Burundi : Les tenants du pouvoir craignent de devoir rendre des comptes
Opinion

Le Soir, 8 mars 2015

Burundi : Bob Rugurika, le journaliste qui fait battre les coeurs

Le carnet de Colette Braeckman

Bujumbura,

« Lorsque j’ai été libéré, le 19 février, j’ai découvert que les gens avaient passé la nuit devant la prison, craignant que l’on me fasse disparaître. Et, alors que je m’attendais à être accueilli par quelques dizaines de militants, j’ai été stupéfait de constater que, de Bugarama jusque Bujumbura, les rues étaient noires de monde… Une telle mobilisation citoyenne pour un journaliste, voilà qui donne de la valeur à mon travail d’investigation… »

Bob Rugurika, directeur de la Radio Publique africaine, la meilleure des radios privées du Burundi, n’en revient toujours pas d’avoir suscité, après un mois de détention, l’une des plus importantes manifestations populaires de l’histoire du pays. Une mobilisation dans laquelle beaucoup ont vu un message adressé au chef de l’Etat, Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005 et qui entend se représenter pour un troisième mandat, non prévu par la Constitution, projet qui divise même sa propre majorité constituée autour du parti CNDD-FDD (Forces pour la défense de la démocratie).

Modeste, extraordinairement détendu, Bob Rugurika s’étonne de son aura au sein de l’opinion, comme s’il sous estimait l’importance des révélations qu’il « balança » en début d’année : « alors que l’assassinat, les 7 et 8 septembre 2014, de trois religieuses italiennes, âgées de 85,75 et 76 ans, égorgées dans la paroisse de Kamenge, était passé quasiment inaperçu, j’ai pu, par la suite, retrouver l’un des assassins. Cet homme m’a raconté, au micro, comment les sœurs avaient été égorgées, deux la première nuit, et la troisième assassinée par un tueur qui avait réussi à demeurer caché dans la maison !

Le tueur a expliqué aussi que les religieuses, qui venaient de rentrer du Congo, en savaient trop : elles détenaient des informations relatives aux entraînements, en territoire congolais, de miliciens Imbonerakure, dont certains se seraient fait soigner à l’hôpital de Luvungi au Sud Kivu… » Bob conclut : « tout le monde a compris qu’en me faisant arrêter parce que j’avais révélé les véritables mobiles de cet assassinat, le pouvoir avait pratiquement confirmé son implication… »

Il y a des mois en effet que la société civile burundaise dénonce la mise en place de milices « Imbonerakure » qui, pour le compte du parti au pouvoir, font régner la peur dans les campagnes et menacent tous ceux qui, en mai prochain, oseraient refuser leur voix au président sortant. Bob Rugurika, pour sa part, relève que la répression atteint désormais des niveaux inégalés : « plus de trente personnalités, dont 10 journalistes, des syndicalistes, des militants de la société civile, des défenseurs des droits de l’homme ont été mis en prison…Le numéro deux de l’OLUCOME (organisation de lutte contre la corruption) a été assassiné… C’est pire que du temps de Bagaza (homme fort du Burundi dans les années 80…) »

Alors que quatre ex-présidents (Jean-Baptiste Bagaza, Pierre Buyoya, Sylvestre Ntibantunganya et Domitien Ndayizeye) vivent tranquillement au pays après avoir cédé le pouvoir, pourquoi Pierre Nkurunziza, familièrement appelé « Pieter », refuse-t-il cette perspective ? « Les militants de son parti, qui ont longtemps mené la lutte armée, ont gardé une mentalité de guerilleros » nous explique un « Bashingantahe » (sage) qui tient à demeurer anonyme « ils ont quitté la forêt mais la forêt ne les a pas quittés. En outre le niveau de corruption, d’enrichissement individuel a atteint des sommets et les tenants du pouvoir craignent de devoir rendre des comptes… »

Alors que, d’ici un mois, le président sortant devra confirmer ou non sa candidature, la classe politique demeure divisée. L’opposition ne s’est pas mise d’accord pour présenter un candidat unique et le pouvoir lui-même présente des failles : le nouveau chef de la « documentation nationale (les services de sécurité) vient d’être limogé parce qu’il avait démontré combien il serait dangereux de briguer un troisième mandat tandis que Hussein Radjabu, qui avait été le charismatique fondateur du CNDD et le grand rival de Nkurunziza avant d’être jeté en prison, vient de s’évader…

Le Burundi retient son souffle car dans la forêt, des armes dorment encore et l’armée n’a pas dit son dernier mot.