IRIN/PlusNews, 27 octobre 2008 Photo: Keishamaza Rukikaire/IRIN
| Georges Kanuma, président de l'Association pour le respect et les droits des homosexuels au Burundi |
BUJUMBURA - Lorsque Georges Kanuma, président d’un groupe de défense des droits des homosexuels au Burundi, a assisté à une conférence sur le VIH, en 2004, il fut surpris d’apprendre qu’il fallait utiliser des lubrifiants à base d’eau – et non à base de gelée de pétrole, qui abîment le latex composant les préservatifs- lors de rapports sexuels anaux, afin de se protéger du VIH et d'autres infections sexuellement transmissibles (IST). « Je n’avais jamais entendu parler d’une telle chose. Et si je n’en avais jamais entendu parler, je me doutais bien que la plupart des hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes [MSM en anglais] au Burundi n’en avaient pas entendu parler non plus », a dit à IRIN/PlusNews M. Kanuma, qui préside l’Association pour le respect et les droits des homosexuels (ARDHO). « Nous avions le sentiment que le VIH constituait une menace pour les hommes qui avaient des rapports sexuels avec des femmes, mais pas pour les homosexuels ».
M. Kanuma s’est rendu dans divers centres de santé et s’est entretenu avec des ONG engagées dans la lutte contre le VIH. Mais aucun de ces centres ou organismes ne disposait de lubrifiant à base d’eau. Seules quelques pharmacies en proposaient, mais à des prix prohibitifs. « C’est alors que j’ai réalisé que des mesures devaient être prises. En conséquence, l’ARDHO s’est mise à faire du porte-à-porte, afin de voir qui nous aiderait à faire venir le lubrifiant, et quelles ONG étaient prêtes à diffuser des messages de prévention destinés aux personnes séropositives », a-t-il dit. « Bon nombre d’organisations ne me croyaient pas quand je leur ai dit qu’il y avait des personnes homosexuelles au Burundi ». Contrairement à de nombreux autres pays de la région, au Burundi, les rapports sexuels entre hommes ne constituent pas une infraction selon le code pénal, mais la Constitution interdit le mariage homosexuel. Au Burundi, les personnes homosexuelles sont occasionnellement victimes d’homophobie, mais selon M. Kanuma, la plupart des Burundais ignorent que des MSM vivent au sein de leur société. L’ARDHO a été fondée en 2003, mais n’est toujours pas parvenue à obtenir un statut juridique d’ONG. L’Alliance burundaise des associations de lutte contre le sida, une coalition nationale d’ONG qui luttent contre l’épidémie, a finalement accepté de soutenir l’ARDHO et a aidé cette dernière à rédiger des propositions de financement pour des activités de prévention contre le VIH. « En 2007, une ONG, l’Association nationale de soutien aux séropositifs et sidéens [ANSS], a accepté de nous aider. Elle a obtenu des lubrifiants et des préservatifs auprès de donateurs français, qu’elle nous donne et que nous distribuons, à notre tour, aux membres de notre communauté », a-t-il expliqué. Etant donné la manière dont la population locale considère l’homosexualité, les lubrifiants et les préservatifs doivent être distribués discrètement : de nombreux hommes homosexuels appellent l’organisation et demandent que les articles soient glissés dans des enveloppes vierges, et déposés à leur bureau ou domicile par des personnes non associées à l’ARDHO. « Nous ne questionnons jamais les gens sur leur ethnicité ou leur religion avant de leur prescrire un traitement ou un autre soutien VIH. Alors pour quelles raisons devrions-nous les interroger sur leur sexualité ? », a demandé Jeanne Gapiya, fondatrice de l’ANSS et une des premières activistes de la lutte contre le VIH dans le pays. « Le problème est qu’il s’agit d’une communauté cachée, et la société refuse d’admettre qu’elle existe ». Dans le cadre de son dernier plan stratégique national, le Conseil national de lutte contre le sida (CNLS), a inscrit les MSM sur la liste des personnes vulnérables. « Nous savons qu’ils constituent un groupe marginalisé. En conséquence, nous avons commencé à les inviter à des rencontres, en passant par des ONG, mais le problème est que nous ne savons pas qui ils sont, pour la plupart, et comment nous adresser à eux », a expliqué Jean Rirangira, secrétaire exécutif par intérim du CNLS. « Ce problème ne touche pas uniquement les gays, il s’agit d’un problème auquel toute la société est confrontée. Je connais bon nombre d’hommes mariés [hétérosexuels] dans cette ville [Bujumbura, la capitale du Burundi] qui ont aussi des relations sexuelles avec des hommes. Si les gens savaient, ils seraient surpris », a commenté M. Kanuma. « Le silence est également un facteur qui nous tue », a-t-il ajouté. « Un de mes amis a souffert d’une IST pendant près d’un an, il s’était lui-même prescrit des médicaments jusqu’à ce qu’il finisse par venir à l’ANSS et reçoive un vrai diagnostic, qui lui a permis de se rétablir plus rapidement. » M. Kanuma écrit des articles pour les journaux et est invité par des stations de radio privées, afin de sensibiliser la population à la vulnérabilité des MSM, ainsi qu’aux dangers du VIH. « Durant chaque émission de radio, les auditeurs sont encouragés à poser leurs questions par téléphone et nous leur donnons également l’adresse électronique de l’ARDHO », a-t-il précisé. « Nous recevons plus de 150 courriels et autant d’appels téléphoniques – preuve qu’une plus grande information est encore nécessaire. » L’ARDHO conçoit actuellement des brochures détaillant tous les modes de transmission du VIH, dont les rapports entre hommes. Ces brochures doivent être distribuées dans les principaux centres de santé. L’ANSS prévoit également d’envoyer un médecin en dehors du Burundi, afin que ce dernier suive une formation spéciale sur les questions sanitaires relatives aux MSM. Ainsi, cette personne sera en mesure de leur prodiguer des soins de santé plus adaptés. Bien que la démarche soit lente, l’ARDHO et ses partenaires ne souhaitent pas mettre trop de pression sur les épaules du gouvernement, et préfèrent négocier depuis une plateforme de santé publique, avant de demander l’égalité devant la loi. « Nous devons faire preuve de prudence, afin de ne pas rendre la situation plus difficile pour les hommes homosexuels du Burundi », a conclu M. Kanuma. Depuis la fin des années 1990, le taux de prévalence du VIH a chuté au Burundi. Cependant, de nombreux sites de surveillance ont récemment constaté une augmentation : au mois de mai dernier, les responsables ont annoncé que le taux d’infection était passé de 3,5 pour cent en 2002, à 4,2 pour cent en 2008. [FIN] [Les informations vous sont parvenues via IRIN, un département d'informations humanitaires des Nations Unies, mais ne reflètent pas nécessairement les vues des Nations Unies ou de ses agences] |