Burundi : Les pièges de la statistique et la manipulation des données |
Opinion | |
@rib News, 05/06/2014 Cher Rédacteur en Chef de l’ARIB, Tout n’est pas que politique, n’est-ce pas ? Une fois n’est pas coutume, j’aimerais bien réagir de la manière la plus « apolitique » possible (j’espère) sur un article qui n’en implique pas moins de relents politiques. « 96% de Burundais ont un contact facile et régulier avec la radio » lit-on dans un de vos derniers postings de fin mai (probablement le 28 ou 29 mai, puisque la date de l’article de PANA est celle du 28). J’ai lu, intéressé, ces chiffres et je me suis surpris à penser que la manipulation des chiffres nourrissant son homme dans le monde du développement des pays africains, certains de ceux fournis dans le papier créeraient une bonne surprise s’ils s’avéraient exacts. Loin de moi l’idée de faire de l’amalgame, d’autant que ledit article est publié, presque concomitamment à la suite d’un autre donnant les chiffres de l’insécurité alimentaire au Burundi. Ca ne rigole pas ! Mais pour les besoins de notre compréhension, pour nous autres communs des mortels peu enclins aux courbes et autres graphiques statistiques, j’aurais aimé avoir la méthodologie et la clarification conceptuelle qui aboutit à 96% des Burundais ayant un « accès facile » à la radio. Mais ceci passe encore. 37% pour la presse écrite et 60% pour la télévision. Même en ne considérant que les plus de 9 ans ? Je n’en reviens pas et j’ai comme un doute diffus sur ces deux derniers pourcentages ; sinon une agréable surprise pour tous ceux des ruraux, tous ceux des citadins « bamanuka » qui fonctionnent à la lampe au mazout quand ils « montent » ou rentrent sur la colline qui les a vus naître. Aux « Groupe international de recherche en communication », comme aux agences des Nations Unies et autres institutions internationales nantis qu’ils sont de grands spécialistes de haut niveau, on donnerait le bon Dieu sans confession. Eh oui, on ne peut douter une seconde qu’ils ne savent pas en même temps se soucier de la cohérence des chiffres utilisés ou publiés ailleurs. Je suis allé, pour m‘en convaincre, « zyeuter » notamment dans les chiffres du dernier recensement de la population et de l’habitat réalisé au Burundi en 2008, (j’aimerais d’ailleurs faire un appel pour disposer le document complet, au-delà de la note de synthèse publiée officiellement par le gouvernement burundais ; merci d’avancer d’indiquer via arib.info). Déjà là, il y parait une belle pagaille dans les chiffres, mais qui ne donnent pas encore le tourniquet. Oyez seulement bonnes gens ! Comme nous n’en savons rien, supposons que les experts en question ont travaillé sur les chiffres de 2013, étant donné la période de réalisation de l’étude, et faisons un calcul de profane que les statisticiens voudront bien nous pardonner et corriger. Un chiffre de base : 8.053.574 est la population burundaise en 2008 (Décret N° 100/55 du 05 Avril 2010). L’accroissement annuel de la population est estimé à 3 % (chiffre officiel : taux d’accroissement entre 1990 et 2008 égal à 2,4%, donc à arrondir vers le haut; voir site ISTEEBU). Faites les calculs pour 2014, sur base d’un accroissement de 5 ans (1.035 ou 19,40% avec un arrondi inférieur). Ca nous laisse une population totale de 9 615 967,35 hab. ou la population de référence de notre fameux « Groupe international de recherche en communication », selon notre hypothèse. Ce chiffre projeté sur 2013 est conforté par les données fournies par la projection ISTEEBU (http://www.isteebu.bi/images/bulletins/btc%203me%20trim%202013.pdf) qui évalue la population totale (en 2012) à 9.137 941 habitants (il suffit d’appliquer le même taux d’accroissement naturel). Si l’on y ajoute (nous ne le ferons pas pour minimiser la spéculation) les données de l’accroissement migratoire, on n’est pas loin de la vérité de notre conjoncture ci-haut évoquée. Pour 2013, cela devrait donc correspondre à une population de 9 412 079,23 hab. Les chiffres du FNUAP (Burundi) partent de la même référence, c’est-à-dire le même chiffre de 2008 (mais publié par l’agence onusienne en 2011, et pour cause puisque même le gouvernement du Burundi ne les a publiés qu’en avril 2010 !) Ainsi, le FNUAP donne-t-il deux chiffres intéressant notre menu propos, puisqu’il s’agit respectivement de la population de 0 à 4 ans évaluée à 1 424 016 et de 5 à 9 à 1 133 011, soit un cumul de 2557 027 (2008). Notre coefficient multiplicateur nous aide à trouver celui de 2013, soit 3 042 862. La différence est de 6 369 216. Ca, c’est la population dont on nous dit qu’une bonne partie a facile accès à la télé (une heure et demi par jour, dites don !) et se nourrit de la presse écrite. Et toc ! Pardon pour les chiffres qui ne semblent d’ailleurs coller à pas grand-chose ! C’est juste des indications, n’est-ce ; mais tout de même. Revenons à nos moutons d’ « accès facile » à la presse écrite et à la télé. Evacuons vite la question de la presse écrite, quoique de plus en plus fournie (surtout en français ; ô citoyenneté nationale muselée par la langue officielle de communication du happy few ; d’ailleurs à ce propos l’ISTEEBU devrait corriger ses données « conjoncturelles », sur son site, faisant du français la –seule !- langue officielle du Burundi). Il faudrait confronter, ce chiffre de 37% ayant accès à la presse écrite aux langues de cette même presse, mais surtout à deux données : le degré de diffusion, donc de tirage et de pénétration des média papier, mais également et surtout au taux d’analphabétisme au plan national. Ne parlons même pas de pouvoir d’achat : quel est le nombre de Burundais qui achètent de leur poche ou échangent des journaux écrits par jour ? 37% des plus de 9 ans ? Quel est le prix d’un journal papier, des centimes de dollar sans doute puisque pour vivre, même sans lire rien du tout dans la journée, il faut disposer d’au minimum 1 USD (i.e. autour de 1500 BIF, chiffres du CNUCED, pour le seuil international de la pauvreté : 54% des Burundais, pas seulement des plus de 9 ans, n’en ont pas selon la même source ; tandis que 88% sont sous le seuil des 2 USD). Et patatras ! On peut facilement être d’accord avec l’étude (sous réserve de la lire en entier) que « moins d’un Burundais sur dix de neuf ans et plus utilise Internet. Le profil-type de l’internaute est une femme ou un homme de 25 à 39 ans, habitant en ville et de niveau de vie confortable. D’un autre côté, l’accès par internet aux médias audiovisuels traditionnels est encore assez peu répandu chez les internautes, peut-on encore lire dans l’étude de l’IPGL »; mais déjà, j’aimerais bien savoir si ceci a tenu compte des Burundais de la diaspora, d’une part, et de l’autre si l’étude fait le distinguo encore une fois entre les ruraux et les citadins. Parlons aussi et seulement de la télé. Pas moins de 60%, disent nos spécialistes ! Vive le progrès !!! Rappelons, juste au passage, et sans faire mentir ces belles trouvailles indicatrices de développement, que les mêmes statistiques officielles de 2008 nous informent que 7 241 708 de la population burundaise vivaient en milieu rural. Notre beau coefficient remonte ce chiffre à 8617 632 ruraux en 2013 (rural s’entendant ici différent de villageois, car il n’existe pas à proprement parler de village au Burundi, comme on en trouverait au Mali ou au Sénégal… ). Pour les amoureux des chiffres, cherchez l’erreur. Ne spéculons pas, voulez-vous, sur la définition d’une ville, mais surtout fermons les yeux sur l’inique et injuste situation tendant à investir presque tout le patrimoine national pour les routes, l’eau, les ports, aéroports, stades de foot, belles lumières des villes, les infrastructures de santé … prioritairement en milieu urbain, comme si être citoyen burundais signifiait vivre en ville ! Alors construisez-nous des villes et remonter aussi le lac Tanganyika, au Nord, à l’Est, au Sud et au centre ! Non, pardon ; redevenons concentrés ! Mais alors : connaissez-vous beaucoup de téléviseurs qui fonctionnent aux piles ou batteries ou je ne sais quelle autre source d’énergie de fortune (ou non conventionnelle : énergie solaire, biogaz, etc.) autre que l’électricité des rares turbines et générateurs au Burundi ? L’électrification du milieu rural est-elle à ce point avancée que 60% des gens de plus de 9 ans vivant en milieu rural en bénéficieraient ? C’est même de loin plus que cela puisqu’il faut raisonner par ménage et que, donc, les moins de 9 ans non considérés dans la population cible en feraient partie ? « Le taux actuel d'électrification au Burundi est de l'ordre de 4 %. Quelque 60 000 ménages sur 1,6 million ont accès à l'électricité, ce qui signifie qu'environ 8 millions de personnes en sont privées » http://eeas.europa.eu/delegations/burundi/press_corner/all_news/news/2013/20130220_02_fr.htm; Actions de développement de l’UE au Burundi (20/02/2013). Exactement 4.8% selon le recensement de 2008. Un dernier chiffre pour la route : 31 était le nombre de poste de TV pour 1000 habitants en 2003 (http://www.statistiques-mondiales.com/burundi.htm); même avec un coefficient ultra exponentiel, difficile de s’imaginer 60% de la population (rurale aussi) se régalant vespéralement des prouesses truculentes des acteurs de Ni Nde, encore moins d’ « Au-delà du son » au fin fond de Cendajuru ou Mishiha, Mabayi ou Mugina, Bugabira ou Ntega, Mabanda ou Kibago (je n’ai pris que les coins-sommets : je n’ose nommer les communes de certains coins, me limitant à toutes les « damnées » de la terre burundaise qui n’ont pas encore donné naissance à des Présidents de la République ou autres dignitaires fonctionnant au rythme du vieil l’adage que « charité bien ordonnée commence par soi-même »). Tout ce laïus devrait amener à faire connaitre l’étude dont référence est faite sur votre site arib.info. J’en remercie au passage les réalisateurs ainsi que le site arib lui-même pour sa constance dans l’information sur le Burundi. Les élections de 2015 en perspective devraient aussi tirer partie d’un accès égal aux informations stratégiques ; les données sur les médias, la population, l’organisation du territoire, bref la fiche signalétique relatant les aspects importants de la vie des Burundais, de tous les Burundais (parce que chaque individu compte : moto du FNUAP), devraient être rendues publiques. Y compris sur internet. Beaucoup de départements commencent à faire l’effort dans le bon sens, mais l’on est encore loin du compte, surtout dans l’harmonisation desdites données et leur exactitude. Courage à tous. Asante sana ! JP Mbonabuca |