Prestation de serment du 1er Vice-président Busokoza : un lapsus qui en dit long
Opinion

@rib News, 31/10/2012

Bernard Busokoza : Décryptage d’un vrai faux serment

Analyse de Sylvestre Ndarinze

Ou le premier Vice-président Bernard Busokoza a correctement lu un texte incorrectement écrit par son équipe. Et il y a erreur ou sabotage. Ou il a lu incorrectement un texte correctement écrit. Un lapsus peut-être. Et dans le pire des cas, il refuse la souveraineté du Peuple. Et c’est un putsch consommé. La monnaie d’échange reste la grande inconnue.

La surprise fut grande, quand les médias donnèrent la nouvelle du faux serment du dorénavant Premier Vice-président de la République du Burundi. Les membres de la Cour Constitutionnelle, gardiens du respect du Texte fondamental ont reçu un faux serment. N’eût été la vigilance de nos confrères, la bourde aurait été avalée. Et le nième putsch aurait été consommé. Attribuer la souveraineté nationale « au Président de la République », et non au Peuple, véritable détenteur constitutionnelle de la souveraineté nationale, avouons qu’il y a là quelque chose de troublant. Comment interpréter pareille bourde ?

Erreur ou coup monté

La première hypothèse est celle d’une erreur ou d’un coup monté. Le major aurait pu être piégé par l’ancienne équipe de Térence Singuruza. Il n’a pas encore eu le temps de faire la sienne et travaille donc avec celle de son prédécesseur dont certains doutent de leur poste. Mais l’hypothèse parait peu probable, mais pas entièrement « exclue ». Peu probable car pareille initiative est sans résultat car ne pouvant en rien bloquer le major Busokoza dans sa montée au pouvoir avec une équipe qu’il veut ? Mais des initiatives malheureuses, sans lendemain existent aussi.

Lapsus ou expression du subconscient

La deuxième hypothèse est celle d’un lapsus. Un lapsus consiste pour une personne à exprimer autre chose que ce qu’elle avait prévu d’exprimer, notamment en substituant à un terme attendu un autre mot. Il y a au moins quatre types de lapsus, ce dernier étant compris comme une erreur commise en parlant (lapsus linguae), en écrivant (lapsus calami), par la mémoire (lapsus mémorial) ou par les gestes (lapsus gestuel). Et avec l’introduction des machines à écrire et des ordinateurs, il y aussi ce que l’on appelle « le lapsus clavis » une erreur par clavier...

De quel type de lapsus s’agirait-il pour ce qui est de M. Busokoza ? M. Busokoza aurait pu être victime d’un des lapsus, si pas de tous à la fois. Si du moins, il s’avère que la main droite tenant le drapeau et la main gauche levée est un geste anticonstitutionnel. Le psychanalyste qui aura le mieux expliqué la signification du lapsus est sans doute Edmund Freud. Ce dernier voit dans le lapsus un symptôme important de l'émergence de désirs inconscients. Ce désir inconscient, lu à travers la prestation de serment, est celui d’avoir un président de la République seul garant de la souveraineté nationale, et pas le peuple.

D’aucuns ont dit en effet que le major Busokoza a participé au putsch du 21 octobre 1993 qui a emporte le président Melchior Ndadaye, un président investi pour la première fois dans l’histoire du Burundi par la volonté du Peuple. L’on peut donc penser que de 1993 jusqu’aujourd’hui, M. Busokoza a gardé dans son subconscient le désir d’ôter le peuple de sa souveraineté. De 1993 à aujourd’hui, il n’aurait pas changé d’un iota. Le désir de 1993 serait donc resté dans son subconscient. Sigmund Freud est formel en tout cas : « les lapsus ne sont donc pas une simple contamination sonore mais trouvent leur origine dans une source en dehors du discours » et que « [c]et élément perturbateur est constitué soit par une idée unique, restée inconsciente, mais qui se manifeste par le lapsus et ne peut, le plus souvent, être amenée à la conscience qu'à la suite d'une analyse approfondie, soit par un mobile psychique plus général qui s'oppose à tout l'ensemble du discours ». Et on aura tout compris.

Et puis quand il a refait le serment, le major avait une certaine gêne qui tranchait nettement d’avec la fermeté de la première prestation. Pour le premier serment, Il avait le ton et le costume du général devant ses troupes. Pour le deuxième, on aurait dit un professeur ayant du mal à faire une démonstration mathématique devant ses étudiants. Après le serment, les bras se sont relâchés. Il s’agit là, toujours en interprétant Freud, du sentiment de honte ou de malaise qui peut survenir après un lapsus et qui est significatif de ce que l'inconscient s'est manifesté en déjouant les barrières du censeur interne qu’est le surmoi

Un putsch consommé

La troisième et dernière hypothèse est celle de la confirmation d’un putsch. A y regarder de plus près en effet, l’actuel Premier Vice-président n’aurait pas été victime d’un lapsus tel qu’on le connait. Ce dernier est généralement le résultat d’une langue qui fourche. Pour ne rester que dans le cercle français, Rachida Dati, parlera de « fellation’ » au lieu d’ « inflation », François Hollande dira « comploter le dispositif » au lieu de « compléter le dispositif », Brice Hortefeux, parlera de « durcir le sexe » au lieu de « durcir le texte ». Mais quand Busokoza parle du président au lieu de peuple, il y a quelque chose qui s’écarte de cet aspect du lapsus.

Et d’aucuns alors de penser que M. Busokoza n’a fait que dire haut ce qu’il a toujours pensé tout bas : du peuple, il s’en fout ; il n’est redevable qu’au président, et pas nécessairement le président devant qui il a prêté serment, mais celui qui l’a effectivement mis en place. Or, mais cela reste à vérifier, de Bamako à Bujumbura, Pierre Buyoya aurait fait un saut spécial dans un avion tout aussi spécial qui l’auraient permis de rencontrer le président Burundais Pierre Nkurunziza. Celui-ci aurait alors pesé très lourd sur les députés pour élire Busokoza à la vice-primature.

Dès l’annonce de cette candidature unique dans la matinée, les députés avaient quitté l’hémicycle de Kigobe jurant que Busokoza le putschiste ne passerait jamais. Coup de théâtre dans la soirée : les députés furent appelés (ou contraints) à voter à main levée. Le résultat fut surprenant. Busokoza est passé à pleins voix. Mais conscient que les députés (les représentants du peuple) et donc le peuple, lui étaient hostiles, il a tenu à leur faire un baroud d’honneur. D’où son serment devant le président (encore faut-il savoir de quel président il s’agit), « seul détenteur de la souveraineté nationale » en lieu et place constitutionnel du peuple. Le putsch est ainsi consommé.

Et d’octobre 2013 à octobre 1993, il n’y a eu qu’un petit saut en arrière à faire. La monnaie d’échange reste la très troublante inconnue. Inconnue aussi reste la « mission » confié à Busokoza par son parti, après que celui-ci ait « démissionné » Sinunguruza. Troublant aussi le fait que les médias locaux ne se soient pas suffisamment intéressé à cet incident. Le public a besoin de savoir qui a fait quoi ou qui n’a pas fait quoi pour en arriver à cette bourde.