Au Burundi, une société divisée par la question foncière
Société

@rib News, 31/05/2013 – Source AFP

La scène se passe en plein Bujumbura, la capitale burundaise. La Police tente de déloger une famille tutsi d’une maison, pour la restituer à des Hutu « spoliés » il y a plus de quarante ans.Des émeutes éclatent.

« Nous sommes ici pour nous opposer à l’injustice, pour nous opposer à la CNTB (Commission nationale terres et autres biens) qui est en train de saper la réconciliation entre les Burundais », explique un porte-parole du millier de jeunes venus organiser la « résistance ».

« Ce qui se passe ici va diviser encore plus les Burundais et si les policiers veulent utiliser la force, ils devront d’abord nous tuer », renchérit un autre jeune homme.

Le face à face va durer six heures, faire une dizaine de blessés civils, quatre autres parmi les policiers. Plus de 20 jeunes sont arrêtés.

Au Burundi, petit pays d’Afrique centrale, ce genre de scène risque d’augmenter.

Auparavant partisane d’un partage des terres en cas de conflit entre nouveaux occupants et ex-propriétaires, privés de leurs biens au cours des différents conflits interethniques qui ont secoué le Burundi depuis 1972, la CNTB privilégie désormais les familles sur le retour.

Son nouveau président, Mgr Sérapion Bambonanire, n’hésite plus à revenir sur des cas réglés à l’amiable dans le passé. « Au nom de quel principe, peut-on justifier que quelqu’un partage sa terre avec quelqu’un qui la lui a volée ? » demande-t-il.

Fragile réconciliation

En 1972, après plusieurs années de tensions ethniques parfois meurtrières, une insurrection hutu éclate au Burundi.

Elle donne lieu à des tueries de Tutsi (14% de la population actuelle), dont la répression tourne à des massacres de l’élite hutu instruite. Selon les estimations, ces massacres font au moins 100.000 morts et poussent au départ des centaines de milliers de Hutu.

Dans leur exil, ils sont rejoints par les victimes d’une autre crise ethnique, en 1988, puis de ceux de la guerre civile (1993-2006).

A la faveur d’un processus de paix, plus de 500.000 réfugiés Burundais ont désormais été rapatriés. La majorité a retrouvé ses terres.

Des dizaines de milliers d’ex-réfugiés de 1972 se sont cependant retrouvés sans rien au retour : leurs terres ou maisons, souvent à l’époque réattribuées à des Tutsi et des Hutu par un gouvernement tutsi que les autorités hutu actuelles ne reconnaissent pas n’étaient plus libres.

C’est aujourd’hui ces cas que la CNTB tente de résoudre. Elle assure avoir réglé plus de 23.000 conflits à l’amiable, mais ses décisions, quasiment toujours en faveur des Hutu, clivent la société. Ce clivage concerne surtout le fait de restituer des terres sans indemniser les familles contraintes de quitter des habitations occupées souvent en toute bonne foi.

« La CNTB (...) privilégie de plus en plus les intérêts des rapatriés et généralement des gens de l’ethnie hutu plutôt que de considérer les difficultés aussi bien des rapatriés que des résidents », dénonce Pacifique Ninahazwe, figure de la société civile burundaise. Très souvent, pointe-t-il, les nouveaux habitants occupent de bonne foi la propriété au cœur du litige. « Si ça continue, ils vont sûrement entraîner d’autres conflits potentiellement dévastateurs ».

Mais les rapatriés, eux, s’impatientent. Certains sont à plusieurs reprises venus manifester à Bujumbura leur fatigue « d’attendre que justice (...) soit rendue ».

« En 1972, il y a des gens qui ont été tués et d’autres condamnés par le Gouvernement de l’époque. Alors ils ont fui le pays et quand ils sont revenus, ils ont trouvé leurs propriétés occupées par les autres », explique Samuel Nkengurukiyimana, à la tête d’une plate-forme associative qui défend la CNTB. « La seule solution c’est de restituer ces biens spoliés, sinon on ne pourra pas parler de la réconciliation ».

Le problème touche l’ensemble du territoire, et se pose avec d’autant plus d’acuité que ce pays à 90% agricole abrite plus de 8 millions de personnes sur 27.834 km². Dans certaines régions, la densité de population dépasse les 400 habitants au km².

« La CNTB avait pour mission de régler le problème foncier tout en réconciliant les Burundais. La question qui se pose aujourd’hui c’est si son travail va dans ce sens, au vu des crispations ethniques qui sont en train de resurgir », s’interroge un diplomate occidental.

Le Gouvernement du président Pierre Nkurunziza, un Hutu, a « félicité » la CNTB pour son « travail remarquable » et a refusé de mettre en place un fond d’indemnisation prévu par les accords de paix inter-burundais pour dédommager les victimes des différents conflits.

De plus en plus, les détracteurs du régime l’accusent de vouloir « instrumentaliser » la question ethnique à l’approche des élections de 2015, pour masquer les problèmes économiques du pays.

« Ce qui se passe avec la CNTB ressemble de plus en plus à une fuite en avant », reconnaît un haut cadre burundais.