Nyamitwe : "Ce n’est pas l’Uprona qui peut dire qu’il représente tous les Tutsis"
Politique

RFI, 3 mars 2014

Invité Afrique : Willy Nyamitwe, porte-parole adjoint du président du Burundi

 Au Burundi, beaucoup se demandent si le fameux accord de partage du pouvoir que Nelson Mandela avait arraché entre les Hutus et les Tutsis n'est pas en train de craquer. Depuis un mois, en effet, c'est la crise entre le parti au pouvoir CNDD-FDD à dominante hutu et le parti Uprona à dominante tutsi. Et la présidentielle de l'an prochain fait monter les enchères.

Willy Nyamitwe (photo) est le porte-parole adjoint du président Nkurunziza. De passage à Paris, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier. Il s'exprime aussi sur une éventuelle candidature Buyoya à la tête de la Francophonie.

RFI : Vous avez limogé le vice-président du pays qui représentait le parti Uprona et vous avez fait élire un nouveau vice-président qui est désavoué par l’Uprona. Est-ce que vous ne risquez pas de casser l’accord d’Arusha entre les deux communautés ; Hutus et Tutsis ?

Willy Nyamitwe : Non, pas du tout. L’honorable Busokoza ne représente pas toute la communauté tutsie. Ce n’est pas dit que c’est l’Uprona qui représente toute la communauté tutsie. Et l’effectif des Tutsis qui se trouverait au sein du parti au pouvoir, pensez-vous qu’il serait moindre, par rapport à celui qui se trouverait au sein du parti Uprona ? Ma réponse est non. Parce que le CNDD-FDD, le parti au pouvoir, a pu gagner les élections à plus de 64%, alors que l’Uprona n’a même pas pu atteindre 8%. Ce qui veut dire que les Tutsis qui se trouvent au sein du parti au pouvoir sont majoritaires par rapport à ceux qui se trouvent au sein du parti Uprona.

La crise a commencé le jour où le gouvernement a voulu destituer le président de l’Uprona, Charles Nditije. Est-ce que c’est vraiment le rôle du gouvernement de s’ingérer dans les affaires intérieures d’un parti politique ?

Ce n’est pas le gouvernement qui a voulu destituer Monsieur Nditije. Le gouvernement a tout simplement pris acte de la décision de la justice qui avait invalidé le congrès qui avait mis en place monsieur Nditije, puisque les deux ailes du parti Uprona étaient en conflit.

En fait vous avez profité d’un conflit interne à l’Uprona pour destituer le patron de ce parti ?

Pas du tout, nous n’avons fait que prendre acte de la décision de la justice.

Au terme de l’accord d’Arusha qui a mis fin à douze ans de guerre civile, le parti Uprona à dominante tutsie doit occuper la vice-présidence et trois ministères. Mais le problème c’est que depuis un mois c’est vous qui choisissez les occupants de ces postes à la place de l’Uprona. Est-ce que c’est vraiment la bonne méthode ?

Non, mais le premier vice-président qui est fonction actuellement, les trois ministres qui sont au gouvernement, ils proviennent de l’Uprona.

Mais ils sont désavoués par l’Uprona ?

Désavoués ? Il faut savoir qu’au sein de l’Uprona il y a deux tendances. Il y a Uprona qui est au gouvernement et Uprona qui est à l’opposition.

Ce qui veut dire qu’en fait vous voulez vous débarrasser de l’Uprona tendance Nditije ?

Nous ne voulons pas nous débarrasser d’aucune tendance de l’Uprona. Nous encourageons plutôt l’Uprona à se réunifier pour que nous puissions avancer vers l’organisation d’élections libres et transparentes, sans laisser personne au bord de la route.

Est-ce que ça veut dire que vous êtes ouvert à un changement de titulaire à la vice-présidence et à ces trois ministères ?

Mais nous avons toujours été ouverts au changement. Comme certains se disent légaux et d’autres légitimes, il faudra qu’ils essaient de s’asseoir ensemble afin de trouver un consensus et d’avancer. Mais le gouvernement du Burundi reste ouvert à toute concession, à tout dialogue avec le parti Uprona.

Et quand Charles Nditije – l’homme que vous avez voulu destituer à la tête de l’Uprona – dit qu’il a la confiance de 85 % des membres du comité de l’Uprona, qu’est-ce que vous répondez ?

Mais le gouvernement, l’Exécutif, ne travaille que sur des arguments légaux. Alors pour l’instant, ceux qui sont là ils sont légaux parce qu’ils ont été proposés par la tendance légale. Le reste n’est que spéculations politiques.

Ce conflit avec l’Uprona est la plus grave crise au Burundi depuis la fin de la guerre civile en 2005. Et le porte-parole de l’Uprona tendance Nditije dit que vous êtes en train de mener le pays sur une voie dangereuse en cherchant à jouer sur la corde ethnique.

Cette façon d’ethniciser le conflit n’est pas acceptable. Cette corde ethnique, elle est dépassée. Nous nous inscrivons en faux contre ce marchandage ethnique en disant : si on touche à l’Uprona on touche à l’ethnie tutsie. Ce n’est pas l’Uprona qui peut dire qu’il représente tous les Tutsis. Donc il faut faire attention quand on dit que c’est l’ethnie tutsie qui est menacée. C’est faux et archi-faux. Il y a des Tutsis qui ne sont pas à l’Uprona et il y a des Tutsis qui ne sont pas dans des partis politiques.

L’an prochain c’est la présidentielle. Au terme de la Constitution, le président ne peut pas faire plus de deux mandats. Or, le président Nkurunziza fait son deuxième mandat. Qu’est-ce qu’il va faire l’année prochaine ?

Certains disent qu’au regard de la Constitution l’actuel président de la République est à son deuxième mandat. Et d’autres disent qu’il est à son premier mandat élu au suffrage universel. C’est là où se trouve le débat. Mais c’est un faux débat pour l’instant. Pourquoi ? Parce que le CNDD-FDD n’a pas encore tenu son congrès pour désigner qui le représentera à la prochaine élection présidentielle.

Est-ce que le mois dernier le gouvernement n’a pas voulu destituer Charles Nditije de la tête de l’Uprona parce que c’est un Hutu, parce que c’est un tribun et parce qu’il peut être un rival de l’éventuel candidat Pierre Nkurunziza à la présidentielle 2015 ?

Non, non, non. Vous savez, le parti au pouvoir a recueilli 64% des suffrages exprimés contre 8%. Vous comprenez que l’Uprona ne peut pas dire que c’est vraiment un rival au sein du CNDD-FDD. L’Uprona ne pèse pas très lourd. Donc on ne peut pas dire que l’on voulait écarter un éventuel concurrent. Ce serait de l’utopie.

Vous êtes actuellement à Paris, où vous avez rencontré la semaine dernière le secrétaire général de l’OIF Abdou Diouf. A la Francophonie, la succession de l’ancien président du Sénégal est ouverte. Est-ce que l’ancien président Pierre Bouyoya pourrait faire un bon candidat ?

Oui, pour nous, comme Burundais, ce serait un grand plaisir d’avoir un ancien président de cette carrure pour piloter la Francophonie. Mais l’intéressé a démenti cette information dans Jeune Afrique.

Mais vous savez bien que beaucoup de candidats disent qu’ils ne le sont pas pour qu’on les pousse, pour qu’on les invite à le devenir.

Oui. Ça ne nous ferait que du bien. Mais pour l’instant il n’est candidat à rien.