Appel à la reconnaissance du génocide de 1972 au Burundi
Analyses

@rib News, 29/04/2009

Le temps de la reconnaissance du  génocide de 1972 au Burundi est arrivé.

Perpétue Nshimirimana, le 29 avril 2009

Perpétue NshimirimanaLes autorités politiques actuelles du Burundi sont invitées à reconnaître devant la nation entière que des acteurs politiques, militaires, religieux et sociaux, burundais et d’autres nationalités, de l’entourage du président de la première République, M. Michel Micombero, ont provoqué sciemment la disparition de plusieurs milliers de personnes entre mai et juin 1972 de façon intensive. D’autres disparitions se sont poursuivies à une cadence moins soutenue au cours du second semestre 1972 et tout au long de l’année 1973.

Ensuite, ces mêmes acteurs, relayés par des « pseudo-scientifiques » ont construit à partir de ces violences inouïes, plusieurs fables qui ont entraîné l’ensemble des burundais dans un parcours de fausse histoire.

Au nom de ces fables, ces acteurs politiques, militaires, religieux et sociaux de 1972 ont décidé de s’approprier de tous les biens à leur portée, d’occuper les emplois et les maisons des disparus. De plus, ils ont pris la précaution de créer une éducation de seconde main pour les enfants survivants des disparus.

La création du Bureau de l’éducation rurale (BER) a permis de cantonner en toute légalité, au nom d’une authenticité (la kirundisation), de nombreux écoliers dans une instruction inaboutie .

Ainsi, ce 37ème anniversaire du génocide de 1972 est une nouvelle occasion de rendre hommage à nos morts. Les vivants ont le devoir de parler en souvenir des leurs, de rappeler leur existence et les circonstances des disparitions pour bien souligner le caractère inhumain et imprescriptible des faits commis. 

Des blessures profondes demeurent chez les victimes - du côté des survivants comme des descendants - qu’il est impossible de passer éternellement sous silence. Une paix véritable entre Burundais passera obligatoirement par le rétablissement  de la vérité et la désignation des actes sanglants par leur vraie nature et sans tabou.

Tout le récit du déroulement des épisodes du génocide de 1972, a été faussé par l’interdiction,  non-déclarée, de situer les faits sous leurs véritables noms. Tout a été  dénaturé d’avance. Quelques exemples :

En 1972, environ plus de 300.000 personnes dont le dénominateur commun était d’appartenir à l’ethnie Hutu ne sont pas revenus des nombreuses arrestations opérées en simultané à travers tout le pays.

Au lieu de constater un génocide, “ on[1] ” a parlé de “ Ikiza ”.  Quel est le vrai sens de ikiza ?.

Au lieu de reconnaître qu’un génocide a été commis, le fléau (ikiza) a été utilisé  en similitude avec les calamités de la Seconde Guerre Mondiale en Europe.

Que veut dire exactement Ikiza dans le contexte du Burundi?

Ensuite, on a parlé de “ Ya Mvura ” (La Pluie). Quelle en est la signification ?

C’est quoi cette “ pluie torrentielle ” qui s’était abattue en 1972 sur le Burundi ?  Depuis que le Burundi existe, est-ce la seule pluie de référence à noter?

Pourquoi celle-là est spéciale pour que tout le monde la reconnaisse parmi les autres ? Et  octobre 1965, août 1988, janvier 1991, octobre 1993, n’était-ce pas des “ Imvura ” ?

« On » a également désigné 1972 par “ Les Evénements ”. Tout le monde comprenait à l’évocation de ce mot de quoi il s’agissait.

« On » aura bien évité de mettre les vrais mots sur les vrais faits.

Un changement d’approche est impératif.

Trois cent mille personnes ne peuvent pas disparaître, comme ça, l’espace d’un claquement de doigt. Il a fallu les « cacher »,“ les jeter ” quelque part. A tous les niveaux, les opérations ont été menées avec les moyens de l’Etat. Des questions simples s’imposent.

Qui a donné l’ordre de creuser les fosses communes ? Qui a déterminé les emplacements de ces fosses communes ? Qui les a creusées ? Qui a supervisé le creusement de ces fosses ? A quelle(s) entreprise(s) appartenaient les véhicules utilisés pour le déchargement des corps? Y a-t-il eu des « contrats de transport », de terrassement, etc. ? Qui a payé les « factures » ? De quelles banques, de quelles agences bancaires, de quels comptes sont sorties les sommes d’argent (en espèces, en chèques ou virements) qui ont financé cette « logistique du génocide » ? Quels ordonnateurs ont signé ces transferts d’argent ?...

Chaque province a compté son lot de morts.

Où reposent-ils ?

Comment s’inscrit le plan d’installation et de répartition des fosses communes à travers le pays? Chaque fosse était prévue pour combien de personnes ?

Qui a eu l’horrible idée de déverser des corps dans le Lac Tanganyika?

Au cours du génocide de 1972 :

Quel a été le rôle et la responsabilité des “ Nyumba Kumi ” ; des chefs de quartiers ; des chefs de Zone ; des administrateurs communaux ; des gouverneurs de province, civils et militaires, et enfin du gouvernement ?

A titre de rappel, le 29 avril 1972, le gouvernement était dissous pour des raisons jusqu’aujourd’hui non-déclarées. Mais, Arthémon Simbananiye se faisait nommer ambassadeur extraordinaire et ministre plénipotentiaire.

« Le même jour, un nouveau procureur général et un nouveau procureur, respectivement Cyrille Nzohabonayo et Bernard Kayibigi, étaient désignés. Ils étaient responsables de la justice durant la crise.

De son côté, le Conseil suprême nommait des gouverneurs militaires qui quadrilleraient tout le pays.

Trois faisaient partie de son corps : le commandant Gabriel Ndikumana, à Bujumbura ; le commandant Jérôme Sinduhije, à Gitega ; le capitaine Lucien Sakubu, à Ruyigi. Les autres étaient : le commandant Samuel Nduwingoma, à Bururi ; le commandant Joseph Bizoza, à Ngozi ; le commandant Joseph Nzibarega, à Bubanza ; le commandant Ferdinand Ntawumenya, à Muyinga ; le capitaine Charles Ndikumagenge, à Muramvya »[2] 

La même source précise que le maire de la ville de Bujumbura était Pie Kanyoni. Le quartier de Ngagara avait comme chef de Zone Gérard Gihimbare, la Zone de Kamenge, François Shishikaye .[3]

Quel a été le rôle exact des Jeunesses révolutionnaires Rwagasore (JRR), souvent nommées, et en particulier de leur secrétaire général Emile Mworoha ? Ce dernier est devenu historien. De lui est attendu un récit de leurs « exploits ».

37 ans après, plusieurs interrogations demeurent sans réponse de la part des autorités politiques successives. Faire le point sur cette question centrale de notre société ne relève pas de l’impossible.

Mais, c’est autant de questions auxquelles le Burundi ne peut échapper pour le bien de ses citoyens.

Les autorités morales, politiques et sociales ont désormais, le devoir de mettre les vrais mots pour bien qualifier les « maux » de 1972 et leurs conséquences.

Enfin, le génocide de 1972 a été décrit et reconnu en 1985 par le rapport de  Whitaker[4]


[1] Notamment, Jean-Pierre Chrétien : Burundi 1972, Au bord des génocides. Ed ; Karthala

[2] Nsanze Augustin : Le Burundi contemporain. L’Etat-nation en question (1956-2002), p219. L’Harmattan.

[3] Idem

[4] Rapport de Whitaker. Commission du Conseil économique et social des Nations-Unies sur les droits de l’homme. 2 juillet 1985