Burundi : Le président et les avocatiers
Analyses

LE MONDE | 02.04.09 |

Chronique

Le président et les avocatiers, par Jean-Philippe Rémy

Le président Nkurunziza entrain de planter un arbreRien de ce que fait Alexis Sinduhije n'étant, d'une manière générale, tout à fait prévisible, il n'y a aucune raison de s'étonner que sa sortie de prison, à Bujumbura, ait échappé aux règles du genre. A Mpimba, la prison centrale de la capitale du Burundi, pratiquement en état d'autogestion en raison des carences de l'administration, toute personne libérée file d'ordinaire sans demander son reste. Le détenu Alexis Sinduhije, lui, a été applaudi par les prisonniers. Plusieurs centaines, des milliers, on ne sait plus, vêtus de leurs pyjamas-uniformes, regroupés en deux longues haies d'honneur et l'acclamant au moment où, son non-lieu tout juste prononcé, on lui rendait sa liberté. En quatre mois de détention, l'ancien journaliste passé à la politique avait eu le temps de se faire une réputation et de promettre un avenir meilleur aux détenus dont la plupart attendent en vain, parfois depuis dix ans, que leur cas soit instruit. La justice, dans un pays où elle fait si cruellement défaut.

Alexis SinduhijeAlexis Sinduhije avait été arrêté en novembre et accusé d'"outrage au chef de l'Etat", sur la base d'un document non signé que la police affirmait avoir trouvé dans son bureau, et qui contenait la phrase suivante : "La responsabilité dans les affaires de corruption et d'assassinats commandités par le parti CNDD-FDD (au pouvoir) incombe à l'homme qui passe tout son temps dans les séances de prière."

Cet "outrage" d'un genre somme toute assez cryptique était extrait d'une analyse inachevée du parti non autorisé de M. Sinduhije, et ces mots auraient pu en effet désigner le chef de l'Etat. Pierre Nkurunziza consacre une partie importante de son temps à des séances de prière collective qui incluent des exercices spirituels, de nature assez athlétique, exercés sur la pointe des fesses, jambes tendues, torse relevé, montrant que l'élan mystique et les abdominaux peuvent se compléter harmonieusement.

Le président Nkurunziza jouant au footballLe président aime aussi disputer des parties de football (il joue attaquant, bien sûr), ou sillonner les collines du Burundi à vélo pour y mener des campagnes de plantations d'avocatiers. Cela déchaîne les sarcasmes de ses opposants, mais ses partisans en défendent le principe en affirmant qu'il s'agit là d'une façon d'exercer le pouvoir en restant proche des gens simples, désormais pourvus d'abondantes récoltes d'avocats, source de vitamines bien connue.

Dimanche 29 mars, pas de sport. Pierre Nkurunziza présidait un congrès de son parti ouvrant la voie à sa réélection lors des prochaines élections, l'année prochaine. Le rendez-vous d'Alexis Sinduhije avec les autorités, pour voir son propre parti politique - fondé en décembre 2007 - recevoir enfin son agrément promis, a été repoussé dans la foulée. "Ce n'est pas fini. Ils me cherchent encore des poux dans la tête", commente le chef du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD)

En la matière, Alexis Sinduhije parle en expert. Avec sa radio RPA, fondée en 2001, il a créé une équipe de choc capable de beaucoup dire, au pays des tabous, des silences et des barrières ethniques. Le patron de la RPA est né tutsi à Kamenge, quartier majoritairement hutu, mais mixte. Qui l'était en tout cas pendant sa jeunesse. Car au cours de la guerre civile (1993-2005, peut-être 300 000 morts au total), des vagues d'épuration ethnique ont ensanglanté et séparé les ethnies à Bujumbura, la capitale.

Au pays des radios de la haine, qui avaient guidé les machettes ou les fusils des assassins lors des grands massacres, RPA est resté "mixte" même quand la rue ne l'était plus. On y a vu des journalistes tutsi enquêter sur les crimes de militaires tutsi ou de rebelles hutu avec la même énergie. A l'époque, Alexis Sinduhije était très proche des rebelles hutu dirigés alors par Pierre Nkurunziza. Quand ces derniers se trouvaient entre le maquis et la Tanzanie voisine, il était pratiquement leur seul contact avec la presse. Puis les rebelles ont abandonné les armes pour rejoindre le Burundi et y former un parti politique. Pierre Nkurunziza, en août 2005, a remporté les élections. Ce soir-là, dans la liesse générale, Alexis Sinduhije nous prédisait : "Oui, je suis content, mais tu verras, je serai l'un des premiers qu'ils mettront en prison."

Il avait considérablement gêné le régime précédent. Avec le nouveau pouvoir, il n'a pas dévié d'un iota. Et, comme homme politique, Alexis Sinduhije a bien l'intention de briser quelques tabous, comme ceux qui entourent le cas des grands massacres de 1972 dans le pays, considérés comme des "actes de génocide" par les Nations unies, et qui ont fait 100 000 morts. Ces massacres, comme ceux de 1993, pèsent sur l'âme de tout un pays.

Que s'est-il passé en 1972 au Burundi ? Une ikiza, une "catastrophe". A la suite d'une attaque de rebelles hutu massacrant aveuglément des Tutsi, une terrible répression s'est abattue sur les Hutu. La majeure partie des cadres, des élèves, des militaires ont été arrêtés et exécutés par l'armée, l'administration et des milices du parti au pouvoir. "Des familles ont perdu tous leurs enfants, tués à l'école. Ils n'ont jamais pu les enterrer (car jetés dans des fosses communes), ils n'ont jamais pu faire le deuil, et personne, jamais, n'aborde cette question au Burundi", s'enflamme Alexis Sinduhije, qui peaufine un programme politique où cohabitent baisse des dépenses militaires et développement des campagnes. Sans avocatiers.

Jean-Philippe Rémy