Burundi : les médias dans le collimateur du pouvoir
Droits de l'Homme

@rib News, 03/05/2013 – Source AFP

 Visés par une nouvelle loi qualifiée de « liberticide » par la Société civile, les médias burundais sont dans le collimateur du pouvoir de Bujumbura, qui tente de restreindre l'espace de leurs libertés à deux ans d'élections générales.

Le texte, adopté lundi par le Parlement, a été préparé dans le plus grand secret tout au long de 2012. Il restreint la protection des sources, interdit aux journalistes de traiter de nombreuses informations jugées sensibles et prévoit des peines de prison et une très forte augmentation des amendes en cas de violations de ces dispositions.

La loi doit désormais être promulguée par le président burundais.

« Nous nous battons contre ce projet de loi depuis que nous avons appris son existence il y a plusieurs mois, mais le pouvoir continue », commente d'un ton amer Alexandre Niyungeko, président de l'Union burundaise des journalistes (UBJ).

« On a senti dès le début une volonté de mettre au pas la presse indépendante de ce pays », poursuit-il. « Nous savons maintenant que cette loi a été préparée par le parti au pouvoir pour se venger des journalistes qu'il accuse d'avoir tendu le micro aux opposants ».

Récemment, l'ancien secrétaire général du parti au pouvoir (CNDD-FDD) Gélase Ndabirabe, aujourd'hui Sénateur, a très clairement exprimé la motivation du texte: freiner les ardeurs de journalistes qui, depuis que l'opposition a déserté la scène politique il y a trois ans, se transforment selon lui en « politiciens ». L'opposition avait boycotté les dernières élections de 2010 et la plupart de ses dirigeants ont depuis fui le pays.

« Notre seul tort, c'est d'avoir dénoncé la corruption généralisée (...), les exécutions extrajudiciaires et les cas de tortures, les restrictions politiques imposées par le pouvoir », rétorque de son côté Eric Manirakiza, directeur de Radio publique africaine (RPA, privée), accusée par le pouvoir de rouler pour l'opposition.

« L'opposition politique a été pratiquement réduite à néant, il nous faut trouver une solution à la question posée par les médias et la Société civile, qui ont pris sa place dans la critique de notre pouvoir », explique sous couvert d'anonymat un cadre du CNDD-FDD. « La Société civile ne constituera plus une menace si elle n'a plus de radio (indépendantes) pour s'exprimer ».

La Société civile visée dans son ensemble

Depuis l'arrivée de Pierre Nkurunziza à la présidence du Burundi en 2005, une dizaine de journalistes ont été emprisonnés, d'autres ont subi des menaces de mort et ont dû s'exiler, des responsables de médias ont été harcelés et le porte-parole du gouvernement, Philippe Nzobonariba, a accusé à plusieurs reprises les stations indépendantes d'avoir pactisé « avec les ennemis » du Burundi.

Car à côté des journalistes, la Société civile est visée. « Le pouvoir s'apprête à revoir la loi qui régit les organisations non gouvernementales, ainsi que les manifestations publiques à deux ans de nouvelles élections au Burundi », s'inquiète Vital Nshimirimana, le délégué général du Forum pour le renforcement de la société civile (Forsc), une plate-forme qui regroupe près de 200 associations.

Les prochaines élections burundaises sont prévues en 2015 et l'opposition, sans voix depuis trois ans, cherche à revenir sur le devant de la scène.

La société civile burundaise, l'ensemble des partis politiques à l'exception du principal parti au pouvoir, le Bureau de l'Onu au Burundi, plusieurs pays occidentaux, mais aussi les organisations de défense des droits de l'Homme ou des médias, Human Rights Watch, Amnesty International et Reporters sans frontières ont tous dénoncé la nouvelle loi sur les médias.

Jeudi, selon l'UBJ, plus de 10.000 personnes avaient signé une pétition lancée par les professionnels burundais des médias, appelant le chef de l'Etat à ne pas promulguer le texte.

« La communauté internationale est inquiète et suit attentivement l'évolution de ce dossier », a déclaré un diplomate en poste au Burundi, sous couvert d'anonymat ajoutant que « certains pourraient reconsidérer leur coopération avec le Burundi si une telle loi était promulguée ».

Cette loi intervient quelques semaines après la libération d'un journaliste de Radio France internationale (RFI), Hassan Ruvakuki, dont la condamnation à trois ans de prison pour complicité avec un mouvement rebelle avait déjà déclenché une levée de boucliers des bailleurs de fonds du Burundi.

Le pays, l'un des plus pauvres au monde, dépend encore largement de l'aide extérieure: celle-ci assure environ la moitié de son budget national.