Le Soir, 28/02/2025 A la fin du génocide au Rwanda qui avait entraîné la mort de plus d’un million de Tutsis, des centaines de milliers de Hutus se refugièrent au Congo. Avant d’être attaqués par le Rwanda, renforçant haine des Tutsis, soif de revanche et détestation du régime de Kigali. Masisi, Walikale, Shabunda, Mbandaka : ces noms ne sont pas de simples points sur la carte de la République démocratique du Congo (RDC), ils ne désignent pas seulement des gisements miniers convoités ou de vastes domaines agricoles. Ils font partie du martyrologue du Congo, sont synonymes de guerre et de mort. Dans le silence et l’impuissance du monde.
Voici 31 ans, à la fin du génocide au Rwanda qui avait entraîné la mort de plus d’un million de Tutsis, une foule immense se pressait sur les frontières du petit pays des mille collines : des centaines de milliers de Hutus, sous la conduite des autorités qui les avaient poussés à tuer leurs voisins tutsis, tentaient de quitter leur pays. Ces foules fuyaient le Front patriotique rwandais qui avait mis fin au génocide des Tutsis et remporté la guerre. En face de Bukavu et de Goma, les soldats français de l’Opération Turquoise encourageaient cet exode, avant de faire face à l’épidémie de choléra qui allait bientôt se déclencher. Des chiffres qui donnent le tournis Deux années plus tard, dénonçant l’inaction de la communauté internationale face aux camps de réfugiés où se préparait la prochaine offensive, celle de la revanche, Paul Kagame, président du Rwanda, déclenchait ce qui allait s’appeler la « première guerre mondiale africaine ». L’armée du Front patriotique rwandais et ses alliés, dont l’Ouganda, avaient pour mission de disperser les camps de réfugiés où se préparait une nouvelle guerre. L’offensive fut brutale, fulgurante : bombardés et attaqués, les camps de réfugiés se vidèrent en quelques jours, des centaines de milliers de civils hutus traversèrent dans l’autre sens la frontière de leur pays. Pas tous : les militaires, les miliciens Interhahamwe, principaux auteurs du génocide, et les autorités civiles se replièrent à travers la forêt congolaise avec, devant eux tels des boucliers humains, des paysans, des familles, des enfants seuls, égarés. Tous furent poursuivis, traqués, bombardés, jetés dans des fosses communes ou dans les cours d’eau, jusqu’à Mbandaka, sur la rive du fleuve Congo. Les chiffres sont contestés et donnent le tournis : un demi-million de rapatriés, 300.000 disparus. Et les autres ? Ceux qui échappèrent aux massacres se dispersèrent dans l’immensité du Congo. Arrivé au pouvoir, Laurent-Désiré Kabila puis son fils Joseph tentèrent d’installer ces civils rwandais loin de la frontière de leur pays, les transportèrent dans les savanes du Katanga, mais obstinément, les exilés revinrent au Nord et au Sud Kivu. Nombre d’entre eux souhaitaient préparer la revanche et « terminer le travail », c’est-à-dire achever les Tutsis, comme en 1994. Mouvements hutus Ils s’installèrent dans les mines, dans les terres fertiles du Masisi, coupèrent les arbres du parc des Virunga ou de Kahuzi Biega pour en faire du charbon de bois. Des hommes seuls enlevèrent des femmes congolaises et les violèrent pour leur faire des enfants. Ils inculquèrent l’esprit de revanche à leurs progénitures nées au Congo, les chefs maintinrent le contact avec la diaspora rwandaise éparpillée à travers le monde. Au fil du temps, les mouvements hutus portèrent des noms différents, s’allièrent avec des opposants tutsis comme le général Kayumba Nyamwasa, exilé en Afrique du Sud qui a fondé le « Congrès national rwandais » et qui a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat. Ils gardèrent aussi quelques contacts avec des alliés français rêvant de revanche, à titre individuel. Kigali ayant plusieurs fois annoncé leur élimination, les Hutus en armes devraient se résumer à quelques poignées d’anciens combattants. En réalité, la haine des Tutsis, la soif de revanche, la détestation du régime de Kigali, voire le goût de la guerre peuvent d’autant mieux se transmettre que les forêts du Congo sont inaccessibles. En outre, dans les mines ou les forêts, nul ne s’interroge sur l’identité des creuseurs ou des motos taxis qui transportent le coltan ou le charbon de bois vers la frontière du Rwanda… A travers le monde, les Hutus en exil ont à leur tour constitué une diaspora puissante et bien organisée. Des offensives telles que celle du M23, soutenue par un Rwanda soucieux de créer une « zone de sécurité » sur sa frontière, risquent de provoquer des effets non escomptés : l’hostilité d’un grand voisin, la haine d’une population congolaise humiliée une fois de plus, et qui sera plus difficile à maîtriser qu’une poignée de revanchards… Par Colette Braeckman Journaliste au pôle International |