Pierre Buyoya à Paris pour défendre sa candidature à la tête de l’OIF
Diplomatie

RFI, 05-09-2014

Buyoya : «Faire de la Francophonie un espace d’échanges économiques»

Pierre Buyoya, ancien président burundais, représentant spécial de l'Union africaine (UA) pour le Mali et le Sahel, candidat à la présidence de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie), est de passage à Paris à l'occasion de sa tournée européenne. Il est l'invité de RFI.

RFI : En novembre prochain, l’OIF élira son nouveau secrétaire général pour succéder à Abou Diouf. La campagne des candidats a déjà commencé depuis maintenant de nombreux mois. Vous êtes de passage à Paris dans le cadre précisément de cette candidature, Que représente pour vous la Francophonie ?

Pierre Buyoya : La Francophonie, c’est une organisation qui groupe 77 Etats, 57 Etats membres et 20 Etats observateurs. Ces dernières années, elle est devenue une organisation internationale qui a sa place et qui a une forte crédibilité, qui apporte sur le terrain une valeur ajoutée dans la résolution des conflits, la médiation, la gestion des crises et l’accompagnement des processus électoraux. Mais aussi, bien sûr, la Francophonie au départ, son identité, c’est un espace linguistique et culturel qui depuis longtemps, d’abord à travers ce qu’on appelait l’ACCT (Agence de coopération culturelle et technique), a développé des programmes en matière d’éducation, en matière culturelle. C’est donc une organisation importante.

Vous parlez de valeur ajoutée. Quelle sera la vôtre à la tête de la Francophonie ?

La mienne, c’est l’expérience que j’ai acquise à la tête du Burundi à deux reprises. En temps que président de ce pays, j’ai introduit des réformes fondamentales au cours de mon premier mandat : l’unité, la réconciliation, et ensuite la démocratisation. Au cours de mon deuxième mandat, j’ai négocié la paix, « l’accord d’Arusha », qui est devenu un acte fondateur du Burundi moderne. J’ai par la suite servi la communauté internationale, particulièrement l’OIF, pendant dix ans. J’ai porté ses couleurs dans tous les coins de l’Afrique, en tant qu’envoyé spécial pour l’observation des élections, pour la médiation, pour animer des colloques, des conférences…J’ai dirigé des études au sein de cette organisation, puis au service de l’Union africaine, que je représente aujourd’hui au Mali et au Sahel, mais que j’ai servi au Soudan et dans d’autres pays par le passé.

Vous avez l’expérience et vous avez la foi, est-ce cela que vous être en train de dire ?

Absolument. J’ai acquis une expérience politique et diplomatique importante qui fait que je peux prétendre légitimement à diriger cette organisation que j’ai servie, et où j’ai beaucoup d’amis.

La Francophonie, c’est à la fois une institution politique, diplomatique, culturelle, qui travaille à la promotion du développement, de la démocratie, de l’éducation. Sur quoi voudriez-vous mettre l’accent ? Qu’est-ce qui doit être, dans les futures années, le plus important ?

D’abord par la volonté des chefs d’Etat, à Hanoï en 1997, la Francophonie est devenue une organisation politique, l’OIF. Et par le travail inlassable de deux secrétaires généraux, Boutros Boutros Ghali et le président Abdou Diouf, cette organisation a acquis une crédibilité remarquable. Mon ambition est de continuer cette œuvre et de conforter l’OIF dans son rôle d’organisation internationale avec une valeur ajoutée. Mais la Francophonie (OIF) doit continuer à s’adapter aux changements qu’il y a dans le monde. Aujourd’hui, c’est la mondialisation. Donc le monde est sans frontières.

Aujourd’hui, pour être crédible, il faut s’attaquer aux préoccupations des pays, aux préoccupations des populations, surtout la dimension économique. Je compte, si je suis élu secrétaire général, appuyer sur cet aspect : faire de la Francophonie un espace d’échanges économiques. Comme vient de le démontrer M. Jacques Attali, la Francophonie pourrait être un levier important de croissance dans les pays du Nord et du Sud, qui sont les pays membres. Enfin, la Francophonie pourrait mieux faire ce qu’elle fait jusqu’à présent en utilisant largement, massivement les nouvelles technologies de la communication et de l’information. Par exemple, en matière d’éducation, sur le terrain, cela pourrait changer la donne complètement.

Vous avez été deux fois président du Burundi de 1987 à 1993 puis de 1996 à 2003. Dans les deux cas, vous êtes arrivé au pouvoir à l’occasion d’un coup d’Etat. Cela n’est-il pas gênant, voire un handicap, quand on brigue la tête de l’OIF, qui est une organisation défendant les valeurs de la démocratie précisément ?

Ce n‘est pas gênant parce que, je crois, cette façon d’accéder au pouvoir était liée, aussi, aux circonstances de crise que connaissait mon pays. Tous les pays qui ont connu des crises graves, comme celle du Burundi, ont connu ce genre de situations. Je crois que ce qui est important pour un homme politique, ce n’est pas comment il accède au pouvoir, c’est ce qu’il fait du pouvoir. Je crois que mon bilan comme président du Burundi pendant les deux mandats est largement positif. D’abord, j’ai prouvé mes capacités de réformateur, mes capacités de s’attaquer à des problèmes graves qui avaient miné jusque-là la société burundaise, et j’ai pu leur donner une orientation.

Aujourd’hui, ce qui est important, c'est de savoir comment un chef d’Etat quitte le pouvoir. A deux reprises, j’ai quitté le pouvoir pacifiquement, légalement. En 1993, après les élections, j’ai remis le pouvoir au président démocratiquement élu et je suis parti. En 2003, j’ai remis le pouvoir à celui qui était mon vice-président, comme le prévoyait l’accord d’Arusha, et je suis parti. Alors aujourd’hui, si vous regardez autour de vous, le grand problème en Afrique, ce n’est pas comment on accède au pouvoir, c’est comment on quitte le pouvoir. Et là, je pense que mon cas était un cas exemplaire.

Par Frédéric Rivière