La Commission africaine saisie sur des cas d’exécutions extrajudiciaires au Burundi
Justice

Jeune Afrique, 19/06/2014

Exécutions extrajudiciaires au Burundi : des ONG saisissent la CADHP

Une coalition d’ONG burundaises a annoncé jeudi avoir déposé quatre plaintes devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) pour interpeller le pouvoir de Pierre Nkurunziza sur des cas d’exécutions extrajudiciaires commises entre 2010 et 2012 dans le pays. Une action qui intervient dans un contexte pré-électoral tendu dans le pays.

Qui a tué Jackson Ndikuriyo, Audace Vianney Habonarugira, Médard Ndayishimiye et Jean-Claude Ndimumahoro ? Quatre cas d’exécutions extrajudiciaires qui n’ont jamais été élucidés par les autorités compétentes au Burundi.

"Ces opposants ont été tués entre 2010 et 2012 mais à ce jour, aucun dossier sur ces affaires n'existe dans les cours et tribunaux du pays", dénonce Pacifique Nininahazwe, responsable du Forum pour la conscience et le développement (Focode), une de quatre ONG burundaises qui ont décidé de porter plainte devant la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP).

Jackson Ndikuriyo

Ancien combattant du CNDD-FDD, alors mouvement rebelle en 1998, Jackson Ndikuriyo s'était converti en policier à la fin du conflit armé. Révoqué de ses fonctions, il est retrouvé mort quelques mois plus tard, le 27 août 2010, aux abords du commissariat de Musigati, province de Bubanza, après avoir été arrêté par la police. Selon la coalition des ONG burundaises qui ont enquêté sur le dossier, le jeune homme de 28 ans faisait "l'objet de menaces de mort des agents de l'État les mois qui ont précédé son exécution".

Audace Vianney Habonarugira

Cet ancien colonel des Forces nationales de libération (FNL) a été retrouvé mort le 15 juillet 2011 sur la colline de Gasamanzuki, dans la commune d'isare, province de Bujumbura rural. Selon les ONG locales, "il était déjà visé par une tentative d'assassinat en mars 2011, après avoir reçu des menaces de mort commanditées par des agents de l'État",

Médard Ndayishimiye

Responsable politique des Forces nationales de libération (FNL, opposition), Médard Ndayishimiye a été assassiné le 7 octobre 2011 dans la province de Rutana, après avoir été enlevé à Gitega et violemment battu, selon les ONG. Il faisait l'objet d'"intense harcèlement policier", affirment-elles.

Jean-Claude Ndimumahoro

Membre des Forces de libération nationale (FNL, opposition), Jean-Claude Ndimumahoro a été "retrouvé mort décapité le 3 juillet 2012 dans la commune de Bugarama, après avoir été détenu pendant plusieurs jours dans des cachots des services de renseignement à Gitega", accusent les ONG burundaises.

"Le Burundi doit s'expliquer"

"Pour la première fois, le Burundi doit s'expliquer sur ces cas d'exécutions extrajudiciaires qui avaient ciblé des opposants et que le pouvoir qualifiait à l'époque de 'règlements de comptes'", se réjouit Pacifique Nininahazwe, soulignant toutefois qu'avec "l'appui de l'expertise de l'association Trial basée à Genève", les quatre ONG burundaises - Acat-Burundi, Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH) , Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC) et Focode - continuent de "documenter" d'autres cas avant de les soumettre à la CADHP.

Mais l'assassinat du militant anti-corruption Ernest Manirumva, tué en 2009 alors qu'il enquêté sur des "probables détournements d'armes destinées à la police", n'en fait pas partie. "L'affaire est encore pendante au niveau de la justice burundaise. Toutes les voies de recours internes doivent être épuisées avant de saisir une juridiction supranationale", rappelle Pacifique Nininahazwe.

En attendant, les défenseurs craignent déjà pour leur sécurité après l'annonce de ces quatre plaintes contre le pouvoir de Pierre Nkurunziza. "Surtout en cette période pré-électorale caractérisée par des intimidations du régime contre les opposants et les défenseurs des droits de l'homme", confie un activiste burundais. Allusion faite notamment à l'arrestation, le 15 mai, de Pierre Claver Mbonimpa, président de l'Aprodh. Le "Mandela burundais" est accusé de porter "atteinte à la sûreté de l'État" pour avoir affirmé que des jeunes du parti au pouvoir avaient été armés et envoyés dans l'est de la RDC pour suivre des entraînements militaires.

"En attaquant le pouvoir dans ce contexte tendu, nous courons nous aussi le risque d'être arrêtés, voire assassinés. Mais nous le faisons parce qu'il faut que le monde soit au courant de ce qui se passe au Burundi", affirme Pacifique Nininahazwe qui espère que la CADHP prendra des "mesures conservatoires" pour protéger les défenseurs des droits de l'homme, les témoins et les familles des victimes.

Par Trésor Kibangula