Hommage à l’Abbé Michel Kayoya : Un prophète assassiné
Analyses

@rib News, 21/04/2009

BURUNDI :

L’HUMANISME SPIRITUEL DE L’ABBE MICHEL KAYOYA

Par Joseph Ntamahungiro*

A l’occasion du 75ème anniversaire de la naissance et du 37ème anniversaire de l’ignoble assassinat de l’Abbé Michel Kayoya, prêtre, écrivain, philosophe et martyr, l’auteur lui rend un profond hommage.

Biographie

Feu Abbé Michel KayoyaL’abbé Michel Kayoya est né le 8 décembre 1934 à Kibumbu dans l’actuelle Commune de Kayokwe en Province de Mwaro, au Burundi. De 1943 à 1948, il fit l’école primaire de sa paroisse puis le Petit Séminaire de Mugera de 1949 à 1955. De 1955 à 1958, il étudia au  Grand Séminaire de Burasira. En 1958, il fut admis au Scolasticat de la Société missionnaire d’Afrique (Pères Blancs) à Heverlee (Belgique). En 1962, il abandonna son projet de devenir missionnaire d’Afrique et retourna au Burundi où il acheva sa formation au Grand séminaire de Burasira. Il fut ordonné prêtre à Kibumbu le 8 juillet 1963. De 1963 à 1964, il fut, en même temps que vicaire paroissial, aumônier de l’Ecole Moyenne Pédagogique de Rusengo. Il y fonda le «Centre Culturel de Buyogoma» qui, malheureusement, disparut rapidement car l’abbé Michel Kayoya partit à Lille de 1964 à 1965 pour la formation à l’Ecole Missionnaire pour l’Action Catholique et l’Action Sociale (EMA-CAS).

A son retour au Burundi, il fut chargé de l’animation des Mouvements d’Action catholique et des Coopératives.  En 1967, il fut nommé recteur du Petit Séminaire de Mugera qu’il quittera en juillet 1970 pour aller relever, en qualité d’Econome général, la situation financière du Diocèse de Muyinga qui était catastrophique. Il y réussit très bien.  Il lança notamment un système d’organisation financière du diocèse axé sur l’exploitation des biens des paroisses pour leur autofinancement. Ce système fut très apprécié même au-delà du diocèse et fut adopté par différents diocèses. Ce succès valut malheureusement à l’Abbé Michel Kayoya des jalousies d’un autre prêtre [1] qui le contraria, le décria et le dénigra auprès de l’Evêque du lieu, Mgr Nestor Bihonda.  L’Abbé Kayoya se fit aussi le promoteur d’un organe d’animation et de concertation dénommé «Union du Clergé Incardiné» (UCL). Il voulut aussi étendre à Muyinga une initiative d’ordre spirituel lancée en 1965 à Gitega : la formation de jeunes filles burundaises à une vie religieuse solidaire de la condition des masses paysannes de leur pays. Les jalousies se déchaînèrent alors avec une telle violence et une force d’intrigues tellement diaboliques que Mgr Bihonda résilia unilatéralement son contrat en l’éloignant du Diocèse et en le renvoyant dans son Diocèse de Gitega qui l’avait prêté au Diocèse de Muyinga.

Un prophète assassiné

Juste avant l’éclatement du génocide contre les Hutu en 1972, l’Abbé Michel Kayoya fut dénoncé injustement comme «raciste » par le même prêtre qui lui avait causé tant d’ennuis à Muyinga. Au début du génocide, il fut arrêté et mis en prison à Gitega avec une cinquantaine d’autres, prêtres et laïcs confondus. Tous furent amenés de nuit, le 15 (ou le 17) mai 1972 vers une des nombreuses fosses communes qui engloutirent des centaines de milliers de Hutu en cette année macabre.  Selon Sœur Sophie Kertsen déjà citée,

«Pendant le peu de jours qu’il a passés en prison, il a mis tout son cœur et toutes ses forces à exhorter ses compagnons d’holocauste, prêtres et laïcs confondus (en tout, une cinquantaine), à pardonner  comme Jésus.  Des témoins ont rapporté qu’en route vers le martyre, il les faisait chanter : «Twese tuzopfa ; Tuzoja mw’ijuru » (Nous mourrons tous ; nous irons au ciel), le magnificat et autres cantiques. Et cela jusqu’au lieu du supplice, au-delà du Pont Pequet, tout à fait au bord de la Ruvubu. C’est là qu’ils furent entassés les uns sur les autres dans une fosse commune, certains même encore vivants.  Comme si les bourreaux avaient reconnu en lui le pasteur des brebis sacrifiés, Patri Michel Kayoya a été non seulement le dernier de la liste mais aussi l’unique à être fusillé pendant que les autres mouraient à coups de gourdins ou simplement par étouffement.. » [2]  

Commentant ce supplice ignoble, Mgr Joachim Ntahondereye, actuel évêque du Diocèse de Muyinga, écrit:

«Le fait qu’il ait été fusillé, contrairement à ses compagnons qui moururent étouffés ou assommés de coups, n’a pas empêché qu’il finisse avec eux dans une fosse commune, juste aux pieds de la colline de Mugera sur laquelle s’érige le Séminaire qu’il avait si bien dirigé auparavant. Ce sort infamant ne fut guère un pur effet du hasard.  Tout porte à croire qu’il relevait d’un calcul politique destiné à noyer dans le sang et la honte l’élan de fierté et de combativité que sa pensée commençait à susciter dans certaines consciences » [3].

Cette fosse commune est encore localisable sur les rives de la rivière Ruvubu, à la jonction de Gitega, Mugera et Karuzi. Pour un témoin, «le meurtre de l’Abbé Michel Kayoya, poète et penseur, au cours de l’hécatombe de 1972, est à placer dans le cadre de l’anéantissement de la mémoire et des symboles d’un peuple, pour l’empêcher de s’éveiller » [4] 

Hymne au peuple burundais

Dans ses deux livres [5], l’Abbé Michel Kayoya rend un hommage appuyé aux valeurs ancestrales qui ont permis de bâtir la nation burundaise. Il chante les hommes qui, à force de courage, de ténacité et  de caractère, ont forgé le passé glorieux du Burundi, ainsi que les femmes dignes car elles ont accepté d’êtres mères et gardiennes du secret de la vie.  Alors qu’en général ceux qui ont fait des études méprisent les paysans et les hommes de basse condition, l’Abbé Kayoya les chérit. 

Rompant avec le discours clérical qui méprisait la femme et la présentait comme objet de tentation, l’Abbé Kayoya chante un hymne à la femme à l’exemple des cantiques des cantiques dans ce passage :

          «Que vous êtes belles mes sœurs quand la cruche sur la tête

            Vous entonnez un chant

            Vous ressemblez alors à ces déesses

            Auxquelles les Grecs érigeaient des statues

            Toute la délicatesse féminine envahit

            Votre être de chair et d’esprit

             Et impose à quiconque l’admiration, l’adoration

             De tout ce qu’il y a de divin dans ce geste de vérité » [6]

L’autopsie du peuple burundais

Comparant l’époque moderne à l’ancienne, l’Abbé Michel Kayoya regrette que le peuple burundais a perdu ses repères lors de la rencontre brutale avec l’Occident. Il constate que ce peuple est tombé dans le sous-développement. Il écrit :

         «Le vrai sous-développement apparait quand mis brutalement dans une mauvaise   rencontre (…), nos peuples ont perdu le contrôle d’eux-mêmes. Je suis de plus en plus convaincu que le vrai sous-développement ne consiste pas principalement dans un manque de choses, et que par conséquent notre vigoureuse action de développement ne doit pas s’arrêter au seul manque de choses : manque d’instruction, manque de nourriture suffisante, manque de logements convenables, manque de soins de santé suffisants (….) Le sous-développement est l’état faussé des peuples souffrant gravement d’une dégénérescence sociale, d’une hébétude sociale, d’un parasitisme freinant tout progrès, d’une myopie sociale, d’une sorte de « bougeotte sociale » et d’une « religiose », c’est-à-dire toute religion qui, en pratique, n’est pas ouverte au développement intégral de l’homme. » [7]

Développant chacune de ces notions, il décrit ainsi l’hébétude sociale :

«L’hébétude sociale est l’état maladif de ce peuple qui n’a plus confiance en ses fils,qu’il soupçonne incompétents, voleurs, sans conscience, sans plan, sans projets. De ce peuple désorienté qui aspire aux temps merveilleux de la colonisation où il y avait de l’organisation, du travail et de l’argent (…). C’est l’état des pays en voie de développement – pays à administrations pompeuses où des petits bourgs sont régis pardes lois de grandes villes ». C’est aussi des pays où «la paperasserie occidentale s’accumule et donne l’illusion d’une machine qui marche. Où des bureaux sontenvahis par un nombre incalculable de fonctionnaires mis là parce que ça existe ailleurs. Au lieu de créer du travail, on crée d’abord un fonctionnaire.»[8]

Rupture avec la sainte obéissance

Rompant avec la sainte obéissance qui veut qu’on ne critique pas « sa mère l’Eglise», l’abbé Michel Kayoya dénonce la Religiose, cette religion au « stade instinctif, stade enfantin, manteau du Dimanche, manteau emprunté, cette charité superficielle, charité-aumône, une charité qui a peur d’attaquer de front les causes réelles du sous-développement » [9]  Mieux, l’abbé Kayoya dénonce une certaine vision de l’œuvre missionnaire. Il écrit : «Le légalisme s’installa.  Le moralisme boucha les yeux à ceux qui mirent l’évangile à côté de la vie. Le simple se contenta de l’humilité et de la patience.  Le riche se débrouilla avec la charité-aumône (…).  Ils arrivaient en Afrique pour des objectifs purement humains.  La corruption se cachait hélas derrière des principes d’évangile. La domination temporelle se servait de la domination spirituelle » [10]

Dénonciation de l’intelligentsia burundaise

Partant de son exemple, l’abbé Kayoya écrit que l’enseignement reçu était un enseignement livresque déconnecté de la réalité burundaise et surtout éloignant l’intellectuel de son peuple. «Je ne me rappelle pas, écrit-il, avoir appris à aimer mon peuple. Je ne me rappelle pas avoir appris à sortir mon peuple du sous-développement » [11], . C’est pour cela que l’intellectuel burundais a raté sa mission. L’intellectuel «perd les vraies valeurs (la rectitude du jugement, la persévérance, le souci de l’indépendance, la maîtrise des situations, la foi dans l’homme, la confiance dans l’effort) pour courir après des réalités futiles (perles d’Arabie, cigarette, le Whisky, les sacoches, la maison de l’Etat) qui ont contribué à distraire le peuple et à l’abêtir » [12]  L’Abbé Kayoya ajoute à propos de ces mêmes intellectuels burundais :

«Ils n’ont plus le temps de vivre. Ils ramassent tout ce qu’ils rencontrent. Ils courent bêtement vers des idées qu’ils qualifient de savoir. […] Pour nos rejetons, savoir c’est se remplir de représentations, c’est savoir débiter ce qu’ils ramassent chez ces Blancs qui leur ôtent le cœur. » [13]

Quant aux femmes dites ‘évoluées’, l’Abbé Kayoya écrit d’elles : «Tous les modes bizarres importés ont dépouillé nos sœurs et de leur majesté, et de leur pudeur et de leur grâce et de leur sagesse de femme et de mère.  Un bouleversement s’est opéré dans nos têtes de nègres envoûtés.  L’évolué n’est plus apprécié comme l’homme qui EST mais comme celui qui A » [14]

L’Humanisme spirituel de l’Abbé Michel Kayoya

Dans ses deux livres, l’Abbé Kayoya appelle les Barundi à un retour sur eux-mêmes pour retrouver leurs valeurs perdues lors de la rencontre brutale avec l’Occident par la colonisation, les idéologies européennes (capitalisme et communisme) et même le christianisme. Pour exprimer ces valeurs sans les dénaturer, il les garde dans sa langue maternelle, le Kirundi, il préfère ne pas les traduire pour ne pas les appauvrir. La traduction que je propose est juste pour en donner une idée.  Selon le Cercle saint Paul [15], Imana (Dieu), Iteka (dignité), Ubupfasoni (politesse, noblesse), Ubutungane (justice, droiture), Ubuvyeyi (maternité et paternité dans le sens de dignité) se résument dans la terme Ubuntu. Ce dernier terme signifie à la fois : humanisme, bonté, générosité, compassion, sagesse agissante, affabilité et amabilité, gentillesse dans le sens d’amour conscient et désintéressé. En tant qu’homme, chrétien et surtout prêtre, l’Abbé Michel Kayoya définit ainsi sa mission :

«Aimer l’homme, écrit-il, c’est le rendre sain, l’instruire, le rendre conscient, l’éduquer, développer en lui ses sentiments de solidarité, le rendre digne, libre, capable de répondre à son Destin d’infini» [16]

Ainsi donc la vocation de tout homme se résume dans ce paradigme : Construire sa vie  et la vie des autres, c’est la loi de l’homme qui veut mener à bien le laps de temps dont il a conscience et dont il vit.. Quant au bonheur, il «n’est pas un fruit mûr qu’on cueille.  C’et un fruit qu’on mûrit, une fleur qu’on sème, arrose, taille. Le bonheur est plus dans le don que dans la réception » [17].

Et il conclut ainsi son message :

«Pour nous, dans notre vigoureuse randonnée vers la construction d’un monde à la taille de l’Univers

Il ne s’agit pas de vivre sans vivre

Il ne s’agit pas d’admettre seulement des valeurs spiritualisantes

De vivre sans regarder la vie en face

De nous laisser tomber par le ‘poids de nous-mêmes’

Il nous faut un engagement, une mise en question

Des sacrifices

Une décision voulue d’être nous-mêmes

Autrement l’Histoire cherchera avec peine ‘notre passage dans le monde des humains» [18]

La pensée de l’Abbé Michel Kayoya dans la littérature

Au cours de notre recherche, nous avons pu prendre connaissance de quelques travaux académiques (il y’en a peut-être d’autres) qui  ont été consacrés à son œuvre ou qui y font allusion. Il s’agit de :

- 1977: Charles Karikurubu, « Le dilemme culturel vu par Michel Kayoya, Cheikh Hamidou Kane et Ousmane Socé. Mémoire inédit, Bruxelles, Université Libre de Bruxelles

- 1980 : Joseph Ntamahungiro le cite longuement dans son mémoire «L’engagement chez Gabriel Marcel et dans la ‘Philosophie noire’ », Mémoire de Licence présenté à la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg (Suisse) pour l’obtention du grade de Licencié ès Lettres, Fribourg, 138 p.

- 1986 : Jacques Hatungimana, « Le bilinguisme kirundi-français ou la  recherche  d’une écriture dans l’œuvre de Michel Kayoya ». Mémoire dirigé par Claude Frey et Pierre Nkanira, Université du Burundi, département de Langue et Littérature françaises, 167 p.

- 1992: Janvière Nhimana, «Commentaire et essai de détermination du genre de l’œuvre de Michel Kayoya », Mémoire inédit, Louvain-la-Neuve, Université catholique de Louvain.

- 2003 : Mgr Joachim Ntahondereye (sous la direction de),  «L’humanisme de Michel Kayoya. Pour une paix dans la dignité au Burundi ». Bujumbura, Centre Ubuntu, 120 p

- 2006 : Malaïka Macumi, «Ecriture de l’Histoire et du témoignage dans la littérature francophone africaine : l’exemple du Burundi » (1962-1965). Lire l'analyse 

- 2006 : J. Chrysostome Minani, «La vérité et l’amour : un défi moral pour la réconciliation d’un peuple divisé ». Le cas du Burundi. Mémoire de licence en   Théologie, Université Catholique de Lille, 178 p.

L’aujourd’hui de l’héritage de l’Abbé Michel Kayoya

Comme le note à juste titre Mgr Joachim Ntahondereye déjà cité :

«les cerveaux de ce crime oubliaient que, difficilement, l’on étouffe à jamais la voix des martyrs de la vérité. C’est souvent quand on pense les avoir muselés qu’ils deviennent plus éloquents et que leurs idées font du chemin. En tant que tel, Kayoya n’a certainement pas encore dit son dernier mot» [19] 

Effectivement, l’abbé Michel Kayoya n’est pas mort définitivement puisque sa pensée continue à faire des émules.  A titre d’exemples,

1)     Ses deux livres longtemps mis à l’index ont été réédités en 1971. Ils viennent d’être réédités une nouvelle fois en 2007 [20]

2)     Nous avons signalé plus haut les travaux académiques qui ont été consacrés à sa pensée.

3)     Au début de l’année 1992, une douzaine de prêtres, de pasteurs, de professeurs et d’administratifs Hutu et Tutsi se sont mis ensemble pour fonder l’Association Iragi rya Michel Kayoya (I.M.K : L’Héritage de Michel Kayoya) [21]. L’IMK n’a pas pu continuer ses objectifs suite à l’assassinat et à l’éparpillement de ses membres, lors de la grave crise qui secoua le Burundi en 1993 après l’assassinat, le 21 Octobre 1993, de Melchior Ndadaye, Premier Hutu Président de la République, démocratiquement élu.

4)     En Italie, des Burundais ont continué l’héritage de l’Abbé Michel Kayoya en fondant le Centro Studi Michel Kayoya (Centre d’Etudes Michel Kayoya) qui durera jusqu’en 1995.

5)     Sans porter son nom, deux initiatives dénommées Centre Tuj’ibuntu (Allons vers l’Ubuntu) et Ubuntu sont nées respectivement à Genève et à Bujumbura (Burundi) pour continuer à répandre son message.  Elles sont l’œuvre deux prêtres burundais, Epitace Ntawanka (Genève, +) et Emmanuel Ntakarutimana (Bujumbura)

6)     Le 29 janvier 2005, une trentaine de Barundi et d’Européens ont repris le flambeau en créant à Aix-La-Chapelle (Allemagne) la Fondation Michel Kayoya (FMK) dont l’objectif premier est de «soutenir l’évolution de la démocratie et d’une paix durable au Burundi».

7)  Enfin, à l’heure où nous écrivons ces lignes, nous apprenons que le Service Culture du Projet Iwacu du Centre d’Echanges Bego-Burundais (CEBB), une association sans but lucratif burundaise basée à Bruxelles mais l’action se mène au Burundi, vient d’organiser le lancement du « Prix Michel Kayoya »[22]

En clair, la pensée de l’Abbé Michel Kayoya est d’une brûlante actualité.  C’est ce que rappelait le Frère Emmanuel Ntakarutimana lors des préparatifs du lancement du Centre Ubuntu.  Il justifiait ainsi le lancement de ce projet :

« Après 7 ans d’une crise socio-politique née de blessures historiques profondes ainsi que des conséquences des mutations historiques liées à la globalisation et aux mouvements de démocratisation créant une nouvelle conscience dans les populations, tous les Burundais et tous les habitants de la région des Grands Lacs ont été touchés et affectés de l’une ou de l’autre façon. Les disparitions humaines, les destructions des infrastructures et les peurs paniques que tout cela a générées ont conduit à un effondrement des fondements éthiques et des blessures historiques profondes qui nécessitent un travail long et patient de thérapie sociale en vue de la reconstruction des personnes et des biens ».  Pour faire face à cette situation, le Centre Ubuntu se fixait comme objectifs un « travail de reconstruction e la société burundaise à partir de la valeur d’Ubuntu’ et des autres valeurs culturelles et religieuses ».  Il s’agit de  « promouvoir les techniques de ‘healing process’ pour une thérapie sociale », de « renforcer le lien génétique entre Vérité-Justice-paix » et de «développer une vision de dialogue qui dépasse les différences de confessions religieuses, de partis politiques, d’ethnies, d’origines régionales et de sexe dans les interventions »[23].

En guise de conclusion

Comme l’écrit Edwy Plenel sous le beau titre « ‘Ubuntu’, ce mot d’Humanité,

«nous devrions le faire nôtre. Il est si riche que les linguistes appellent à la rescousse une foultitude d'autres mots pour en dire les nuances. "Ubuntu", soit en langue savante : "la qualité inhérente au fait d'être une personne avec d'autres personnes". Quand il l'emploie dans son autobiographie, Nelson Mandela le traduit en anglais par fellowship, littéralement camaraderie ou, dans le contexte, concitoyenneté. En fait, l'"ubuntu" dit bien plus, bien au-delà : une manière d'être humain, une façon de se conduire en humain, une pratique de l'humanité mutuelle. Aussi, loin d'être réductrice, la traduction de Mandela est au cœur de l'invention politique sud-africaine, cette réponse sans précédent apportée par les militants antiapartheid à la question posée par toute libération : comment vivre ensemble après la haine, après la guerre civile, après le crime contre l'humanité ? Comment refaire lien là où il n'y avait que séparation ?»[24]

Pour Mandela donc cité par Edwy Plenel, il s’agit de libérer l’opprimé et l’oppresseur.

«Ma faim de liberté pour mon propre peuple devint une faim de liberté pour tous les peuples, les Blancs et les Noirs… Quand je sortis de prison, telle fut alors ma mission : libérer à la fois l'opprimé et l'oppresseur. La vérité, c'est que nous ne sommes pas encore libres ; nous avons simplement acquis la liberté d'être libres… »[25]

En d’autres mots, il faut que l’esclave libère le maître,

«refonder le contrat social, c'est-à-dire rompre avec la culture politique de la violence générée par l'injustice de l'apartheid. Coupables et victimes ont donc été invités à se faire face, dans une confrontation où se joue le respect à venir. L'amnistie générale, qui vaudrait amnésie, était exclue. Seuls des actes particuliers, mettant en cause la relation concrète entre êtres humains, étaient amnistiables, à condition qu'ils soient pleinement reconnus par leurs auteurs »[26]

N’est-ce pas ce message que l’Abbé Michel Kayoya nous adresse à la fin de « Entre Deux mondes » quand il écrit : 

         «Les chicanes racistes se résorbent dans la sueur du front tendu vers l’ouvre         commune Le catholique invite le protestant  Le musulman côtoie le païen L’animiste oublie ses amulettes Le temps est voué au développement » [27]

* Joseph Ntamahungiro est journaliste et membre de la Fondation Michel Kayoya


[1] Voir Sœur Sophie Kersten, «Kayoya : un saint prêtre, simple et fraternel», in «L’humanisme de Michel Kayoya. Pour une paix dans la dignité au Burundi », Editions Centre Ubuntu, Bujumbura, décembre 2003,  p. 115-117 

[2] Sœur Sophie Kersten, «Kayoya : un saint prêtre, simple et fraternel», article cité  p. 117 

[3] Mgr Joachim Ntahondereye, «Michel Kayoya : une vie courte mais porteuse d’espoir», in  «L’humanisme de Michel Kayoya…, op. cit. p. 16  

[4] Stanislas Ngendakumana, «Un prophète assassiné sur le fond d’une mémoire volée et violée »,  idem  p. 23

[5] Abbé Michel Kayoya, «Sur les traces de mon père.  Jeunesse du Burundi à la découverte de valeurs», Presses Lavigerie, Bujumbura, 2ème édition, 1971, 143 p. ;  «Entre deux mondes : Sur la route du développement», Presses Lavigerie, Bujumbura, 1971, 151 p.

[6]Abbé Michel Kayoya, Entre deux mondes. D’une génération à l’autre, Bologna, Avril 2007, p.182-183

[7] Abbé Michel Kayoya, Entre deux mondes », op cit. p. 50-51

[8] Abbé Michel Kayoya, « Entre deux mondes », op. cit. p. 103

[9] Abbé Michel Kayoya, Entre deux mondes, op. cit.  p. 240

[10] Abbé Michel Kayoya, Sur les traces de mon père, op. cit. p. 98

[11] Abbé Michel Kayoya, Entre deux mondes, p. 133

[12] Abbé Michel Kayoya, « Entre deux mondes, op. cit. p. 77-78

[13] Abbé Michel Kayoya, « Sur les traces de mon père »,op. cit. p. 33

[14] Abbé Michel Kayoya, « Entre Deux Mondes », op. cit. p. 78-79

[15] Revue du Grand Séminaire de Burasira/Burundi

[16] Sur les Traces de mon père, op. cit ; p. 106-107

[17] Abbé Michel Kayoya, « Entre deux mondes », op. cit. p. 37

[18] Sur les traces de mon père, p. 134-135, op. cit. p. 134 - 135

[19] Avant-propos : «Epris d’humanisme pour lutter dans la dignité », in L’humanisme de Michel Kayoya….op.cit.  p.  17

[20] Editrice Missionaria Italiana, « Entre deux mondes : D’une génération à l’autre », Bologna, Avril 2007, 301 p.

[21] Abbé Jean Kadende, «L’idéal et le destin de l’Association ‘Iragi rya Michel Kayoya’ », in L’humanisme de Michel Kayoya…op.cit.  p 93-105.  

[22] Nous vous en dirons d’avantage plus tard quand nous aurons des informations plus précises.  L’essentiel est cette reconnaissance d’une pensée qui n’a pris aucune ride malgré les années et les turbulences de l’histoire du Burundi.

[23] Frère Emmanuel Ntakarutimana (op), «Centre Ubuntu », Mouture 3 du 3 septembre 2001, p. 2 et 1

[24] Edwy Plenel, « Ubuntu », Ce mot d’Humanité », Editorial du Journal Le Monde, Paris, 30/12/2004, 2 p.

[25] Nelson Mandela, « Un long chemin vers la liberté », Fayard, 1995, cité par Edwy, article cité, p. 1

[26] Edwy Plenel, article cité p. 1

[27] Abbé Michel Kayoya, Entre deux mondes, p. 297