La Libre Belgique, 15 décembre 2020 Le changement de Président à la tête du Burundi paralyse le fonctionnement de l’administration, alors que l’économie de ce pays, parmi les plus pauvres du globe, se ressent fortement de la diminution des aides extérieures sanctionnant l’importance des violations des droits de l’Homme, de la mauvaise gestion par les autorités CNDD-FDD et des conséquences de la pandémie de Covid-19.
Bien que plusieurs capitales occidentales ont espéré une amélioration de la situation des droits de l’Homme au Burundi lorsque le général Evariste Ndayishimiye s’est hissé à la Présidence après des élections peu crédibles, rien ne s’améliore. Fuite des cerveaux Alors que le parti au pouvoir depuis 2005, le CNDD-FDD, disposait de peu d’intellectuels au départ, il a encore aggravé son cas, à partir de 2015, en procédant à une épuration parmi ses membres favorables à une ouverture et au respect de l’Accord de paix d’Arusha, réduisant ainsi le peu de « cerveaux » auxquels il pouvait recourir. La répression généralisée qui a accompagné l’obstination de feu le président Pierre Nkurunziza à se présenter à un troisième mandat a provoqué la fuite de plus de 400.000 Burundais à l’étranger, dont de nombreux travailleurs qualifiés – très appréciés en Tanzanie voisine, dans le secteur de la construction en particulier – et diplômés, bien accueillis au Rwanda voisin, quelle que soit leur ethnie. Estimée à 80% de l’économie, la part de l’informel – qui ne paie pas d’impôts à l’Etat – a donc encore augmenté. Deux hommes qui se détestent Dans ce pays sinistré – l’espérance de vie y est passée de 57 ans en 2014, avant la crispation du régime, à 52,6 ans en 2017 – l’avènement d’Evariste Ndayishimiye ne s’est pas traduit par une ouverture, en dépit de quelques déclarations en ce sens du nouveau Président. Comme son prédecesseur, il semble obnubilé par son maintien au pouvoir. S’il n’en est pas encore à calculer ses chances d’être élu en 2025, il surveille de près son principal rival, Guillaume Bunyoni, qu’il a nommé Premier ministre peu après son accession à la Présidence, en juin dernier, sans que l’on sache s’il voulait ainsi mieux surveiller un adversaire dangereux ou obéir à la volonté du « groupe des généraux » qui gouvernait derrière le paravant sous Pierre Nkurunziza et sur le devant de la scène depuis le décès de ce dernier, en juin. Ndayishimiye et Bunyoni passent pour se détester. Tous deux issus des « combattants » du CNDD-FDD, ils s’opposent par le caractère. Le second est une des plus sinistres figures du régime CNDD-FDD. Ex-directeur de la police, ex-ministre de la Sécurité, Guillaume Bunyoni fait partie de la dizaine de personnalités burundaises contre lesquelles la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête pour soupçons de crimes contre l’humanité commis lors de la répression qui s’est abattue sur le pays depuis 2015 ; il fait aussi l’objet de sanctions de Washington. Réputé corrompu, il passe aujourd’hui pour un des hommes les plus riches du pays après avoir amassé une fortune lors de ses années au pouvoir. Selon une source de La Libre Afrique.be, il a le monopole sur l’importation et la distribution d’engrais. S’il fait aussi partie des prédateurs, le président Ndayishimiye est plus consensuel, indique cette source, mais, peu travailleur et inconstant, il est moins efficace, en la matière, que Guillaume Bunyoni. Depuis l’enfance, le nouveau chef d’Etat est surnommé « Kirogorogo », « celui qui parle à tort et à travers, sans réfléchir ». Son opposition à son Premier ministre semble n’avoir guère de base idéologique et être une simple rivalité de personnes pour le pouvoir. L’armée contre la police Dans ce bras de fer, le Président a l’appui de l’armée ; le Premier ministre, celui de la police. Il faut ici noter que si Guillaume Bunyoni est une personnalité plus forte que le général Ndayishimiye, la police est méprisée par l’armée. Cette dernière reçoit une formation sérieuse, ce qui n’est pas le cas de la police, qui compte de nombreux ex-maquisards CNDD-FDD peu formés et de plus en plus de jeunes gens – parfois des truands – issus de la milice du parti, les Imbonerakure, largement illettrés. Mal payés, les policiers rackettent de plus en plus la population. La rivalité entre le président Ndayishimiye et le Premier ministre Bunyoni est de plus en plus visible. Ainsi, après plusieurs annonces d’un prochain congrès du CNDD-FDD, cette réunion n’a toujours pas eu lieu. En cause : l’incapacité des deux dirigeants à s’entendre sur le nom de celui qui sera nommé, à cette occasion, pour diriger le parti. Evariste Ndayishimiye, qui était le secrétaire-général – donc le patron – du CNDD-FDD jusqu’à son élection, doit en effet être remplacé. Des délais identiques sont observés dans les ministères. Après son investiture, le président Ndayishimiye avait annoncé que les directeurs généraux et secrétaires généraux des ministères seraient remplacés ; ces derniers n’osent donc prendre aucune décision. Mais faute d’accord au sommet, leurs remplaçants ne sont pas nommés depuis cinq mois. Résultat : aucun dossier ne monte de l’administration vers le Conseil des ministres, qui prend peu de décisions. Le pays, paralysé, continue de s’enfoncer… Par Marie-France Cros. |