gaël continue son petit bout de route, de prier Dieu avant chaque d’envoi et après chaque coup de sifflet final. « Je crois que Dieu m’a amené à Newcastle. Je fais partie de son plan, qui se poursuit ici. J’ai juste à travailler dur » se martèle Gaël, assidu à quelques lectures de la Bible à Newcastle. « Nous avons quitté le Burundi pour avoir une meilleure éducation. C’est ce que mes parents souhaitaient. Mais visiblement, Dieu avait à l’évidence une autre idée pour moi ! »

Par Ronan Boscher à Manchester