"Aux Burundais de ne pas se laisser faire", invite la presse burkinabè
Opinion

Le Pays, 10 décembre 2014

FRAUDES ELECTORALES EN PREPARATION PAR NKURUNZIZA :

L’Eglise pourra-t-elle ramener sa brebis égarée à la raison ?

Des fins de règne commencent à se faire sentir en Afrique centrale où le vent de la révolte souffle un peu partout et sous des formes insoupçonnées. Tel est le cas du Burundi où l’Eglise a décidé de se faire entendre. Elle ne cautionne pas les bricolages qui se profilent à l’horizon, et qui pourraient aider l’actuel président Pierre Nkurunziza, à rempiler pour une troisième fois, et ce, contrairement à la Constitution.

Première force morale du pays, l’Eglise catholique du Burundi regroupe environ 60% de la population. Aujourd’hui, elle se dit inquiète, en raison des dérives observées dans l’opération d’enrôlement des électeurs. Celle-ci, en cours depuis deux semaines, vient d’être prolongée de cinq jours par la Commission électorale nationale indépendante (CENI).

Chaque peuple trouvera inéluctablement le chemin qui mène à la délivrance

Dans un message adressé dimanche dernier aux fidèles, les évêques ont dénoncé avec force les irrégularités constatées dans la distribution des cartes d’identité. Il y a en effet de quoi nuire au processus électoral ! Le cadre avait été bien choisi : la cathédrale Regina Mundi de Bujumbura, la plus grande église du pays, qui a abrité la grande messe de dimanche dernier.

Le moment aussi était opportun : comme pour donner du poids au message, tous les huit évêques du pays étaient présents. De plus, la radio nationale diffusait en direct la cérémonie aux millions de Burundais dont la ferveur religieuse est bien connue. Dans leur intervention, les évêques avaient tenu à souligner l’absence de dialogue politique et la tentative du pouvoir burundais d’exclure des opposants en instrumentalisant la justice.

Le président de la conférence des évêques catholiques du Burundi ne dissimule plus l’inquiétude qui gagne du terrain dans leurs rangs, tant se multiplient les allégations de fraudes massives dans l’enregistrement des électeurs. En effet, aussi bien les opposants que la société civile dénoncent les violations qui passent par des distributions massives de fausses cartes d’identité par le pouvoir, depuis deux semaines. Même le gouvernement et la CENI ont fini par reconnaître des irrégularités.

Comme pour conjurer le mauvais sort, les évêques burundais ont lancé un appel au « dialogue véritable ». Mais, seront-ils vraiment entendus ? On le sait déjà, en Afrique, la boulimie du pouvoir et la pression des proches et autres saprophytes empêchent les régnants de réfléchir, à fortiori de voir plus loin que le bout de leur nez. C’est donc un euphémisme de dire que du haut de son trône, le président Nkurunziza se « fout complètement » de ce que peuvent penser les évêques et tous ceux qui, comme eux, voudraient l’empêcher de se maintenir au pouvoir.

Fort heureusement, le peuple veille. Seuls ceux qui sont convaincus de son apathie et qui interprètent sa bienveillance et sa mansuétude comme étant un laisser-faire, finissent par se faire surprendre par sa furie. Certes, les contextes ne sont point les mêmes. Et cela prend toujours le temps qu’il faut. Mais partout, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Et à sa manière, chaque peuple trouvera inéluctablement le chemin qui mène à la délivrance.

Comme Blaise Compaoré du Burkina Faso, les dictateurs invétérés du continent feront donc indubitablement les frais de leurs propres turpitudes. Hasardeux et fort risqué donc, que de croire que le cataclysme ayant emporté la quatrième République au « Pays des Hommes intègres », ne trouvera pas écho ailleurs sur le continent. Une telle erreur coûtera toujours cher aux tenants de l’illusionnisme, et à ceux qui jouent au « berger » de peuples qu’ils croient avoir rendu moutons! Qu’ils continuent de dormir sur leurs certitudes.

Sans chercher à nous substituer aux peuples en lutte, nous ne doutons point que tôt ou tard, les peuples d’Afrique centrale se débarrasseront de ces timoniers du mal, qui n’ont que trop retardé leur aspiration à la liberté et au bonheur. Dans le cas d’espèce, il est certain qu’au Burundi où tour à tour les forces vives s’organisent, les jours du dictateur Pierre Nkurunziza sont quasiment comptés. En effet, fidèle à sa tradition de dire la vérité, conformément à sa vocation dans tous les pays, l’Eglise au Burundi s’est assumée. Il est vrai que la distribution des cartes est déconcertante à plus d’un titre. Elle tend en effet à favoriser celui qui est au pouvoir. Pierre Nkurunziza est déterminé à briguer un troisième mandat, mais c’est le mandat de trop.

Le peuple burundais doit prendre conscience

Le travail de l’Eglise se comprend et il faut s’en convaincre. S’agissant des élections, l’actuel chef de l’Etat du Burundi sait que les Occidentaux attachent de  l’importance aux chiffres. Il en abuse donc. Quel que soit l’adversaire, il prépare un raz-de-marée. Il pourrait bénéficier d’un score à la soviétique.

En principe, en démocratie, la voie des urnes ouvre des perspectives nouvelles et heureuses; mais pas dans les conditions que dictent les pouvoirs à vie ! Ils ne répugnent jamais à l’idée de fabriquer des scores qui les arrangent. Comme tant d’autres dictateurs autour de lui et ailleurs en Afrique, Nkurunziza restera donc longtemps au pouvoir, tant qu’il empruntera la voie des urnes. Il s’y est longtemps préparé. Le peuple burundais doit en prendre conscience.

Certes, il est le premier responsable de son destin. Mais, l’Union africaine (UA) aussi le sait : c’est un dictateur avéré qui se cramponne au pouvoir à Bujumbura. Comme dans le cas de Blaise Compaoré, il n’y a sérieusement plus rien à attendre de son énième mandat. L’inquiétude est grande car, jamais le pays n’a connu de stabilité après le départ de Pierre Buyoya. De son propre chef, Nkurunziza a rompu des accords péniblement négociés. Il a instauré une dictature qui a incontestablement amoindri les libertés démocratiques.

Le rôle de l’Eglise rappelle le « n’ayez pas peur » du défunt pape Jean Paul II, dont le rôle aura été déterminant dans l’élimination du rideau de fer et donc la libération de l’Europe de l’Est. En Afrique, le vent d’Est a aussi été salvateur. Mais, qu’elle est triste la gouvernance politique en Afrique centrale ! Dans nombre de pays, les régnants se moquent éperdument du peuple, dans le besoin et dans l’attente perpétuelle de changements qui tardent à venir.

En Afrique de l’Ouest, il existe des gouvernances issues d’élections démocratiques réelles (Sénégal, Cap Vert, Ghana, Niger, Mali etc.). En Afrique centrale par contre, l’éclaircie démocratique tarde à venir. Il faut donc espérer que bientôt, l’harmattan burkinabè soufflera sur cette partie de l’Afrique, pour en libérer les peuples. Ils ont trop longtemps été dépossédés de leur souveraineté.

Au Burundi en particulier, Nkurunziza a instrumentalisé l’ethnie. Il use aussi de la milice pour se maintenir au pouvoir, exposant ainsi le pays à des dangers réels. Au moyen des fraudes électorales s’il le faut, il cherchera à se succéder à lui-même. A moins que par miracle, l’Eglise ne parvienne à ramener sa brebis égarée à la raison ! En tout cas, elle a donné le ton. Aux Burundais de ne pas se laisser faire.

NdlR : Le Pays est un quotidien d'un groupe de presse privé du Burkina Faso