Pour ou contre la candidature de Nkurunziza : Et si le débat était ailleurs ?
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@rib News, 23/09/2013

Premier ou deuxième mandat : Faux débats et vrais enjeux

 Par Salvator Sunzu, journaliste

Que n’a-t-on entendu sur ce(s) mandat(1) ? Les articles de la Constitution et de l’Accord d’Arusha, se complètent ou se contredisent au gré des interprétations que l’on en fait. L’impasse est totale et le pays vit au rythme des incertitudes. La Cour constitutionnelle est évoquée pour trancher, mais vite rejetée par ceux qui la qualifient de plus "présidentielle" que constitutionnelle. La même Cour n’est que constitutionnelle. Pour ce qui est de l’application de l’Accord d’Arusha, dont s’est inspiré la Constitution, la défunte commission chargée du suivi de l’Accord d’Arusha s’en est chargée. Les lignes ne bougent pas, chacun campant sur sa position. A quoi s’en tenir ou à qui se vouer dans pareille situation ?

Mandats ou nombre d’années ?

La dernière trouvaille est celle de s’en remettre aux garants de l’Accord d’Arusha. Ces derniers sont (i) les partis signataires de l’Accord eux-mêmes, (ii) la communauté internationale, (iii) le facilitateur (iv) l’initiative régionale. Mais sur ces points conflictuels, la Constitution contredit l’Accord d’Arusha. Il y a donc risque de collusion entre la Cour constitutionnelle et les garants.

De fil en aiguille, le conflit n’est pas près de se terminer. Il risque de perdurer, pour la simple raison que l’on est entré dans un faux débat. Un débat plus de forme que de fond. Est ce un problème de mandat qui est en jeu, où est-ce la question de ce qu’on en fait qui se pose ?

De commun accord, les acteurs dans tous les Etats démocratiques se sont convenus de limiter, non pas tellement les mandats présidentiels, mais le nombre d’années au pouvoir. Pour un certains nombre de raisons dont notamment la limitation de l’usure au pouvoir. Car en effet, le pouvoir use. Et il use absolument. Le pouvoir corrompt, et il corrompt absolument.  1er ou deuxième mandat, 10 ans suffisent ou ne suffisent pas pour exécuter le programme d’un parti dont les couleurs ont porté son candidat au sommet de l’Etat ?

Autrement dit, un pouvoir de dix ans d’un homme, voire d’un parti,  permet-il de garder des énergies supplémentaires susceptibles d’apporter un nouveau souffle ? Laisse-t-il le goût amer d’un chantier inachevé ? Et lequel chantier ne pourrait être achevé par un éventuel successeur qu’il soit du parti au pouvoir ou de l’opposition ? Le pouvoir use, disons-nous. Notre président peut ne pas sentir cette usure. Encore que les délices du palais sont un calmant certain. Il est relativement jeune c’est vrai. Sportif sans doute, et sobre, semble-t-il. Il prie aussi. Question de garder l’esprit sain dans un corps sain. Mais cela suffit-il pour le mettre à l’abri ?

La politique ne se réduit ni à un jeu, ni aux coups bas.

Au delà donc des combats des articles constitutionnels et des Accords que se mènent les "partitocrates" (pour éviter le terme de politiciens et signifier "ceux qui font des partis leur gagne pain et sans projet de société’’), la question de fond est l’adhésion ou pas par ces derniers au pacte d’Arusha et à la Constitution.

Le premier recommande que la deuxième soit fondée sur "l’instauration d’un nouvel ordre politique" et une Constitution "fondée sur les valeurs de justice, de la primauté du droit, de démocratie, de bonne gouvernance, de pluralisme, de respect des droits et libertés fondamentaux des individus, d’unité, de solidarité… de tolérance entre les différentes composantes politiques et ethniques du peuple burundais".

Il ne suffit pas que la Constitution le dise. Faut-il surtout que  les acteurs respectent son contenu. Ceux qui font de la politique comme un jeu où tous les coups bas sont permis font fausse route. Ceux qui réduisent la politique à un simple jeu (umukino) de déplacement de pion, de retournement de veste, de flirts opportunistes entre partis ne partageant aucun projet de société sont de piètres joueurs, des politiciens accidentels, et donc un danger pour le pays. Dangereux sont aussi ceux qui prétendent déboulonner un pouvoir dans un ordre aussi dispersé.

La politique est, et restera longtemps, l’art de diriger des gens, une communauté, un  pays pour le bien de ces derniers. Et pas pour ses intérêts. Ce n’est certainement pas l’art de mentir et de dissimulation.

L’actuel ou un autre : bonnet-blanc, blanc-bonnet.

Important aussi est l’appréciation objective que notre président lui-même se fait des ses dix années au pouvoir. Et surtout de ce qu’il compterait faire de cinq années supplémentaires que certains de ses lieutenants lui accordent déjà. Et le faire sans susciter un sentiment de lassitude chez les citoyens et le courroux des autres présidentiables.

Le pouvoir crétinise. 10 ans au pouvoir, Michel Micombero était déjà une loque. Le comportement de Jean-Baptiste Bagaza frisait la démence. Toujours après 10 ans. Kagame se tient toujours comme un i après 15 ans au palais. N’eut été le poids de l’âge, Museveni tient toujours le bâton de commandement. On ne sait pour combien de temps. Et d’autres encore… Mais autres cieux, autres mœurs.

Le réveil des vieux démons hante notre République. Que l’on accuse un certain parti d’avoir baratiné l’Accord d’Arusha pour en sortir une Constitution taillée à sa mesure est une chose. S’obstiner à rester dans les mêmes errances en est une autre. Les éradiquer serait un honneur. Cela dit, si notre président et son parti parviennent à convaincre les garants de l’Accord et la Cour constitutionnelle de la légalité de sa candidature, l’opposition ne pourra faire que son mea-culpa et laisser le chef de l’Etat se porter candidat. Candidat-président et non pas président. Car après tout, la candidature de l’actuel ou un autre du même parti, n’est ce pas bonnet-blanc et blanc-bonnet ?