La Libre Afrique, 14 Juin 2024 L’économie est à l’arrêt, le pays est paralysé par la pénurie d’essence et les Burundais manquent de tout. « Le président de la République Évariste Ndayishimiye n’est pas dans le déni mais dans la démence”, lance un journaliste burundais qui, comme tous nos interlocuteurs, n’accepte de témoigner qu’en tout anonymat. “La répression est omniprésente, elle est le fait de la police et de la milice imbonerakure au service du parti du chef de l’État, le CNDD-FDD”.
Une répression “sous les radars”, comme l’explique un habitant de Bujumbura. “Ces gens quadrillent les villages, les collines et un peu Bujumbura. Il y a des morts et, surtout, des disparitions tous les jours. Mais jamais en grand nombre. Quatre ou cinq personnes maximum, pas de quoi faire les gros titres à l’étranger”. Si la situation sécuritaire est inquiétante, la dégradation économique est catastrophique. La pénurie d’essence, régulièrement épinglée, atteint des niveaux jamais vu. “Sans diesel, qu’on appelle ici le mazout, tout est à l’arrêt.” Le pays a espéré une amélioration à la mi-mai quand un arrivage de près de 400 camions de la société Interpetrol a été signalé dans le pays. “Mais ce ne fut qu’un one-shot et la population burundaise n’en a pas profité. Ce convoi était essentiellement destiné à l’armée qui devait refaire son stock stratégique”, continue un habitant de la capitale économique qui, comme plusieurs interlocuteurs, craint que ce pétrole ait “surtout permis à certains tenants du pouvoir ou à des hauts gradés de se faire du cash en dollars, en allant revendre cet or noir au Congo voisin”. Dans tout le pays, le trafic est à l’arrêt. Les camions ou les bus se font rares. A Bujumbura où tout est importé le quotidien est rythmé par ces pénuries. “ce vendredi matin, à la gare centrale, là où se croisent tous les bus qui desservent la capitale, il y avait à peine 15 % des bus. Ce qui signifie que 85 des gens qui doivent venir en ville pour travailler sont contraints de se lever avant l’aube et de faire plusieurs kilomètres pour venir travailler”. Le soir, cette noria de piétons fait la route en sens inverse dans le noir absolu. “Ici, il fait noir à 18 heures, ce sont des milliers et des milliers de personnes qui marchent, souvent sur la route, les trottoirs étant trop petits ou inexistants, pour rentrer chez eux. En sortant du bureau, ils attendent une heure ou deux en espérant la venue d’un bus qui, le plus souvent, n’arrive jamais”, explique un expatrié qui lui aussi “compte désormais ses déplacements dans la ville. Cela fait des années que je suis ici mais c’est la première fois que je vis une telle situation. Beaucoup d’expatriés sont déjà partis tant le quotidien devient pénible et la tension palpable, sans parler de la peur des exactions des policiers ou des Imbonerakure qui envahit toutes les couches de la société”. “C’est vraiment l’or noir” Le litre d’essence, au marché noir, a été multiplié par 10 ou même 15. Quand un camionneur circule encore il doit inévitablement répercuter ce coût sur les biens qu’il transporte qui deviennent ainsi impayables pour la plupart des Burundais dont le salaire ne dépasse que rarement les 40 dollars par mois. “Depuis quelques jours, même le charbon de bois vient à manquer”, explique notre expatrié. “C’est le combustible de base pour la cuisine de plus de 90 % des gens même dans une ville comme Bujumbura. On n’utilise pratiquement pas le gaz ou l’électricité pour cuisiner. Du coup, même cuire du riz ou des haricots, la nourriture de base, devient très compliqué et la plupart des Burundais ne font plus qu’un repas par jour. Pour certains, cela fait plus de six mois qu’ils ont faim”. Un répit estival Face à cette crise économique majeure, personne ne pense que la classe politique au pouvoir va trouver une solution. “Ils sont trop occupés à s’engraisser avec leurs combines. Le pays est au bord de la crise de nerfs et même si les Burundais ne laissent rien apparaître dans leur attitude, l’exaspération est totale. On n’a jamais connu ça. Même pendant la guerre civile de 1993 à 2005, malgré l’embargo, malgré les frontières fermées, les pénuries n’ont jamais été aussi insupportables”, poursuit un autre habitant de Bujumbura qui rappelle que le Premier ministre, Gervais Ndirakobuca, a demandé publiquement au parlement qu’on ne lui pose plus de questions sur la crise parce qu’il n’a aucune solution à proposer. Les Burundais comptent désormais en ce mois de juin sur le retour, en juillet et en août, de la diaspora. “Ces deux mois sont le temps des retrouvailles et des fêtes familiales. Ce sera une mise sur pause de la crise, prévoit un de nos interlocuteurs. C’est le temps des mariages, des fiançailles, de la levée définitive des deuils. “Les devises reviennent, les familles se retrouvent, la grogne va s’estomper mais elle ne disparaîtra pas et, en septembre, comme aucune solution ne sera trouvée cet été, tout recommencera avec un vrai risque de déflagration sociale par manque de perspective”. Une lente décrue Le Burundi est frappé depuis des mois par les crues du lac Tanganyika et les inondations qui les accompagnent. Le pays a connu huit mois de pluie, des milliers de maisons, écoles, hôpitaux ont été inondées. Cette année, la saison sèche, qui débute généralement vers 15 juin, a commencé vers le 20 mai. “En un mois, le niveau du lac a baissé de 5 centimètres. Quand on sait que les maisons sont parfois envahies par 1,50 mètre de haut, il faudra attendre le mois de septembre, même avec une accélération de la décrue, pour que les habitants soient au sec. Vu la qualité du ciment, des milliers de maisons vont s’effondrer après des mois dans l’eau. La fin des vacances va être une période très sensible ici.”. Hubert Leclercq |