Massacre de Gatumba : toujours pas de justice, dix ans après
Droits de l'Homme

Deutsche Welle, 14.08.2014

Les victimes de Gatumba attendent toujours

En 2004, le camp de réfugiés de Gatumba, au Burundi, était attaqué. Bilan : plus de 160 réfugiés congolais tués et une centaine de blessés. Dix ans après, les auteurs présumés n'ont toujours pas été traduits en justice.

Au lendemain du massacre, des membres des Forces nationales de libération, les FNL, composées principalement de Hutus, avaient endossé la responsabilité. Leur porte-parole de l'époque, Pasteur Habimana, avait justifié l'attaque en prétendant que le camp abritait des combattants, que les réfugiés étaient armés et qu'il s'agissait d'une réponse aux meurtres de civils burundais.

Une attaque planifiée

Mais des années plus tard, les FNL se rétractent et nient toute implication dans le massacre qui a ciblé essentiellement des membres de l'ethnie Banyamulenge, tous Congolais. Ces derniers avaient fui le conflit armé sévissant en RDC pour se réfugier dans le camp de la ville burundaise de Gatumba, proche de la frontière.

Selon plusieurs rapports notamment de l'ONU et de Human Rights Watch, le massacre avait été soigneusement planifié. Outre les FNL d'Agathon Rwasa, des Maï-Maï congolais et les Rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda, les FDLR, ont été eux aussi pointés du doigt comme responsables. Ils ne sont toujours pas inquiétés par la justice et cela fait réagir les organisations de défense des droits de l'homme.

Occasion de rendre justice

Pour Human Rights Watch, ce dixième anniversaire devrait être une occasion pour les autorités burundaises de montrer leur volonté de rendre justice aux victimes. En 2004, elles ont certes émis des mandats d'arrêt contre Pasteur Habimana et Agathon Rwasa, le dirigeant des FNL, mais la procédure n'est pas allée plus loin.

Une situation que déplore Joseph Ndayizeyé le responsable du bureau Burundi de la Ligue des droits de la personne dans les grands lacs : « Dernièrement la communauté Banyamulenge a quand même porté plainte contre les auteurs présumés de ce massacre. Pour certains crimes, certains politiciens ont bénéficié d'une immunité politique. Il est alors difficile pour la justice d'agir. S'il y a déni de justice ici au Burundi, il y a quand même des mécanismes régionaux qui sont prévus. Il y a des cours qui peuvent recevoir des cas qui ne sont pas reçus par les tribunaux au niveau locale. »

Récemment, le Burundi a adopté une loi créant une Commission vérité et réconciliation pour traiter les cas de violations graves des droits humains et du droit international humanitaire, commises entre 1962 et 2008.


 

RFI, 14-08-2014

Massacre de Gatumba : les survivants veulent la fin de l’impunité

La communauté des réfugiés congolais Banyamulenge a commémoré mercredi le 10e anniversaire du massacre de Gatumba, qui avait fait plus de 160 morts et une centaine de blessés, dans l’est du Burundi. Une cérémonie qui s’est tenue en l’absence des autorités, bien qu’elles aient été invitées. Les enquêtes sont au point mort.

Les réfugiés congolais Banyamulenge se sont retrouvés mercredi sur les lieux de leur martyr, à Gatumba. Dix ans, jour pour jour, après l’horrible massacre, les survivants se sentent aujourd’hui gagnés par le découragement.

« Nous sommes abandonnés, même si nous continuons à demander justice », explique Me Moïse Nyarugabo, sénateur congolais issu de la communauté banyamulenge, l’un des avocats des survivants de Gatumba, qui se trouvait sur place, mercredi.

« Ces criminels se promènent toujours sans être inquiétés »

Effacé, donc, cet espoir né il y a un an, lorsque le procureur général du Burundi, Valentin Bagorikunda, avait annoncé l’ouverture d’un dossier judiciaire contre Agathon Rwasa, le leader historique des ex-rebelles burundais du Front national de libération (FNL) et le pasteur Habimana, porte-parole de l’époque du Palipehutu-FNL, qui avait revendiqué l’attaque de Gatumba avant de se rétracter. « Mais depuis, rien », selon Me Moïse Nyarugabo. « Aucune convocation, aucun interrogatoire, aucune arrestation. Ces criminels se promènent toujours sans être inquiétés », dénonce l’avocat congolais.


 

RFI, 14-08-2014

Burundi : les victimes de Gatumba demandent justice, dix ans après

Par Sonia Rolley

C'était il y a dix ans, jour pour jour. Dans la nuit du 12 au 13 août 2004, un camp de réfugiés congolais banyamulenge est attaqué à Gatumba, tout près de Bujumbura, au Burundi. L'attaque fait 166 morts et une centaine d'autres blessés. Pour revenir sur ce massacre, Sonia Rolley a reçu Olivier Mandévou - lui-même survivant du massacre – qui préside l’association de rescapés de Gatumba. Elle l’a joint aux Etats-Unis où il est aujourd’hui réfugié.

RFI : Quel souvenir gardez-vous de la nuit du 13 août 2014 ?

Olivier Mandévou : Nous avions l’habitude d’entendre des coups de feu partout car il y avait des gens qui venaient souvent voler des vaches. Nous avons cru que c’était la même histoire. Subitement, nous les avons vu venir dans notre tente. Ils ont commencé par nous dire de sortir et tout de suite après, ils ont commencé à tirer en direction des tentes, à brûler les tentes, à utiliser des machettes pour tuer les bébés, pour tuer les mamans. Certaines mamans cachaient les enfants pour les protéger. Des enfants ont été brûlés vifs. C’était vraiment macabre.

Qu’est-ce qui vous a conduit à vous réfugier au Burundi ?

Nous avons été attaqués dans nos villes d’Uvira et de Bukavu par des éléments de l’armée de la RDC et après cette attaque, nous avons été forcés de quitter nos villages et sommes allés dans les camps de réfugiés, au Burundi. C’était au mois de juin 2004. Deux mois après, le 13 août, le camp a été attaqué par les éléments rebelles des FNL d’Agathon Rwasa, des éléments Interahamwe – des gens qui ont commis le génocide au Rwanda – et par certains éléments des FARDC. Il y a des rapports qui ont été produits par les Nations unies et par Human Rights Watch qui l’attestent.

Après ce massacre, des gens ont été envoyés dans des différents hôpitaux au Burundi, au Kenya et au Rwanda. En 2007, un certain nombre de réfugiés rescapés ont été réinstallés aux Etats-Unis pour des soins médicaux et pour essayer de rétablir leur vie.

Dans les mois qui ont suivi, les Nations unies avaient parlé d’une attaque planifiée. Avez-vous senti des tensions avant la fameuse nuit du 13 août ?

Oui, il y avait des tensions. Il y avait des tracts où il était écrit que nous serions tués, mais c’était une chose que nous avions l’habitude d’entendre même au Congo. Cette fois-ci, après les tracts, les massacres ont surgi. C’était une chose qui avait vraiment été planifiée.

Qu’est-ce qui vous permet de dire que tous ces groupes et notamment les FNL d’Agathon Rwasa sont responsables ?

Les FNL d’Agathon Rwasa ont donné des interviews dans les médias, et notamment à la BBC et même en France où ils revendiquaient ce massacre. Il y a aussi les rapports produits par la MONUC, l’ONUB et la Commission des droits de l’Homme au sein des Nations unies. Tous ces rapports confirment le rôle primordial joué par les FNL d’Agathon Rwasa dans ces massacres. Par conséquent, ce qui nous dérange, nous les rescapés, c’est que Agathon Rwasa est toujours libre et que le gouvernement burundais ne fait rien pour arrêter ce criminel.

Pourtant, l’an dernier, au mois de septembre, le parquet burundais avait ouvert une enquête contre Agathon Rwasa. Avez-vous des nouvelles de cette procédure ?

Ils avaient promis aussi, en 2004, qu’ils allaient faire quelque chose là-dessus. Ils n’ont rien fait en 2004 et l’année dernière, ils nous ont promis la même chose et ils n’ont rien fait. C’est pour cela que nous avons décidé de recourir au gouvernement américain. Nous sommes allés au département d’Etat américain avec nos mémos réclamant que les Etats-Unis usent de leur forte influence auprès du gouvernement burundais afin que le criminel Pasteur Habimana et Agathon Rwasa soient arrêtés.

Vous savez, le gouvernement américain octroie, en ce moment même, une somme colossale au gouvernement burundais pour les élections. Eh bien, si le gouvernement burundais refuse d’arrêter les deux criminels, il faut que le gouvernement américain arrête d’octroyer une telle somme pour les élections.

Comment expliquez-vous l’absence de réactions des forces armées burundaises qui se trouvaient à proximité ?

Nous ne comprenons pas cette absence. Deux heures se sont écoulées pendant lesquelles ces gens tuaient sans que les membres de l’armée burundaise ne viennent au secours de ces réfugiés. Nous pensons qu’il y a eu une sorte de complicité. A l’heure actuelle, c’est toujours flou ; on ne comprend toujours pas. C’est aussi pour cela que nous exigeons qu’il y ait une investigation assez profonde.

Est-ce que vous êtes amer, aussi, vis-à-vis de la réaction de la communauté internationale ?

Nous sommes vraiment déçus. C’est une déception non seulement pour nous mais surtout pour toute la communauté civile de la région des Grands Lacs car le silence de la communauté internationale ne fait autre chose que promulguer la culture d’impunité dans la région. Il faut que justice se fasse car la justice est la meilleure façon de combattre l’impunité dans la région des Grands Lacs.