Burundi : Appel à Nkurunziza pour "laisser un héritage digne d’un homme d’Etat"
Opinion

@rib News, 14/04/2014

Burundi : Murmures d’un citoyen à son Président, au soir de son mandat.

Par Jean Baptiste Misigaro

Excellence M. le Président, Pierre NKURUNZIZA,  vous sentez-vous  prêt à prendre vos responsabilités face à l’histoire, au peuple burundais et au monde ? Vous sentez-vous capable de faire appel au pragmatisme, à prendre des décisions impopulaires auprès d'une partie de votre entourage et de votre majorité politique ? Car le moment est venu, et il vous reste à peine une année pour le faire !

En effet, par le biais de la délégation conduite par leur Représentante permanente aux Nations Unies (ONU) – Mme Samantha Power, les USA vous ont appelé à prendre vos responsabilités. Et la communauté internationale leur a emboîté le pas, au regard ses réactions et déclarations de ces derniers jours.

L’analyse du discours de Mme Samantha Power, donc des USA,  et même de la communauté internationale, montre qu’il ne souffre d’aucune ambiguïté : ils vous recommandent de ne pas succomber à la tentation d’un troisième mandat ; ils vous demandent gentiment de partir, mais en ayant fait le ménage pour laisser un héritage digne d’un homme d’Etat ! Ce ménage consiste à :

- Préserver les acquis démocratiques, en particulier le délicat partage du pouvoir instauré depuis la fin de la guerre civile en 2005, en préservant la Constitution et l’esprit des Accords d’Arusha ;

- Elargir l’espace démocratique, en assurant un espace à tous les partis politiques, un environnement ouvert et libre d’ici les élections de 2015 ;

- Améliorer le dialogue entre tous les principaux acteurs de la société burundaise (acteurs politiques, société civile…) ;

- Mettre fin aux intimidations, harcèlements et violences politiques, et parer aux risques de retour à la violence de masse ;

- Mettre fin aux  restrictions en matière de droits de l'homme, aux restrictions des libertés civiles et droits politiques, aux restrictions visant l’opposition politique, les médias et la société civile ;

- Restaurer la primauté des lois, de la tolérance et du pluralisme ;

- Respecter la Constitution, en particulier les mandats présidentiels.

Tel est "l’héritage" que la communauté internationale, et plus particulièrement Mme Samantha Power et les USA, vous recommanderaient de léguer au Burundi et à son peuple. Ainsi, vous apparaîtrez, aux yeux du monde, comme celui qui « a contribué à l’instauration de la démocratie moderne au Burundi. »

Excellence M. le Président, qui dit héritage, signifie passer la main, transmettre un patrimoine. Avez-vous le courage de passer le témoin, deux mandats successifs étant la norme dans les grandes démocraties ? Quel patrimoine économique, social, culturel, politique, idéologique, symbolique voulez-vous léguer à votre Patrie, à votre Peuple ?

Laissez-vous inspirer par d’autres Chefs d’Etat, de surcroît africains, qui ont résisté aux sirènes du fauteuil présidentiel et qui ont su partir au bon moment : certains passent aujourd’hui pour des héros, des modèles alors que certaines phases de leur exercice du pouvoir n’ont pas été glorieuses ; d’autres jouent des rôles importants, voire insoupçonnés, et récoltent les honneurs et avantages divers sur la scène régionale et internationale.

C’est le bon moment pour vous : la communauté internationale vous regarde, les médias sont braqués sur vous, vos mandats ont de bons résultats à leur actif à faire valoir et ne sont pas encore profondément ternis, votre avenir est garanti par la Constitution et les Accords d’Arusha, vous contribuez au maintien et à la consolidation de la paix en Afrique – rôle inédit dans l’histoire du Burundi !

Ne soyez pas celui qui a replongé le Burundi dans les affres du monopartisme, de l’hégémonisme d’un clan et de la guerre, après avoir passé tant d’années à les combattre aussi bien par les armes que par la négociation. Ayez le courage de regarder votre passé et de vous rappeler ce qui a motivé votre combat, tout au moins si ces motivations étaient véritables et qu’elles ne servaient pas à masquer d’autres ambitions, un agenda caché !

Si mes souvenirs sont bons, à l’origine de votre engagement dans ce combat, il y avait un dessein digne d’un homme d’Etat, et non pas d’un homme de Clan :

- le respect des droits de la personne humaine, en particulier du droit à la vie, à la dignité et à la liberté ;

- le respect des principes de la démocratie, notamment le principe de la compétition loyale pour accéder au pouvoir et celui de la séparation des pouvoirs d’Etat (le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire) ;

- la réforme de la magistrature et la levée de l’impunité ;

- une démarche inclusive, participative de conception et de mise en œuvre des politiques, permettant à tous de prendre part non seulement aux processus de décisions qui affectent le cours de leur vie mais aussi aux processus des projets qui concrétisent ces décisions ;

- l’accès pour tous les Burundais au système de l’éducation moderne, en adéquation avec l’emploi ; 

- un partage judicieux des responsabilités entre tous les acteurs politiques, économiques et sociaux ;

- la promotion des petites et moyennes entreprises (PME), des coopératives ainsi que d’un système populaire d’épargne et de crédit ;

- la croissance économique ;

- la justice sociale, l’égalité des chances pour tous en termes d’accès aux potentialités et ressources qu’offre le Burundi ; etc.

Le but ultime était l’instauration de la bonne gouvernance au Burundi, la reconstruction et le développement du pays ainsi que la réconciliation nationale.

Pourquoi ne pas profiter du temps qui reste à votre mandat pour renouer avec vos racines ?  Vous en avez le pouvoir !

L’histoire regorge d’exemples d’hommes qui ont été capables de se battre avec acharnement, capables de faire d’importantes concessions,  pour l’image et l’avenir de leur pays !

Certes votre entourage – généraux et hommes/femmes  d’affaires  – défendent et défendront becs et ongles leurs places et privilèges, vous influencent et chercheront à vous influencer en puisant dans vos pactes de fidélité, dans vos liens de parenté, d’amitié, d’affinité ou de clientélisme.  Mais, vous avez l’âme d’un guerrier, d’un combattant, en tant que footballeur, ex-entraîneur, ex-rebelle et meneur d’hommes. Vous êtes de taille à les affronter et à vous en défaire, surtout que vous aurez le soutien d’une partie de votre entourage et de votre majorité politique ainsi que du peuple burundais et de la communauté internationale.  

Montrez-leur que vous pouvez être indépendant et capable de prendre des décisions audacieuses ! Dans les douze mois qui restent à votre mandat actuel, cherchez dans votre vie de chef de famille, de professeur d’EPS, d’entraîneur de football, de chef rebelle et de Président de la République des leçons qui pourraient profiter au Burundi et à son peuple, et marquer ainsi l’histoire burundaise d’une empreinte mémorable !

Poussez votre équipe, vos proches et collaborateurs à arrêter de souffler sur les braises de la peur, de l’angoisse, de la division et de la haine, suscitées par les conflits passés et par la perte éventuelle des avantages et privilèges de vos fidèles et des membres de votre parti politique et clientèle, au risque de mener à la confrontation. Il est vital de ne pas oublier que, même si le peuple burundais est un peuple de paix, il sait aussi faire la guerre ; ne réveillez pas les démons du passé au risque de nous retrouver tous en enfer ! Cette fois-ci, nous y serons tous car les hauts dignitaires et élites ne pourront plus, comme dans le passé, se réfugier à l’étranger ;  la justice internationale, les ONG internationales et autres associations éprises de justice veillent au grain ! Comme l’a bien rappelé le Secrétaire général adjoint des Nations-Unies aux affaires politiques, M. Jeffrey Feltman,  « ceux qui sont responsables de la manipulation de la jeunesse affiliée aux partis politiques et incitent à la violence seront passibles de poursuites internationales ».

Tel est le défi qui vous est posé, Excellence M. le Président : remporter l’ultime combat (contre vous-même et votre entourage) pour partir honorablement ou couler voire prendre, tôt ou tard, votre retraite à la cour pénale internationale ! Vous n’avez plus assez de marge de manœuvre, et l’horloge tourne !

Finissez la présidence comme vous y avez accédé, en combattant, mais cette fois-ci contre vous-même, vos proches, votre clientèle et avec d’autres armes (les lois, les normes, les valeurs, les symboles, les réformes, la démocratie, la justice, la séparation des pouvoirs…), au nom d’un meilleur avenir pour le Burundi et son peuple. Ainsi, vous prouverez que le peuple et les principes qui vous ont conduit au maquis et aux hautes sphères de l’Etat sont plus grands que vous, votre clan et votre clientèle !

Vous croyez en Dieu et en Jésus, alors montrez-leur que vous êtes un fils obéissant et un disciple, un véritable chrétien : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes. » (Matthieu 7 :12) ; en d’autres termes, ne faites pas aux autres ce que vous n’aimeriez pas que les autres vous fassent !

Alors bon vent Excellence M. le Président, et plein de bonnes et belles choses à vous et à votre famille ! Il y a une autre vie, après le fauteuil présidentiel !

Jean Baptiste MISIGARO.