La Libre Afrique, 29 mai 2024 Le pays, parmi les pauvres du monde, fait face à 8 mois de pluies incessantes. Le Burundi poursuit sa longue descente aux enfers : économie en berne, inflation, pénurie d’essence, tensions avec les voisins, (fermeture de la frontière avec le Rwanda) et, depuis le mois de septembre, des pluies diluviennes qui ont gonflé la rivière Rusizi qui se déverse dans le lac Tanganyika, deuxième plus grand lac d’Afrique dont le niveau flirte aujourd’hui avec les sommets atteints lors de la crue record de 1962. En découlent de graves inondations qui affectent déjà au moins 200 000 personnes.
Au total, entre le mois de septembre et le 7 avril dernier, « ce sont 203 944 personnes qui ont été touchées » par des inondations, glissements de terrain, vents violents et grêle, ont détaillé dans un communiqué le ministre de l’Intérieur, Martin Niteretse, et la coordinatrice résidente du Système des Nations unies au Burundi, Violet Kenyana Kakyomya. Le gouvernement du président Évariste Ndayishimiye, alias Neva, trop empêtré dans les luttes internes et la corruption, est incapable de gérer ces crises à répétition. Crocodiles et hippopotames menacent Dans la zone de Gatumba qui longe la rivière Rusizi, proche de la frontière avec la République démocratique du Congo, un bras de fer s’est installé entre les habitants et le gouvernement qui veut les contraindre au déménagement. « De gré ou de force, les gens de Gatumba doivent être délocalisés », a expliqué sur BBC radio Anicet Nibaruta, le président de la Plateforme nationale de prévention des risques et de gestion des catastrophes. « L’État ne peut pas accepter que les gens continuent à être tués par des animaux. Sept personnes sont déjà mortes, dont deux tuées par des crocodiles, et cinq autres par des hippopotames. Gatumba est invivable. Et personne ne peut dire qu’il est capable aujourd’hui de vivre là. Tout est inondé : écoles, infrastructures sanitaires, etc. » « Les témoignages des habitants de certaines localités sont terrifiants, explique un expatrié installé à Bujumbura. Les crocodiles et les hippopotames circulent dans les rues inondées. Les habitants doivent se méfier quand ils ouvrent la porte de leur maison dans lesquelles l’eau s’est infiltrée pour atteindre parfois une hauteur d’un mètre. Ces animaux sont devant chez eux. Chaque semaine, des personnes sont retrouvées mortes, déchiquetées. » La plupart des habitants refusent pourtant de quitter leur maison et leur lopin de terre. Le gouvernement avait promis, en 2021, de construire des digues mais rien n’a jamais été fait. Les lieux pour accueillir les populations déplacées ont été choisis mais rien n’est prêt pour les héberger. Le retour du choléra « L’eau a déjà détruit les maisons, nous n’avons plus de toilettes, nous craignons les risques de maladies à cause de l’insalubrité », expliquait récemment un habitant de la localité. Ce jeudi 23 mai, le ministère de la Santé publique du Burundi a annoncé sur son compte X que 45 personnes sont hospitalisées dans la commune de Bujumbura souffrant de choléra. Depuis 2023, la mairie de Bujumbura a été confrontée à 631 cas de choléra, dont 3 décès. Pour Anselme Katiyunguruza, secrétaire général de la Croix-Rouge du Burundi, la montée des eaux du lac Tanganyika est évidemment parmi les facteurs de propagation de cette épidémie. « Nous avons lancé à Bujumbura et dans ses environs une campagne de pulvérisation des endroits touchés par les inondations. On désinfecte là où le niveau des eaux a un peu baissé pour tuer les bactéries présentes », explique-t-il dans des entretiens aux médias burundais. Menace d’isolement « Logiquement, la période des pluies se termine fin mai, explique un habitant de Bujumbura. Mais la situation sanitaire ne s’améliorera pas. Que du contraire, avec la décrue, il faut s’attendre à une explosion des maladies. Les cas de choléra vont s’envoler. Il n’y a pas d’eau courante dans la plupart des régions et le pays n’a pas les ressources financières pour mettre en place un vrai plan de lutte contre les conséquences de ces inondations. » Même l’aéroport international de Bujumbura a vu une partie de ses pistes touchées par ces inondations. « On a craint un temps de devoir le fermer en partie, explique un autre habitant de Bujumbura. Avec la fermeture de la frontière rwandaise, avec la guerre à notre frontière en RDC, si l’aéroport devait être fermé, le pays serait complètement isolé ce qui serait une catastrophe. » Face à ces crises, le gouvernement semble paralysé, incapable de répondre aux besoins de base de la population, de juguler une inflation qui atteint des niveaux records et qui touche tous les biens de consommation jusqu’à la farine, au sucre et au sel. « Le Burundi est en phase de survie. Il attend l’aide internationale et le président Ndayishimiye est de plus en plus coupé de la réalité du quotidien des Burundais. Il présente son pays comme un paradis sur terre, alors que nous sommes en enfer. Les inondations ne font qu’accentuer la chute vertigineuse d’un pays qui ne semble disposer d’aucun levier pour sortir de ce cycle inhumain », conclut un habitant de Bujumbura qui craint un raidissement politique. « Le mécontentement est total. le pouvoir le sait et il n’a que la terreur pour se maintenir en place. » Hubert Leclercq |