Burundi : L’art de transformer le « Flop de l’année » en « Top de l’année »
Question à La Une

@rib News, 30/12/2013

 Question à La Une

Par Ir Jean-Claude KARIBUHOYE

Rédacteur en Chef de l’ARIB.INFO

Alexis SINDUHIJE, « Personnalité de l'année 2013 » au Burundi

 En 2013, quelle est la personnalité burundaise aura marqué le plus l’année ? A cette question, nous avons d’abord pensé à l’ensemble des professionnels des médias du Burundi, car cette année fut marquée par l’adoption puis la promulgation de la nouvelle loi « liberticide » sur la presse, soit un pas de plus pour la censure au Burundi.

Nous voulions ainsi rendre hommage à nous tous, journalistes et responsables de médias privés et dits « indépendants », qui nous efforçons de nous exprimer librement et d’enquêter sur des sujets sensibles. Finalement, après moult réflexions, tractations et autres échanges plus ou moins houleux, notre choix s’est porté sur Alexis SINDUHIJE, le meilleur d’entre nous, qui, à nos yeux, aura le plus influencé l'actualité « pour le meilleur ou pour le pire ».

Les propos du président du parti Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD, d’opposition) face à son ancien confrère Serge NIBIZI lors de l’émission "Kabizi" sur la Radio publique africaine (RPA) créée par Alexis SINDUHIJE, ne légitiment pas, à eux seuls, ce choix. C’est plutôt la capacité qu’a su trouver l’ancien journaliste, devenu homme politique, pour retourner à son avantage le « Flop de l’année » qu’il avait fait et que nous, médias dits « indépendants », avons transformé depuis lors en « Top de l’année ».

Comme jamais personne avant lui, Alexis SINDUHIJE a su nous dompter et nous faire taire alors que nous sommes habituellement prompts à réagir à toute attaque contre un membre de notre profession. Alexis SINDUHIJE est redoutable, il maîtrise parfaitement l’art de la communication. Il sait comment attirer la sympathie de l’opinion publique, et de ses anciens collègues, avec quelques phrases prononcées au moment opportun.

Et nous, médias « libres », savons à quel point nous lui sommes redevables, et il sait nous le rappeler en temps voulu. Ses excuses, présentées après coup, n’étaient qu’une simple formalité, nous avions déjà « pardonné » avant même qu’il ne les prononce. Car il ne s’agit pas de n’importe qui, mais de notre « enfant chéri », à qui on pardonne tous les caprices.

Certains parmi nous le considèrent même comme notre « Père …créateur » ! Qui, si ce n’est Alexis SINDUHIJE, a amené les radios libres au Burundi ? Qui, si ce n’est Alexis SINDUHIJE, a, le tout premier, tendu le micro aux rebelles ? Ces « ingrats » qui, arrivés au pouvoir, sont devenus nos persécuteurs, au lieu de nous remercier. Oublient-ils que sans nous, et surtout sans Alexis SINDUHIJE, ils seraient encore au fin fond de la Kibira ?, murmure-t-on dans certaines de nos Rédactions et autre Café de presse.

Qui d’autre que lui aurait pu invectiver un des nôtres en direct sur les ondes et s’en tirer à si bon compte, avec nos applaudissements en plus ? Essayer d’imaginer, un seul instant, que ce fut le président du parti au pouvoir au Burundi qui avait osé menacer en direct un journaliste. A votre avis, que serait-il advenu ? L’ensemble de la presse serait monté aux créneaux. Nous n’aurions pas attendu ses « excuses » avant de lancer les représailles et pour lui faire ravaler ses menaces. Des « Editions spéciales » jusqu'à une « Synergie des Radios », la mobilisation aurait été générale.

Nos amis de la « Société civile » seraient entrés dans la danse, l’alerte mondiale aurait été lancée : Alerte, la Presse et la Liberté d’expression sont en danger au Burundi ! Reporters Sans Frontières, Amnesty International, Human Right Watch, etc. auraient réagi par voie de communiqués, pétitions et j’en passe. On aurait vu ce qu’on aurait vu ! On n’est pas le « Quatrième pouvoir » pour rien. Quatrième, peut-être, mais pouvoir tout de même. En effet, tous ceux qui s'y sont frottés s'y sont piqués et beaucoup ont perdu leurs verves et les autres leurs latins.

Tenez un exemple : rappelez-vous d’un certain …Hussein Radjabu. Bien mal lui en a pris un jour de faire une boutade sur notre profession, en traitant les journalistes de « Gahanga wishwe n’iki ? ». A peine avait-il fini son p… de discours que nous lui avons lancé une campagne de dénigrement qu’il n’est pas prêt d’oublier : tous les maux du Burundi sur sa tronche ! Et Paf ! Qu'est-il advenu, hein ? Plus personne dans les médias pour le défendre. Et qui était le chef d’orchestre de cette campagne ? Je vous le donne en mille.

Mais ici, s’agissant de notre « Chouchou des médias », Shuuuuuuuut ! Silence Radio ! Dans un premier temps nous avons pensé à étouffer l’affaire. Mais pas de bol, l’émission était en direct, pas moyen de couper et faire un montage avant diffusion. Devant les interrogations de plus en plus pressantes de l’opinion, qui ne comprenait pas notre apathie, il a fallu justifier l’injustifiable. Nous avons alors appelé à la rescousse l’une et l’autre personnalité faisant autorité dans le monde de la Presse, les uns pour minimiser l’incident et vous parler d’« aléas du direct », et les autres vous rappeler qu’« un homme public capable de présenter des excuses, cela n’arrive pas tous les jours ».

Ne sommes-nous pas géniaux ? Notre Alexis, lui, s’est excusé. Il n’est pas comme les autres hommes politiques. C’est un « Héros » à nos yeux. Et vlan ! Qui dit mieux ? Voici l’art de transformer une « bourde monumentale » en un « exploit extraordinaire ». C’est un cas d’école à enseigner dans les instituts de journalisme, disait fort justement l’autre. Sacré Alexis ! Que ne ferions-nous pas pour toi ? Maître, les professionnels des médias indépendants sommes à ton service ! Prêt à nous renier plutôt qu’à émettre un seul son qui te déplairait. A en perdre notre crédibilité. Bon, tant pis, on fera sans elle.

De plus, nous avons su user de « corporatisme » et « solidarité professionnelle » pour faire taire quelques journalistes un peu trop « lucides » à nos yeux. Et si un parmi nous, une brebis galeuse, s’amusait à émettre un autre son de cloche, nous savons bien comment lui clouer le bec. Nous l’accuserons de « trahison » et qu’il « s’est vendu au pouvoir ». S’il persiste nous clamerons haut et fort qu’il a des visées à connotation « ethniste ». Une arme fatale dans notre sous-région : avec ça, il va se calmer.

Et vous le public, dans tout cela ? Vous n’êtes pas dupe ? Vous vous exprimez sur les réseaux sociaux ? Là aussi nous y avons des adeptes, ils vous répondront à notre place. Sous d’autres cieux, un politicien qui aurait agit ainsi en aurait fini avec sa carrière, dites-vous ? Eh bien il faut seulement vous préparer à accepter que « sous d’autres cieux, d’autres mœurs ». Voilà !

Oui, vous les « amateurs » qui osez nous demander de critiquer Alexis SINDUHIJE. Ignorez-vous qu’on ne mord pas la main qui vous nourrit ? Nous ne sommes pas ingrats, nous ! Ceux qui se croient les plus malins d’entre vous nous parlent de « déontologie », de « traitement équitable », d’« impartialité ». Et patati et patata. C’est qui les « professionnels », vous ou nous ?

Enfin et pour couronner le tout, d’autres parmi vous nous ont même proposé de désigner Serge NIBIZI comme « Personnalité de l’année 2013 ». Et quoi encore ? Qu’il s'estime déjà heureux d’être encore là, après son « sacrilège ».

Et c’est pour faire un pied de nez à tous ces ignorants, qui se mêlent des choses qui les dépassent, que nous désignons Alexis SINDUHIJE comme la « Personnalité de l'année 2013 » qui aura le plus influencé l'actualité au Burundi « pour le meilleur ou pour le pire ». Maintenant circulez, il n’y a plus rien à voir !

Et pour ceux qui n’auraient pas compris notre démarche, sachez que le titre de « Personnalité de l'année » est souvent considéré à tort comme étant un honneur par les médias. De nombreuses personnes continuent de relayer l'idée que le titre est une récompense ou un prix. Mais sachez que dans « pour le meilleur ou pour le pire » il y aussi … « le pire ».

Nous terminerons en vous invitant à méditer sur cette citation d’Albert Camus : « Que préfères-tu, celui qui veut te priver de pain au nom de la liberté ou celui qui veut t'enlever la liberté pour assurer ton pain ? ».

Pour La Rédaction

Jean-Claude KARIBUHOYE, ReC