La Libre Afrique, 10 octobre 2024 Christophe Sahabo est délibérément privé de soins dans la prison de Ruyigi. Le docteur Christophe Sahabo est incarcéré au Burundi depuis le 1er avril 2022. Ophtalmologue formé en Suisse, le médecin est rentré dans son pays d’origine avec un projet en tête : créer un hôpital flambant neuf et équipé des techniques modernes dans un pays où les infrastructures des soins sont toutes décaties.
En 2015, le projet devient réalité grâce à un partenariat public-privé innovant pour le pays. L’établissement rencontre un franc succès et attire une clientèle venue de toute la région des Grands lacs. Un succès qui ne va pas tarder à attirer les convoitises de responsables politiques toujours en quête de sources de devises. Mais le docteur Sahabo ne plie pas. Face à cet entêtement, les autorités burundaises décident d’arrêter le médecin et de lancer un audit des comptes de l’hôpital… qui ne révélera aucune malversation. Mais la machine répressive est lancée et tant que le médecin refusera de céder la gestion des lieux aux caciques du pouvoir, ceux-ci ne relâcheront pas l’étreinte. Le 1er avril 2022, Christophe Sahabo est arrêté. Il passera quelques nuits dans les cachots des services de renseignement, avant d’être transféré à la prison de Bujumbura et d’être finalement envoyé dans la prison de Ruyigi, loin de sa famille et de l’attention des médias, des diplomates et des ONG. Deux ans et demi plus tard, Christophe Sahabo refuse de céder aux injonctions du pouvoir et croupit donc toujours derrière les barreaux de Ruyigi. “Il faut craindre pour le docteur Sahabo que, sans une mobilisation internationale, les généraux ne céderont pas. Ils vont le laisser mourir en prison”, nous déclarait une source burundaise au moment de son transfèrement en novembre 2022. Coupé du monde Le 10 septembre dernier, le docteur Sahabo a été sorti de sa prison pour comparaître devant le Tribunal de grande instance de Muha, à Bujumbura. Là, le prévenu a été pris de vomissements et a perdu connaissance. L’audience a été ajournée. “Il a fallu attendre plus d’une heure pour que Christophe soit emmené à l’hôpital de Bujumbura, alors qu’il s’agissait clairement d’une urgence”, explique Jean-Marc Sahabo, son frère, qui évoque l’insuffisance rénale dont souffre Christophe Sahabo. “Il avait un peu d’asthme, comme tout le monde dans la famille et il souffre aussi un peu d’hypertension, comme beaucoup d’hommes de la cinquantaine. Une maladie qui est apparue à cause de ses conditions de détention à Ruyigi”. Emmené dans un hôpital public de Bujumbura, le docteur Sahabo a subi plusieurs examens et a commencé un traitement qui a été interrompu… au bout de deux jours, quand le patient a été ramené “manu militari” dans la prison de Ruyigi. “Là, il est privé de tout”, poursuit son frère. “Il ne peut voir personne. Ni sa famille, ni ses avocats. Il n’a plus accès à aucun soin. Pourtant, les examens qu’il a réalisés à Bujumbura montrent qu’il a vraiment besoin de ces soins. Amnesty International a eu accès à ces examens et a confirmé qu’il est vraiment en danger”. Rachel Nicholson, chercheuse sur le Rwanda et le Burundi pour Amnesty International, basée à Nairobi, confirme : “Nous avons en effet reçu les résultats de ces examens et nous avons demandé l’avis de médecins indépendants qui ont confirmé que le docteur Christophe Sahabo a un urgent besoin de soins. Sans ceux-ci, sa vie peut réellement être en danger”. Procédure judiciaire à l’arrêt Les événements qui se sont produits le 10 septembre devant le Tribunal de grande instance se sont déroulés sous les yeux de plusieurs diplomates, notamment belges et américains. “Ils ont pu voir l’état dans lequel est le docteur Sahabo. Ils ne peuvent que constater que le prévenu est en très mauvaise santé”, explique un membre d’une ONG burundaise qui préfère demeurer dans l’anonymat. “Vu la présence de ces diplomates, les autorités n’ont pas pu renvoyer immédiatement Christophe derrière les barreaux de Ruyigi. Mais le répit fut de très courte durée”, poursuit Jean-Marc Sahabo. “C’est assez habituel, dès que les regards de la communauté internationale sont moins présents, le pouvoir reprend sa persécution”, enchaîne un ancien diplomate en poste au Burundi. “Il est évident que ce qui s’est passé lors de l’audience du 10 janvier a particulièrement embêté les structures du pouvoir. Les autorités ont immédiatement stoppé la procédure judiciaire. Le tapage autour de ces événements les perturbés. Aujourd’hui, tout est à l’arrêt et on n’a aucune information sur la suite du parcours judiciaire”, poursuit le frère du détenu. Le dossier Sahabo est une véritable épine dans le pied des généraux burundais au pouvoir. En refusant de céder aux pressions, le docteur Sahabo et ses partenaires suisses ont mis en évidence les dérives autoritaires et, surtout, la volonté d’accaparement d’un pouvoir toujours aussi cupide et incapable de faire primer l’intérêt général. Hubert Leclercq |