La Croix International, 17 octobre 2024 Après avoir accusé un prêtre de violences sexuelles sur des mineurs, Émilienne Sibomana a été incarcérée au Burundi pour dénonciation calomnieuse. Malgré un acquittement en juillet dernier, elle est toujours en prison, en opposition aux procédures de son pays, selon ses avocats. Acquittée, mais toujours en prison. Tel est le sort d'Emilienne Sibomana, une Burundaise emprisonnée depuis près de deux ans pour dénonciation calomnieuse, après avoir accusé un prêtre directeur d'école de violences sexuelles sur mineurs dans le diocèse de Gitega (la deuxième plus grande ville du Burundi).
L'affaire commence en janvier 2023. Selon le récit relaté dans la décision d’appel - que La Croix International a pu consulter - Émilienne Sibomana, secrétaire dans un lycée, accuse lors d'une réunion publique le directeur de son établissement scolaire d'agresser sexuellement certaines élèves dans son bureau. Dès le lendemain de la réunion, elle est arrêtée et incarcérée pour dénonciation calomnieuse. Selon les informations de La Croix International, l'archevêque de Gitega a nommé le jour de l'arrestation d'Émilienne Sibomana trois prêtres pour enquêter sur « la véracité ou la fausseté des allégations portées à l'encontre du directeur du lycée ». L'enquête s'est faite en un jour seulement, car dès le lendemain, les membres de cette commission rendaient leur rapport à l'archevêque, lui demandant de décréter la clôture de l'enquête. Ce que fit aussitôt l'archevêque, stipulant dans son décret « ne pas avoir à engager un procès pénal » contre le prêtre concerné. Concernant Émilienne Sibomana, la justice burundaise l'a reconnue coupable en première instance de dénonciation calomnieuse. Cette décision s'appuyait sur trois rapports d'enquêtes (menées par le diocèse, le ministère de l’éducation et le procureur), établis sur la base de témoignages disculpant le prêtre. Le 27 juin 2023, un tribunal l'a donc condamnée à cinq ans de prison et cinq millions de Francs burundais d’amende (environ 1500 euros). Émilienne Sibomana a alors fait appel et, retoquant le verdict de première instance, la cour d’appel a prononcé une décision d'acquittement, considérant que le délit n’était pas constitué. Pour les juges de la cour d’appel de Gitega, il aurait d’abord fallu poursuivre le prêtre pour les faits dénoncés pour établir son innocence, avant d’engager des poursuites contre Mme Sibomana. De plus, la cour a considéré les rapports d'enquête « non valides et inopérants ». Ces témoignages, peut-on lire dans la décision d'appel, ont été recueillis auprès des personnes « qui ne pouvaient pas donner librement leur témoignage en toute tranquillité et sincérité de peur d’être maltraités, menacés ou de subir le même sort que Sibomana Émilienne, étant donné que le présumé violeur reste en fonction ». Alors qu'elle aurait dû être libérée suite à cette décision, la secrétaire de lycée est toujours en prison - officiellement car le parquet s'est pourvu en cassation. Mais pour son avocate, Me Michella Niyonizigiye, et plusieurs ONG de défense des droits de l’homme, ce maintien en détention est une violation de la loi. « L’appel n’a pas d’effet suspensif en cas de jugement d’acquittement », assure l'avocate, citant mot-à-mot l’article 362 du code de procédure pénal burundais. « Nous faisons tout ce que la loi nous autorise à faire » pour réclamer sa libération, assure Me Niyonizigiye. Le Vatican interpellé « La détention d'Émilienne Sibomana après son acquittement n’a aucune base légale et n’a pas d’explication valable », explique à La Croix International Berthe Hans, responsable de la communication de Light For All, une ONG qui promeut la justice sociale au Burundi et en Ouganda. Cette ONG a ainsi entrepris plusieurs démarches en faveur de la détenue. D’abord auprès du diocèse de Gitega, dès le 15 juillet. « Nous leur avons demandé d'intercéder pour la libération d’Émilienne Sibomana et sa protection. On n’a pas encore eu de réponse, confie Berthe Hans. La même demande a été faite à la nonciature apostolique le 24 juillet qui a accusé réception et a promis de répondre. La Commission pontificale pour la protection des mineurs a également été saisie et nous a assuré que notre courrier avait été remis au Dicastère pour la doctrine de la foi et au Dicastère pour les évêques ». Joint par La Croix International, Mgr Bonaventure Nahimana, archevêque de Gitega, n'était pas disponible dans l'immédiat pour commenter, absent de son diocèse. Il a toutefois souligné que dans cette affaire, « l’Église n’est pas restée sans rien faire comme certains le pensent ». En attendant, la secrétaire de lycée dort toujours en prison. Par Guy Aimé Eblotié |