Burundi : la manifestation de l'opposition n’a pas eu lieu faute de manifestants !
Opinion

@rib News, 16/04/2015

SOULAGEMENT OU SUSPENSE D’UNE MANIFESTATION AVORTÉE OU REPORTÉE

Par Gervais Marcel Cishahayo

Après douze ans d’une guerre fratricide particulièrement violente, la majorité de la population ne veut plus jouer à la roulette burundaise des années 1990s. Pendant que l’ensemble de la population retenait son souffle, la confrontation n’a heureusement pas eu lieu : la manifestation a été avortée ou reportée. Le soulagement et le suspense continuent car l’opposition n’a pas déclaré forfait et la police est toujours sur le qui-vive.

A travers les partis politiques de l’opposition et les organisations de la société civile, les burundais se sont exprimés clairement contre une éventuelle candidature du président à un troisième mandat forcé en violation des Accords d’Arusha et de la Constitution.

Pendant des années, certains partenaires du Burundi ont soutenu à bout de bras le pouvoir du CNDD-FDD et entretenu un discours apaisant, complaisant et même complice surtout lorsque des crimes d’assassinats, de violations grossières de droits élémentaires des citoyens, de corruption et de malversation économiques étaient décriées. Sur le plan politique, alors que le parti au pouvoir fait sa propagande et campagne, y compris, avec les moyens de l’état, des leaders et membres de certains partis de l’opposition et de la société civile sont systématiquement persécutés et exclus de la participation citoyenne et surtout de la compétition électorale.

Quoique relativement tardives, les déclarations implicites ou explicites en faveur du respect des Accords d’Arusha, de la Constitution et du caractère inclusif des élections ont été accueillies avec soulagement par l’opposition et la société civile qui ont du mal à gérer une évolution et un retournement de la situation en leur faveur.

Pour des raisons ouvertes aux interprétations les plus diverses, les appels à la manifestation par une poignée de partis de l’opposition et de la société civile dans une moindre mesure, auxquels s’étaient joints des membres récemment expulsés du parti au pouvoir, n’ont pas été suivis.

Pendant que l’ensemble de la population retenait son souffle, la confrontation attendue n’a heureusement pas eu lieu : l’opposition et la police se sont livrées à un entrainement au jeu de cache-cache d’une manifestation avortée ou reportée.  Comme dans un scénario où il n’y a pas de guerre faute de combattants, l’ensemble de la population a retenu son souffle : la manifestation n’a pas eu lieu faute de manifestants !

Cette manifestation avortée pour les uns ou reportée pour les autres a surtout le mérite de mettre en évidence une fois de plus, d’une part la force réelle des différents partis de l’opposition et d’autre part la vulnérabilité du parti au pouvoir sur la défensive avec des réflexes de recours des méthodes répressives. Le soulagement et le suspense continuent car l’opposition n’a pas déclaré forfait et la police est toujours sur le qui-vive. Mais vraisemblablement, après 12 ans d’une guerre fratricide particulièrement violente, la majorité de la population ne veut plus jouer à la roulette burundaise des années 1990s, du moins pour le moment.

Le pouvoir aurait ainsi évité une mauvaise publicité supplémentaire à laquelle il semble habitué. Mais loin d’être une source quelconque de satisfaction par défaut, le fait que la manifestation n’ait pas eu lieu devrait plutôt inquiéter davantage le pouvoir du CNDD-FDD, ou ce qui en reste après la suspension et la radiation des uns et des autres de ses membres à la veille des élections. En plus de la crise interne, le parti au pouvoir ne se fait aucune illusion : Il connaît ses compétiteurs les plus redoutables. A moins de souffrir d’une courte mémoire, il n’a pas encore oublié par exemple les foules qui ont investi les rues de la capitale lors de (1) la réapparition de Rwasa après des années d’absence sur la scène politique et de la tentative avortée à la dernière minute de monter des procès contre lui afin de l’éliminer de la compétition; (2) la sortie de prison de Pierre Claver Mbonimpa et de Bob Rugurika sous les pressions internes et externes avoisinant l’humiliation diplomatique.

Jamais un pouvoir n’avait fait l’objet d’autant d’attention et de visites préventives de la part des partenaires régionaux et internationaux. Désormais, le paysage juridique national, régional et international a évolué dans le sens de la dissuasion et d’une mitigation de la tentation jadis facile, de dividendes matériels et politiques des violences. Les instigateurs et les auteurs de violences sont avertis : l’impunité dont ils pouvaient facilement jouir au niveau national a des limites car le spectre de mécanismes de justice auxquels ils peuvent être soumis s’étend désormais au niveau régional et international.

Comme si les dégâts causés par le triple assassinat des missionnaires italiennes en plus d’autres dossiers notamment de sang, de persécution, de corruption et malversations économiques n’étaient pas suffisants, le pouvoir est de plus en plus sur la défensive et doit accommoder dans ses rangs une majorité qui se réfugie dans un silence désapprobateur et des ventriotes opportunistes qui ne sont pas nécessairement disposés à assumer la responsabilité de crimes ou de bavures où ils peuvent n’avoir été que des exécutants, des spectateurs ou même des accessoires de circonstance. L’arrogance et l’extravagance

Tandis qu’un nombre important des apparatchiks au sein du pouvoir sont des transfuges, des « pentiti » ou des produits de la transhumance politique en provenance d’autres partis et mouvements politiques ou armés antérieurs au CNDD-FDD lui-même, les citoyens semblent avoir une meilleure mémoire d’une longue guerre fratricide. Ils sont devenus allergiques à l’arrogance, l’extravagance des dirigeants quels qu’ils soient et surtout réticents envers le sacrifice forcé ; ils pourraient donc encore une fois le moment venu, réserver des surprises amères à la classe politique.

A propos de l’auteur

 Gervais Marcel Cishahayo est un membre de la diaspora burundaise depuis les années 1970s et établi à Malte, UE. Professeur, consultant sur les questions relatives à l’éducation, la géophysique, les NTICs, la diplomatie et les relations internationales, il est l’auteur d’articles d’analyses et de contributions diverses dans les médias sur l’immigration, la sécurité et l’intégration régionale. Avocat de la bonne gouvernance démocratique bien connu des milieux politiques et académiques et n’ayant jamais adhéré officiellement à aucun parti politique depuis les années 1980s, il est l’auteur d’une thèse d’analyse de la dimension de la sécurité de la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL) présentée à l’Académie Méditerranéenne d’Etudes Diplomatiques de l’Université de Malte.