Burundi : la monnaie devient le tendon d’Achille du régime
Opinion

@rib News, 18/02/2013

Vers quel rocher la monnaie burundaise va-t-elle s’écraser ?

 Par Daniel Kabuto

L’Occident nous a habitués aux aides et nous a tendu un piège des éternels recommencements comme si les Africains devions inexorablement perpétuer le mythe de Sisyphe ! Des cérémonies de signature d’accords ou conventions d’aides ou de crédits de financements de projets occupent parfois la Une du journal télévisé de la chaîne gouvernementale. La Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement, le Fonds Monétaire International, l’Union Européenne, le Fonds Européen pour le Développement, la République Populaire de Chine, USAID, JICA etc. ouvrent gentiment le robinet de la manne au secours des Burundais ! Lors de telles cérémonies, les ministres et leurs homologues ou ambassadeurs s’échangent des documents précieux sous les flashes des journalistes et la satisfaction des fonctionnaires de l’Etat dit pauvre et dépendant pour ne pas dire mendiant ! Qu’advient-il quand le mendiant bombe le torse ou fait la sourde oreille ?

Une situation pire que pendant l’embargo

A l’arrivée du CNDD-FDD au pouvoir en 2005, un dollar américain s’échangeait contre un millier de francs burundais. Huit ans après, plus précisément avec ce mois de février 2013, un dollar vaut mille sept cent francs burundais tandis qu’un euro s’échange contre plus de deux mille deux cents francs. Cette situation est alarmante et lourde de conséquences pour l’Etat, les familles et les importateurs. Et la conjoncture mondiale a bon dos.

D’aucuns aiment dire que le Burundi dépend essentiellement de l’agriculture. On a d’ailleurs salué la nomination d’un ingénieur agronome au poste de deuxième vice-président en charge des questions économiques et sociales ! Mais il s’agit toujours d’une agriculture archaïque, moins performante, donc incapable de satisfaire les besoins locaux. Ce qui fait que le Burundi importe énormément de l’étranger et doit encore compter sur l’aide du riz chinois ou japonais quand ce n’est pas le Programme Alimentaire Mondial qui vole aux secours des sinistrés et des enfants malnutris.

Loin de moi l’idée de spéculer sur la tragédie monumentale qu’a été l’incendie du marché central de Bujumbura et que les analyses s’accordent à qualifier de destruction du poumon économique du pays. Un pays comme un corps humain, quand il n’a plus de poumon, il est bon pour le cimetière ! A moins que l’économie burundaise ne soit exceptionnelle pour rester en apnée avec un record digne de figurer dans le Guinness ! Doit-on assister religieusement à l’enterrement de l’économie burundaise ? Il se dit que les écrivains sont des pontifes sans mission et qu’ils sont appelés à jouer le rôle d’aiguillon au-delà de leurs affinités politiques.

Cette sortie médiatique peut paraître abrupte et trop pessimiste car le mauvais sort jeté par des pyromanes sur le marché central de Bujumbura serait en train d’être congédié grâce à une opération chirurgicale qui doterait le pays d’un poumon de substitution : un marché provisoire est en cours de construction du côté du terrain de l’ex-COTEBU. Justement, il faut entrer en profondeur car la véritable cause de la mort de l’économie burundaise est à diagnostiquer de façon moins fantaisiste !

Une économie malmenée par l’absence de l’aide extérieure

Il suffit d’observer le budget de l’Etat pour comprendre que le pays attend beaucoup de l’extérieur. Plus de 50% du budget sont attendus des partenaires au développement. Or, la plupart de ces « amis » du Burundi pose des conditionnalités qui se révèlent être une épée de Damoclès au-dessus des têtes des pauvres hères et de leurs leaders. Au fur et à mesure que le pouvoir de Bujumbura tergiverse à satisfaire ces exigences, les « amis » réagissent en réduisant substantiellement la manne jusqu’au tarissement des fonds. Ce genre de stratagèmes a fait des victimes comme pour le cas du Zimbabwe.

C’est que les maîtres du monde sont encore très puissants et comprennent mieux que quiconque que dans le contexte de l’interdépendance mondiale, le Burundi a intérêt à être malléable et moins hautain pour ne pas dire insolent. « Tout vainqueur insolent à sa perte travaille » dit l’adage ! Et l’Occident a beau traverser une crise financière, il est tellement fécond en créativités et stratégies que même les collines verdoyantes, la position géographique et le sous-sol burundais l’intéressent plus que jamais ! Quand on voit la France débarquer au Mali et les USA envoyer enfin des drones à l’Est de la République Démocratique du Congo, on comprend très bien que les raisons d’Etat ont des secrets que la logique onusienne doit ignorer ! Et dans cet impérialisme fondé sur la raison du plus fort, BNUB a encore de beaux jours devant lui au Burundi puisque les élections de 2015 doivent accoucher d’une redéfinition des cartes sur l’échiquier politique ou précipiter le pays dans le chaos. Ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire peut facilement se produire au Burundi !

Les griefs avancés à l’endroit du régime burundais portent des noms : exécutions extrajudiciaires, corruption et malversation, monopartisme de fait, sabotage de la société civile, tripatouillages de la commission vérité et réconciliation quant à son volet judiciaire, rejet de l’homosexualité, navigation à vue et absence de parole d’honneur. Dans l’entendement de l’Occident, il s’agit de manquements graves sinon de tremplins pour bien des crimes contre l’humanité.

L’Occident se distingue toujours par l’étoffe de Ponce Pilate. Il tue tout en se lavant les mains du sang des victimes. Nul n’ignore que l’absence d’aides est essentiellement responsable de la descente aux enfers d’une économie qui, avec le retour de la paix, aurait dû mieux se porter. Ce bras de fer entre le régime de Bujumbura et ses partenaires occidentaux provoque les mêmes dégâts que dans le contexte où deux éléphants se battraient en ignorant le sol des herbes ! Bien entendu, il s’agit d’un combat entre David et Goliath avec cette certitude que David, malgré ses bondieuseries, ne peut pas gagner !

Le régime de Bujumbura déjà le dos contre le mur

Les images d’un policier malmenant Marina BARAMPAMA, l’ancien deuxième vice-président de la République ont scandalisé l’opinion européenne. Comme si on s’ingéniait à compromettre les assises de Genève ! Et bien d’autres bévues auxquelles nous accordons peu d’attention poussent les maîtres du monde à traiter le Burundi de République bananière, même si par courtoisie le terme est évité. Il suffit d’analyser les déclarations de certains diplomates occidentaux pour reconnaître qu’il y a anguille sous roche. Comme le Dieu d’Israël face au Pharaon du temps de Moïse, les plaies s’abattent contre ceux qui durcissent le cœur !

Démonstration : le marché de Bujumbura a laissé des milliers de familles aux abois ; même ceux qui parviennent à relever la tête se heurtent à la dépréciation effrénée de la monnaie locale. Un commerçant importe des sauces tomates ou du matériel de construction au moment où le dollar américain s’échange contre 1700 francs burundais. Il parvient à écouler les produits dans un mois. Il doit répartir et solliciter des dollars à la banque. N’en trouvant pas, il s’en remet au marché noir. Supposons que dans cet intervalle d’un mois, la monnaie burundaise ait déjà perdu de nouveau de la valeur. Notre commerçant doit acheter le dollar à 1750 fbu. Qu’aura-t-il gagné en fin de comptes ? Et si courageux il fonce encore et approvisionne le marché, les prix vont sans doute flamber. Que dire des produits pétroliers ? Disons que certaines denrées pourraient être inaccessibles à bien des consommateurs nationaux. Les mesures de détaxation des produits vitaux seraient sans effet. Au comble du désespoir, le peuple burundais pourrait se révolter. Autrement dit, la vie chère pourrait avoir raison de la patience et de la retenue du peuple. A moins que le peuple ne se résigne à subir son sort les bras croisés comme la majorité des Zimbabwéens ou que la ténacité des dirigeants actuels ne sacrifie le peuple sur l’autel des intérêts autres que ceux du citoyen lambda!

Faute d’un nouveau cap dans les relations diplomatiques, dans l’ouverture d’un débat politique et le sens des responsabilités étatiques devant l’histoire et le monde, la monnaie burundaise est en train de devenir le tendon d’Achille du régime. On s’étonnera de voir que mêmes les investisseurs privés boudent poliment le Burundi car les risques sont apparemment très sérieux. On s’étonnera de voir la société civile et les ONG internationales avoir pignon sur rue au Burundi tandis que le gouvernement recourt à des acrobaties complexes pour payer les salaires de misère en général et quelques fournisseurs de services. Mais personne ne peut dire pour le moment quel rocher la monnaie burundaise vise dans son plongeon !

Bujumbura, le 18 février 2013

Daniel KABUTO, écrivain et consultant indépendant.