La Libre Belgique, 7 février 2020 Par Me Armel Niyongere, défenseur des droits de l’homme. Le risque de glissement et d’aggravation du processus génocidaire est réel au Burundi pour plusieurs raisons : · Depuis 2015, et même auparavant, il y a un discours de la haine ethnique entretenu par les responsables du CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie, parti au pouvoir) et qui prend des proportions préoccupantes avec la dégradation des relations avec le Rwanda.
· Le processus électoral en 2020, qui risque de dérailler et de provoquer l’entrée en action de groupes armés burundais pour contester des élections qui ne sont ni libres, ni transparentes, ni respectueuses du suffrage universel et du secret des votes. · Nous observons aussi que des cas d’assassinats de militaires de la garde présidentielle sont rapportés. · Les membres du CNL (Conseil National pour la Liberté) de M. Agathon Rwasa sont dans la ligne de mire du pouvoir CNDD-FDD et font l’objet de harcèlements, détentions arbitraires et assassinats. · La capacité de contrôle du processus électoral est limitée. Les medias étrangers comme VOA (Voice of America) et BBC (British Broad casting Corporation) sont suspendus. L’Office du Haut-Commissariat des Nations Unies au Burundi a fermé ses portes. Les ONG intervenant dans la justice et la bonne gouvernance ont décidé de partir tandis que la plus part des ONG et medias burundais indépendants sont suspendus ou radiés. Il n’y a donc pas de témoins. Mais j’espère que ce processus pourra être atténué par le fait que la population hutue résiste aux enseignements de division et de haine ethnique à l’égard des Tutsis et des Hutus de l’opposition et comprend qu’il s’agit de la manipulation d’un pouvoir qui n’a plus d’arguments pour gagner les élections démocratiquement car la pauvreté accable la population de manière générale. Si l’on parle de processus génocidaire, c’est en raison des travaux scientifiques menés par d’éminentes personnalités comme feu Yves Ternon en France ou encore Gregory Stanton aux Etats-Unis. Ces éminents auteurs ont décrit les étapes qui, lentement mais sûrement, construisent la haine de l’autre pour terminer dans l’apocalypse de sa destruction massive et totale. C’est ce processus qui est identifiable au Burundi. Un génocide est-il possible au Burundi ? Depuis 2015, plusieurs organisations des droits de l’homme ont lancé des alertes sur les risques de génocide au Burundi. Ces signes n’ont pas été cernés seulement par des observateurs externes mais aussi par de nombreux Burundais, dont beaucoup ont fui le pays. Quels sont ces signes ? 1. Le discours de la haine : il est distillé par les plus hautes autorités et le signal a été lancé par le président de la République Pierre Nkurunziza lui-même, relayé par d’autres, à l’instar du président du Sénat, Révérien Ndikuriyo, surnommé « Kora1 », et bien d’autres. Ces discours prennent une grande envergure et sont aujourd’hui produits et diffusés par des quidams à travers les média sociaux. Le dénominateur commun c’est que le Tutsi est diabolisé, présenté comme un être d’une méchanceté sans égal, paresseux, méprisant; ils utilisent de belles Tutsies dont le rôle est d’infiltrer les cadres hutus attirés par leurs appâts pour les espionner. Sans compter les risques de retour au pouvoir des Tutsis, etc. 2. La déshumanisation : le terme « mujeri » (chien famélique et méchant), introduit par le président Nkurunziza lui-même, est désormais utilisé par des Hutus radicaux pour désigner tout Tutsi. Le Tutsi perd son statut d’être humain méritant d’être reconnu et protégé. 3. La machine à tuer, les miliciens Imbonerakure (Jeunes du Parti CNDD-FDD) : leur nombre n’est pas connu mais ils quadrillent tout le territoire de jour comme de nuit. Des armes à feu leur ont été distribuées et certaines informations font état d’entraînements paramilitaires, voire militaires, sous la supervision de miliciens Interahamwe (NDLR: fer de lance du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994). Avec le temps, ils ont acquis un pouvoir illimité d’arrêter, de torturer et de tuer, y compris des agents des force de l’ordre, et cela en toute impunité. Ils sèment la terreur, en particulier à l’égard de toute personne considérée comme opposant politique. La ressemblance et la proximité avec les miliciens Interahamwe du Rwanda avant le génocide sont totales. 4. La discrimination : Les Tutsis sont victimes de discrimination dans tous les secteurs. Le CNDD-FDD a tout fait pour rendre caduc l’Accord de paix d’Arusha pour la paix et la réconciliation, qui permettait une certaine représentation des Tutsis dans les institutions et surtout dans les forces de défense et de sécurité. Hormis quelques rares exceptions, aucun Tutsi ne peut plus avoir la première responsabilité, surtout dans les fonctions élevées de l’administration publique et des forces de défense et de sécurité. Même l’accès aux marchés publics est devenu très difficile, voire impossible, ou alors conditionné à des pots-de-vin dissuasifs. Le but est, selon certaines sources internes au CNDD-FDD, de plonger le maximum de Tutsis dans la pauvreté. Cette paupérisation d’une communauté correspond exactement à l’une des étapes majeures des processus génocidaires. 5. Des éléments déclencheurs : avec toute cette machinerie, il suffirait d’une petite goutte pour que le vase déborde. Une attaque de rebelles, par exemple, qui serait ressentie comme une menace au pouvoir CNDD-FDD; l’assassinat d’un officier éminent issu du CNDD-FDD; ou du Président lui-même. Il y a des situations qui, si elles se produisaient, conduiraient à un risque majeur de génocide, en raison de la propagande anti-tutsie déjà distillée dans la milice Imbonerakure au cours de réunions secrètes – auxquelles aucun Tutsi n’est invité. Il est fort probable que ces scénarios ont été déjà imaginés et leur parade également. La prévention est urgente. Les leçons de l’histoire de la région doivent être retenues et le travail préventif mené avec une extrême attention. 1 Signifie travailler. Il a été utilisé au cours du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. |