ICG explore les raisons de l’échec de la réforme foncière au Burundi
Analyses

ICG, 12 févr. 2014

Les terres de la discorde (I) : la réforme foncière au Burundi

Rapport Afrique N°213 - 12 févr. 2014

 Tant que le gouvernement n’aura pas réformé la gouvernance foncière, les efforts pour consolider une paix durable demeureront insuffisants.

Nairobi/Bruxelles | Dans son dernier rapport, Les terres de la discorde (I) : la réforme foncière au Burundi, le premier d’une série de deux rapports, l’International Crisis Group explore les raisons de l’échec de la réforme foncière depuis la signature de l’accord d’Arusha en 2000. Dans ce pays rural et surpeuplé, la mauvaise gouvernance foncière a contribué à la guerre civile et sa réforme faisait partie intégrante de l’accord d’Arusha. Quatorze ans plus tard, alors que 90 pour cent de la population dépend de l’agriculture, beaucoup souffrent de malnutrition et les conflits fonciers demeurent le principal facteur de violence dans les zones rurales. Résoudre le problème foncier est donc fondamental pour la stabilité politique et la croissance économique à long terme du Burundi.

Les conclusions et recommandations principales du rapport sont :

·         L’accord d’Arusha était censé ouvrir la voie à une ambitieuse réforme foncière. Cependant, cette réforme est restée limitée à l’élaboration d’un nouveau code foncier et à la création de quelques services fonciers locaux, ce qui n’a pas permis au gouvernement de tenir ses promesses.

·         La gestion des terres reste caractérisée par l’absence d’un contrôle efficace des prérogatives foncières de l’Etat, le manque de coordination entre les différentes instances concernées, le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire, la disparition des méthodes traditionnelles de résolution des litiges, ainsi que des inégalités entre les hommes et les femmes pour l’accès à la terre.

·         Pour relancer une véritable réforme foncière, le gouvernement doit élaborer avec l’aide de ses partenaires internationaux un nouveau plan de développement rural qui intègre pleinement la politique foncière tout en réduisant les inégalités d’accès aux terres.

·         Le gouvernement devrait encourager la résolution pacifique des litiges en développant les capacités de médiation des tribunaux et assurant la pérennité financière des services fonciers locaux.

« Les signataires de l’accord d’Arusha savaient très bien que, dans un pays surpeuplé comme le Burundi, le problème foncier devait être résolu », dit Thierry Vircoulon, directeur du projet Afrique centrale. « Et pourtant, quatorze ans plus tard, les organes de gouvernance sont toujours incapables de régler les innombrables conflits fonciers, de sécuriser les droits de propriété et de contribuer ainsi au développement rural et à la paix ».

« La réforme foncière est bloquée et cela sape l’instauration d’une paix durable au Burundi », explique Comfort Ero, directrice du programme Afrique. 
« Confronté à une croissance démographique rapide, à la raréfaction des terres cultivables et à une crise alimentaire, le Burundi a besoin d’une vision globale sur le problème foncier qui tiendra compte des réalités socioéconomiques du pays tout en rompant avec les pratiques de mauvaise gouvernance du passé ».

SYNTHESE

Pays essentiellement rural, le Burundi est confronté à deux problèmes fonciers. Le premier, structurel, concerne la gestion de la terre, cette ressource vitale qui se raréfie sous le coup de la croissance démographique. Le second, héritage de la guerre civile, concerne la situation des réfugiés et des déplacés qui ont été spoliés injustement. Le premier problème génère une violence diffuse dans la société burundaise et nécessite la relance de la réforme de la gouvernance foncière sur de nouvelles bases. Au lieu d’une réforme profonde des systèmes de gestion foncière, c’est une simple révision du code foncier qui a été mise en œuvre. Or en l’absence de véritable changement dans la gouvernance foncière, notamment en matière de règlement des conflits liés à la terre, cette question va continuer à cristalliser le ressentiment des populations qui s’estiment spoliées ou dont l’accès à la terre est limité, rendant ainsi plus probable l’éclatement de conflits futurs.

Le surpeuplement du Burundi met à mal son modèle agraire et alimente une insatisfaction socioéconomique profonde qui a, en grande partie, constitué l’arrière-plan des affrontements passés. Avec une des plus fortes densités du continent (environ 400 habitants par kilomètre carré) et une population vivant de l’agriculture à 90 pour cent, le Burundi devrait être un modèle de gestion foncière. Or la mauvaise gouvernance foncière est profondément enracinée et les anciens mécanismes de régulation dans ce domaine sont tombés en désuétude, générant conflits et tensions sociales ainsi qu’un taux de malnutrition proche de 75 pour cent. Au bout de quatorze ans, l’ambitieuse réforme foncière prévue dans l’accord d’Arusha n’a abouti qu’à une réformette bien en deçà des attentes et des problèmes.

Plusieurs raisons expliquent cet échec : le manque d’encadrement des prérogatives de l’Etat, qui permet des abus et accroit l’insécurité foncière, ainsi qu’un déficit de coordination entre les multiples structures de réforme, entrainant un chevauchement des compétences et réduisant l’efficacité des institutions. A ces problèmes s’ajoutent le manque d’indépendance de la justice à l’égard du pouvoir politique, les inégalités d’accès à la terre (notamment pour les femmes) et la disparition des mécanismes traditionnels de régulation des conflits capables de promouvoir un règlement des litiges à l’amiable.

La résolution du problème foncier demandera bien davantage qu’un simple changement des rapports de force politique entre les partis tutsis qui ont dominé l’appareil d’Etat depuis l’indépendance et la majorité hutu au pouvoir depuis 2005. C’est d’une vision globale tenant compte des contraintes socioéconomiques et permettant de rompre avec la mauvaise gouvernance du passé dont le pays a besoin.

Alors que les élections de 2015 sont déjà en cours de préparation et que la question foncière sera un des enjeux électoraux, plusieurs mesures doivent être mises en œuvre par le gouvernement avec le soutien des partenaires internationaux, dont :

·         l’élaboration d’une nouvelle stratégie de développement rural qui intègre pleinement la politique foncière;

·         l’adoption d’une loi sur les successions consacrant l’égalité des droits entre hommes et femmes, la prise en compte de tous les usagers (femmes et enfants) dans la certification foncière et la possibilité d’enregistrer des partages successoraux par anticipation, c’est-à-dire avant le décès de la personne concernée;

·         le lancement d’une campagne nationale de sensibilisation au règlement pacifique des querelles foncières ; et

·         le développement de la médiation et de la conciliation dans les tribunaux ainsi que la pérennisation des services fonciers communaux.

Ce rapport traite de l’épineux problème de la gestion des terres au Burundi. Il a pour but d’analyser les raisons de l’échec de la réforme du système foncier depuis la fin de la guerre civile et l’accord d’Arusha en 2000 et de proposer des pistes de solution pour promouvoir un véritable changement en matière de gouvernance foncière. Un second rapport analysera la question tout aussi complexe de la restitution des terres et propriétés des réfugiés et déplacés de la guerre civile.

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