Elections de 2015 au Burundi : Nkurunziza a jeté le trouble dans les esprits
Question à La Une

@rib News, 01/04/2013

Pierre Nkurunziza va-t-il se présenter aux élections présidentielles de 2015 ?

Par Albanel Simpemuka

Les interrogations

Interrogé par France 24, lors de sa récente visite en France, sur son éventuelle candidature aux prochaines élections présidentielles, Pierre Nkurunziza n’a dit ni oui ni non. Il a seulement fait observer qu’une candidature de sa part à cette élection n’était pas une affaire personnelle, mais plutôt celle de son parti, et que tout devait être fait conformément à la Constitution. Que faut-il alors en penser ? Qu’est-ce qui peut motiver sa non-candidature ? Une candidature de sa part serait-elle raisonnable et conforme à la Constitution ? Voilà les interrogations sur lesquelles nous allons brièvement nous pencher.

N’est-ce pas une affaire personnelle ?

La Déclaration universelle des Droits de l’Homme, en son article 21, alinéa 1, dispose que « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ». Cela veut dire que si Nkurunziza veut se présenter aux présidentielles, c’est tout à fait son droit, car l’article 98 de la Constitution prévoit que les candidats à la présidence peuvent être présentés par les partis politiques ou se présenter en qualité d’indépendants. Seulement, dans son propos, il laissait sous-entendre qu’en tant que membre discipliné de son parti, il devrait être proposé par celui-ci et non s’avancer en indépendant. Mais, si l’intéressé ne veut pas être candidat, rien ni personne ne saurait l’y obliger. Le parti pourrait tout juste l’exhorter, voire le supplier, de bien vouloir accepter de faire acte de candidature. Rien de plus. Et pour que le parti le supplie, il faudrait, soit qu’il désespère de trouver en son sein un candidat susceptible de gagner, ou que celui que l’on supplie présente des atouts évidents dissuadant tout risque d’une compétition incertaine. D’où la question : de Nkurunziza ou de son parti ; qui a besoin de s’abriter derrière l’autre ?

Des motivations pour ne pas se présenter

Bien souvent, les chefs d’Etat africains ont du mal à quitter le pouvoir. L’on se souvient de la résistance d’Abdoulaye Wade du Sénégal devant un peuple décidé à empêcher une candidature de trop. Faute de le faire partir par la rue, il l’a fait partir par les urnes. Ceux qui ont volontairement quitté le pouvoir, en respectant la Constitution, parfois même en anticipant la fin de leur mandat, sont rares : on peut citer les plus illustres comme Julius K. Nyerere, Léopold S. Senghor, Jerry J. Rawlings, Nelson R. Mandela, Alpha Oumar Konare. Dans la sous-région des Grands Lacs, l’alternance reste encore l’apanage de la Tanzanie et, récemment, du Kenya. L’ougandais Museveni et le rwandais P. Kagame semblent avoir oublié que ce mot figure dans les dictionnaires. Le congolais Kabila et le burundais Nkurunziza sont attendus au tournant. Quelles motivations pourraient donc faire pencher celui-ci du côté des dignes fils d’Afrique plutôt que de ceux qui font fi de la Constitution et sont prêts à la coucher sur un lit de Procuste [1] ?

Pour être subjectivement enclin à ne pas se porter candidat, il faut être rassuré quant à son avenir, être persuadé que le successeur va vous laisser jouir tranquillement de votre retraite politique ; ne pas être avide du pouvoir et respecter les prescrits de la Constitution. Mais aussi avoir le sens élevé de l’honneur et vouloir inscrire son nom dans les livres d’Histoire comme un démocrate qui a su favoriser l’alternance dans son pays.

Quand on observe le rapport de Nkurunziza au pouvoir, on a l’impression que celui-ci est pour lui un fardeau, et qu’il préfère volontiers le sport, la prière et l’évangélisation. Nkurunziza délègue volontiers. En outre, au regard des dispositions de la Constitution, qui prévoit un réel partage du pouvoir, son parti aura une bonne part de celui-ci, quel que soit le futur président de la République. Il peut donc légitimement penser qu’en cas de retrait, le Gouvernement à venir ne lui tirera pas dans le dos, tout comme il n’a pas, lui-même, malmené un de ses deux prédécesseurs Pierre Buyoya. Cependant, sa réponse au cours de l’interview précitée laissait planer le doute en ce qui concerne la légalité de son éventuelle candidature.

Sa candidature serait-elle conforme à la Constitution ?

L’article 96 de la Constitution stipule que « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. » Nkurunzisa est à son deuxième mandat de cinq ans. Seulement, au premier mandat, il a été élu conformément à l’article 302, qui prévoit, exceptionnellement, l’élection du Président par les députés et les sénateurs réunis en congrès. Dans sa réponse à France 24, Nkurunziza n’a pas rétorqué qu’il n’a fait qu’un seul mandat selon les termes de l’actuelle constitution. Cela veut dire, au mieux, qu’il se considère comme lié, par la lettre et par l’esprit de la Constitution, qui veut limiter le nombre de mandats à deux et favoriser l’alternance. Sa position procède donc apparemment d’une bonne lecture de la Constitution, car ce n’est que par exception qu’il a été élu par le congrès, la règle étant le suffrage universel. L’article 302 stipule en effet que : « A titre exceptionnel, le premier Président de la République de la période post-transition est élu par l’Assemblée Nationale et le Sénat élus réunis en Congrès, à la majorité des deux tiers des membres… » Ce à quoi il a été fait exception est bien précisé : c’est le mode de scrutin, et non le nombre de mandats. Aucun juriste ne saura donc convaincre en affirmant que Nkurunziza n’ayant été élu au suffrage universel qu’une fois, il a droit à un autre mandat. Il est alors clair qu’à moins de faire modifier la Constitution, Nkurunziza n’a plus le droit de se porter candidat aux présidentielles.

Préparer un départ digne

Selon l’article 65 de la Constitution, « Chacun est tenu de respecter les lois et les institutions de la République. » Cela concerne aussi le chef de l’Etat. En laissant penser qu’il pensait que son parti avait encore la latitude de le porter candidat à la présidence, Pierre Nkurunziza a jeté le trouble dans les esprits. En indiquant que le parti devait agir dans le respect de la loi, il a indiqué la bonne voie. Vouloir se présenter une fois de plus serait outrepasser la Constitution, et chercher à la modifier ajouterait un problème dans un pays qui en a déjà beaucoup. Premier président élu à finir son mandat, il serait tout à son honneur qu’il soit aussi le premier à quitter le pouvoir sans chercher à bricoler la Constitution à son avantage. 

« Si fort qu’un homme soit supposé adhérer à des idées fausses, jamais pourtant nous ne dirons qu’il tient une certitude » (Spinoza).


[1] Dans la mythologie grecque, Procuste était un brigand qui torturait ceux à qui il avait donné l’hospitalité. Trop grands sur le lit, il les découpait, trop petits, il les étirait jusqu’à ce qu’ils atteignent la taille du lit…