Quelle est donc cette étrange maladie qui frappe les chefs d’Etat africains ?
Question à La Une

@rib News, 28/04/2013

Du syndrome de la maladie de certains chefs d’Etat africains :

le cas de Pierre Nkurunziza

Par Albanel Simpemuka

Les violences infligées aux peuples africains ont des causes très variées. Certaines sont subies suite à des mauvais choix, des faux calculs ; par l’imprudence ou le manque de prévoyance des dirigeants. D’autres le sont par arrogance, par méchanceté et cynisme, par égoïsme ou idiotie. Ou par tout cela à la fois. Mais, pour faire court dans ce désir de comprendre, je dirai que c’est trop souvent par une étrange maladie, que contractent, on ne sait trop comment, les chefs d’Etat africains. La maladie n’a pas encore un nom. Elle se manifeste avec des spécificités régionales voire nationales. C’est une maladie orpheline, que les scientifiques devraient étudier sans tarder pour trouver un remède à nos dirigeants bien adulés. Sans trop m’attarder en préambules inutiles, voici ce qu’un médecin spécialiste des maladies orphelines pourrait consigner dans le carnet de santé du chef de l’Etat burundais.

Observations préliminaires

Dans un premier temps, notre docteur noterait que « la maladie étrange a frappé un peu partout en Afrique, avec des variétés endémiques selon les régions. De Béchir à Wade en passant par Biya, Bokassa, Bozizé, Compaoré, Kagamé, Micombero, Mobutu, Mugabe, Museveni, Patassé, etc., tous ces dirigeants ont eu ce mal étrange dont je suis certain que Pierre Nkurunziza est gravement atteint. » Quel nom faut-il donner à ce mal. Quel en est le syndrome ?

Le SYCADOPA ou Syndrome de carence à dominante paranoïaque

Dans le jargon médical, un syndrome est « un ensemble déterminé de symptômes morbides formant une unité pathologique. » Dire que cette pathologie est à dominante paranoïaque, c’est affirmer que l’un des signes cliniques de cette horrible maladie, c’est la paranoïa, c’est-à-dire une psychose dont les quatre traits marquants sont l’inflation boursoufflée de l’égo (orgueil, égocentrisme et vanité) ; l’esprit de méfiance ; l’erreur rigide de jugement ou délire d’interprétation ; et l’agressivité revendicative du persécuteur-persécuté.

A cela s’ajoutent d’autres symptômes, colorés par la culture locale, nuancés par l’éducation et l’histoire personnelle, ainsi que la configuration historique du système politique. Ces symptômes sont notamment le goût immodéré du pouvoir ; l’auto-mythification fondatrice, la limitation de l’histoire à son propre règne (il n’y avait rien avant moi, il n’y aura rien après moi) ; la confusion entre bonheur familial et bonheur national ; la régression monarchiste et la confusion entre patrimoine national et patrimoine personnel, entre la volonté personnelle et la légalité ; le mensonge, la duplicité et le manque de parole ; l’interprétation de toute critique comme de la persécution malveillante et infondée ; le primat de la force brutale comme moyen de compétition ou de persuasion politique.

Du cas de Pierre Nkurunziza

A examiner de près le cas de votre président, dirait aux Burundais le docteur en question, je constate qu’il manifeste les principaux signes cliniques du Sycadopa. Point n’est besoin d’être spécialiste pour le voir. Ces signes, je les lis dans vos propres témoignages et déclarations, dans vos plaintes et revendications mais surtout dans les propos de votre dirigeant. 

Prenons le goût immodéré du pouvoir. Votre Constitution dit bien à l’article 96 que « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. » Mais qu’a-t-il répondu à Tshitenge Lubabu M.K. dans Jeune Afrique (n°2725 du 31 au 6 avril 2013, p.40-41) qui demandait : « Mais accepterez-vous d’être candidat à votre succession si on vous le demandait…Ce ne serait pas une violation de la Constitution, qui a limité à deux le nombre de mandats présidentiels? » Eh bien, votre président a répondu ceci : « Seuls comptent les avis de la Cour constitutionnelle et de la Commissions électorale nationale indépendante. Ces organes sont les seuls habilités à accepter ou à rejeter une candidature ».

Le journaliste parle du primat de la Constitution, dont la Cour doit être la gardienne scrupuleuse, mais votre président parle du primat des avis de cette Cour et de la Commission électorale que lui-même a mises en place. Vous allez me dire que cette Cour dit le droit, mais rappelez-vous bien la radiation illégale des 22 députés jugés frondeurs. Cette Cour l’a avalisée les yeux fermés. Il n’y a aucun doute, cette Cour exécute la volonté du chef de l’Etat qui a un goût immodéré pour le pouvoir et est prêt à piétiner votre constitution !

Prenons ensuite l’auto-mythification fondatrice. L’un des traits essentiels des mythes, c’est d’indiquer les origines des choses par l’action d’une divinité ou d’un héros, d’un être surnaturel, extraordinaire, parent, favori ou élu de Dieu. Mais, rappelez-vous : Nkurunziza a déclaré qu’il est président non par la volonté du peuple, mais par celle de Dieu ! Et quand vous le voyez laver les pieds de ses coreligionnaires, vous pensez qu’il se prend pour qui ? Nul doute, votre président se prend pour un héros, un demi-dieu, qui a créé un monde. Seulement voyez quel monde il a créé, et pour qui c’est un paradis !

Jetons maintenant un coup d’œil sur sa vision de l’histoire. Je l’ai déjà dit, les gens atteints du Sycadopa s’imaginent que le monde a commencé avec eux et finira avec eux. Ils sont incapables de se penser simples citoyens. Perdre le pouvoir serait la fin du monde. Aucun autre humain n’a les mains bénies pour porter et garder le monde. Eux seuls peuvent assurer les dosages, les équilibres subtils nécessaires au bon fonctionnement de l’univers. Sans eux le monde s’effondre.  C’est parce qu’il est dans cette conviction que votre président a lors d’une récente réunion de responsables du parti au pouvoir, menacé quiconque aurait l’outrecuidance de chercher à se porter candidat président.

Et où constatons-nous la confusion entre bonheur familial et bonheur national ? En général, l’une des illusions des dirigeants de mauvaise étoffe est de projeter leur opulence personnelle sur le reste de la population. Parce qu’ils ne manquent de rien, et que les courtisans leur chantent en permanence que « tout va bien votre excellence », ils sont persuadés que nul n’a faim, nul n’a soif, nul n’est malade, angoissé, opprimé. Ils appliquent réellement cette vilaine devise : « Ce qui est à moi est à moi, ce qui est à vous est à nous tous ». Nkurunziza, votre président, dit mieux et en d’autres mots : « Si tout est à moi, tout le monde a tout » L’aide étrangère arrive, c’est pour lui et ses proches. La terre à cultiver manque mais, lui, a de multiples domaines ; l’Etat frôle la faillite, mais lui et ses amis ont des comptes garnis. Rwagasore Louis avait dit : « Vous nous jugerez à nos actes, et notre satisfaction sera notre fierté » Mais Nkurunziza pense : « Je n’ai que faire de votre satisfaction et ma satisfaction est que vous vous contentiez de mon bonheur

La duplicité est l’autre trait de caractère de votre président. Le double langage, dire une chose et faire une autre, se déjuger, faire semblant, faire le saint… Ainsi par exemple, en réplique au journaliste Tshitenge qui faisait remarquer que « Les journalistes burundais protestent contre un projet de loi sur la presse qui, selon eux, va restreindre davantage leur liberté. N’est-ce pas inquiétant ? », Nkurunziza, votre président a déclaré : « ...Même le président de la République doit respecter ce que prévoit la Constitution. Sans la rigueur de la loi, c’est le chaos. » Seulement voilà : lui-même n’en croit rien, et l’on ne compte plus le nombre de fois qu’il a violé la Constitution.

Pour tout le reste, dirait notre médecin, voyez vous-même ce qui se passe, comment les lois sont pliées pour accommoder les intérêts partisans, comment le pouvoir a la main lourde. Rappelez-vous la récente tuerie et les arrestations des disciples d’Eusébie. N’est-ce pas l’illustration d’un leadership sans tact ni patience de négociation, et dont la force de persuasion est la thanatocratie, le pouvoir de tuer ?

De l’état psychologique du tout prétendant futur à la présidence

Le drame d’un pays, et c’est hélas le cas du Burundi, c’est d’abord d’avoir une classe politique pleine de carences. Nous avons dit Sycadopa, syndrome de carence à dominante paranoïaque. Les carences de certains dirigeants africains sont d’ordre psychopathologique. Ce sont essentiellement des peureux, des psychologies mal assurées, des timides en surcompensation d’autorité, en quête d’étayage politique. Ce sont eux-mêmes qui décident de la fin tragique de leur règne, car ils entrent sur une scène dont ils n’ont pas l’art de sortir avec panache. Un homme stable, équilibré, moralement fort n’a pas besoin de massacrer les hommes tous les jours. Son autorité ne se fonde pas sur la peur, mais sur l’esprit d’équité, la force morale, le respect des principes rationnels. Car normalement et à mon sens, la politique, la vraie, n’est pas une arène  de fauves.  J’appelle donc de tous mes vœux l’avènement d’un président burundais, dont le profil psychologique serait celui d’un dirigeant au sens noble du terme, un homme courageux, digne et gentil au sens élevé du terme. En plus d’un examen médical somatique, c’est peut-être aussi un test de profilage psychologique que les candidats présidents devraient passer, avant de présider aux destinées des peuples.