La Libre Belgique, 22 octobre 2020 Ce 22 octobre, cela fera un an que quatre journalistes burundais ont été arrêtés alors qu’ils faisaient un reportage sur une attaque rebelle, reportage pour lequel ils avaient reçu la permission des autorités locales.
« Les Burundais espéraient un nouveau départ, avec l’arrivée à la Présidence du général Evariste Ndayishimiye. Et nous, journalistes, espérions que cette injustice allait être levée rapidement parce que tout le monde sait que le journal Iwacu s’est toujours montré respectueux des règles et de la déontologie depuis sa création, il y a douze ans », a expliqué à La Libre Afrique.be Antoine Kaburahe, co-fondateur du journal indépendant Iwacu et son ancien directeur. Une loi récente interdit en effet aux dirigeants d’un journal burundais de résider à l’étranger, loi destinée à couper de leurs médias les nombreux journalistes qui ont dû fuir le pays lorsque le régime du parti CNDD-FDD a détruit la plupart des médias indépendants, dans le paroxysme de répression déclenché après le coup d’Etat raté contre Pierre Nkurunziza, en mai 2015. Iwacu avait échappé au saccage, mais des menaces de mort avaient obligé Antoine Kaburahe à fuir le pays pour la Belgique cinq mois plus tard. Attaque rebelle Certains partisans du putsch raté de 2015 ont formé des groupes armés. Dans la nuit du 21 au 22 octobre 2019, des infiltrations de rebelles depuis la RDCongo avaient été signalées à Musigati, dans la province de Bubanza. « Vers 10 heures du matin, le 22, le gouverneur de la province avait indiqué que la situation était sous contrôle. La rédaction avait décidé qu’il fallait faire un reportage: on parlait de déplacés, de tueries… On a appelé l’administration locale de Musigati, qui a dit qu’on pouvait venir et quatre journalistes se sont portés volontaires », explique Antoine Kaburahe. Il s’agissait d’Agnès Ndirubusa, Christine Kamikazi, Térence Mpozenzi et Egide Harerimana. Quand ils débarquent à Musigati, alors qu’ils se dirigent vers le bureau de l’administration locale pour se présenter, les quatre journalistes sont arrêtés par la police « pour raisons de sécurité » et leur matériel est confisqué. Au début, ils ne s’inquiètent pas. Puis la situation se dégrade: ils sont transférés dans un cachot, malmenés, Christine Kamikazi est giflée et les quatre journalistes sont accusés d’entente avec l’ennemi. « Tentative impossible » Le 30 janvier dernier, les Tribunal de grande instance de Bubanza condamne nos confrères à 2 ans et 6 mois de prison, ainsi qu’à une amende d’un million de FBu chacun, pour « tentative impossible » d’atteinte à la sécurité de l’Etat. Cette curieuse inculpation est prévue par l’article 16 du code pénal burundais: » Il y a tentative impossible lorsqu’un délinquant en puissance a fait tout ce qui était en son pouvoir pour commettre une infraction, alors que celle-ci ne pouvait se réaliser par suite d’une impossibilité qu’il ignorait« . La peine sera confirmée en appel le 5 juin dernier. Quinze jours plus tard, le général Evariste Ndayishimiye prête serment comme nouveau chef de l’Etat après des élections irrégulières. Néanmoins, beaucoup de Burundais espèrent que le changement de visage à la tête du pays va permettre au Burundi de tenter une ouverture vers l’extérieur, afin de rompre son isolement. Donc de prendre des mesures de détente – par exemple en libérant des prisonniers qui n’ont pas commis de crimes de sang. « Mais que voit-on? », interrgoge Antoine Kaburahe. « Au lieu de l’ouverture attendue, on assiste à de nouvelles arrestations, dont celle d’un ancien député, détenu pour des propos qu’il avait tenus à l’Assemblée nationale lorsqu’il y siégeait. On peut argumenter qu’il n’y a que trois mois que le nouveau Président est en place, mais chaque jour d’une peine injuste est un jour de trop ». L’arrivée à la Présidence du général Ndayishimiye n’a pas amélioré les conditions de travail de la presse. « Etre journaliste, au Burundi, c’est un sacerdoce », commente M. Kaburahe. « Ce sont des héros au quotidien. Les jeunes confrères d’Iwacu, quand ils vont faire des reportages, ont peur d’être arrêtés comme nos quatre journalistes, voire pire, comme Jean Bigirimana, disparu en reportage en 2016 et dont le corps n’a jamais été retrouvé. Aller sur le terrain, pour faire remonter les informations de la base, c’est pourtant notre travail, que les autorités devraient apprécier… Si demain Iwacu devait fermer, on pourrait dire qu’il y a eu, au Burundi, des journalistes valeureux qui ont tenté de faire leur métier ». Par Marie-France Cros. |