Libération, 7 août 2019 Paludisme au Burundi : «Il est fréquent qu'un pays ne reconnaisse pas une épidémie» Le gouvernement burundais semble réticent à déclarer une épidémie de paludisme qui a fait déjà plus de 1800 morts depuis le début de l'année. Pour Marc Gastellu-Etchegorry, épidémiologiste à Épicentre/MSF, la reconnaissance officielle de la propagation de la maladie est «un aveu de faiblesse que peu de gouvernements aiment faire».
Le Burundi est confronté à une flambée de paludisme atteignant des «proportions épidémiques», selon les Nations unies. D’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), plus de 5,7 millions de cas, dont 1801 décès, ont été signalés entre le 1er janvier et le 21 juillet 2019 dans un pays qui compte 11,5 millions d’habitants. Le gouvernement burundais a refusé jusqu’ici de déclarer une épidémie de paludisme qui a pourtant fait autant de victimes qu’Ebola en un an dans la République Démocratique du Congo (RDC) voisine. Pour Marc Gastellu-Etchegorry, directeur adjoint à Épicentre, une association d’expertise épidémiologique qui accompagne Médecins sans frontières (MSF), «reconnaître une épidémie pourrait permettre au gouvernement de montrer à sa population qu’il a su apporter une réponse pour endiguer la propagation de la maladie». Près d’un habitant sur deux souffre actuellement du paludisme au Burundi. Comment expliquer une telle flambée de la maladie ? Elle est liée à plusieurs facteurs. Le paludisme est une maladie parasitaire transmise par la piqûre d’un moustique. Si un moustique sain pique une personne infectée, il est à son tour porteur du parasite et peut ainsi contaminer d’autres personnes. Un individu vivant dans une zone d’endémie stable peut souffrir de plusieurs crises de paludisme, ce qui renforcera ses défenses immunitaires. Mais le Burundi est un pays de collines où se concentrent la plupart des habitants et où la maladie se développe peu. Cependant, des conditions climatiques particulières, comme l’augmentation des températures, peuvent entraîner l’apparition de la maladie. N’ayant jamais été infectés, les individus tombent malades plus facilement puisqu’ils n’ont pas de défenses suffisamment fortes. C’est aussi pour cela que le risque de paludisme grave concerne d’abord les enfants. L’exode rural, la faiblesse des systèmes préventifs et de traitement peuvent également expliquer cette flambée. Pourquoi le gouvernement burundais refuse-t-il selon vous de déclarer une épidémie de paludisme ? La situation est tendue depuis longtemps au Burundi. Lorsque j’y travaillais au début des années 2000, dans un contexte de post-génocide au Rwanda, le gouvernement avait déjà des difficultés en termes de politique intérieure et ne partageait pas beaucoup d’éléments. Aujourd’hui, nous sommes à moins d’une année de la présidentielle et reconnaître une épidémie de ce type reviendrait à avouer que les niveaux des structures, de réponses et de prévention sont relativement faibles. Généralement, peu de gouvernements aiment faire cet aveu de faiblesse et craignent que cela nuise à leur image. Cela avait été le cas de la France lors de l’épidémie de chikungunya qui avait touché la Réunion entre 2005 et 2006. Or, selon moi, déclarer une épidémie pourrait permettre à un gouvernement de montrer à sa population qu’il a su apporter une réponse pour endiguer la propagation de la maladie. Reconnaître une épidémie, ça change quoi ? Beaucoup de choses. Un certain nombre de donateurs comme l’Union européenne attendent la reconnaissance de l’épidémie par les instances gouvernementales avant de pouvoir lever des fonds pour des ONG. Ils ne veulent pas aller contre la souveraineté des Etats. Lorsqu’un pays déclare une épidémie, une dynamique est également lancée pour qu’une réponse efficace et des moyens financiers soient mis en place. C’est le cas actuellement de l’épidémie de fièvre hémorragique Ebola. Et quel est l’impact de cette non-reconnaissance pour les acteurs humanitaires ? Les organisations humanitaires se battent mais sont gênées pour pouvoir intervenir. Beaucoup d’Etats sous-notifient le nombre de malades tout en surestimant leurs activités de réponse, comme la vaccination. Les données médicales ne sont pas toujours transparentes et cela ne nous permet pas de réagir efficacement. Par Léa Masseguin
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