Le compromis démocratique
Opinion

@rib News, 08/09/3009

Mbonimpa MelchiorPar Melchior Mbonimpa

On peut dire qu’en ces temps-ci au Burundi, la liberté d’expression fait carrière. Comme jamais auparavant, une foule de citoyens exercent leur droit de prise de parole,  notamment dans les sites d’information sur le pays à l’Internet. Beaucoup d’entre eux dénoncent les dérives des puissants tandis que d’autres ripostent en défendant le bilan du pouvoir en place.

De temps en temps, certains s’étonnent d’entendre tous les camps en présence utiliser systématiquement l’expression « le parti au pouvoir ». Les uns mobilisent l’expression pour revendiquer la légitimité des urnes tandis que leurs détracteurs y ont recours pour désigner la cible sur laquelle ils tirent à boulets rouges. C’est de bonne guerre, mais il me semble que cette expression relève d’un abus de langage. Depuis quatre ans, au Burundi, le pouvoir est tellement partagé qu’il n’y a ni parti au pouvoir au singulier, ni opposition à proprement parler.

Des voix se sont élevées pour affirmer que ce régime de compromis est une aberration. Mais constatons qu’ailleurs dans le monde, et pas dans de petits pays insignifiants, on voit des chefs d’États élus avec une majorité indiscutable, confier des fonctions décisives à des personnalités de l’opposition. Nicolas Sarkozy l’a fait en France et Barack Obama l’a imité.

Au Burundi, une fracture nette entre les vainqueurs et les vaincus à l’issue des élections qui approchent n’est pas à souhaiter. Le meilleur scénario serait celui d’une chambre basse capable d’un minimum d’indépendance à l’égard de l’exécutif au lieu d’être sa caisse de résonnance. Pour le moment, j’entends dire que seul le Sénat a été parfois capable de limiter l’arbitraire de l’exécutif.

Pour que le Burundi soit gouverné de manière saine dans le quinquennat qui vient, il faudrait qu’aucun parti n’obtienne à lui tout seul la majorité des sièges aux législatives. Cela ne signifie pas qu’on serait condamné à former un gouvernement minoritaire comme actuellement au Canada.

Au Burundi, les réflexes démocratiques ne sont pas encore suffisamment enracinés pour permettre à un gouvernement minoritaire de fonctionner. Il faudrait plutôt un gouvernement de coalition qui pratiquerait systématiquement la négociation. Ce serait donc une bonne nouvelle si les urnes accouchaient d’un tel résultat, rendant inévitable le compromis démocratique que les accords d’Arusha avaient imposé au régime de transition.

Je sais qu’aucun parti important ne fera campagne en privilégiant une telle logique. Ce serait se tirer dans le pied. Tout grand parti fait campagne en visant la victoire : rien de moins. Mais n’étant stratège d’aucun parti, je me permets de dessiner un paysage des souhaits qui ne correspond probablement pas à celui des grands acteurs dans la compétition qui s’annonce.

Il faut toutefois garder en mémoire, que le plus grand acteur est celui  dont dépendra le verdict : l’électeur ! C’est lui que je mets au cœur du paysage que je viens de peindre, et qui pourrait se révéler utopique, dérisoire. Je pourrais effectivement avoir « tout faux », mais le risque de se tromper et d’être contredit par les événements ne nous dispense pas de l’effort et de l’honneur de penser.

En attendant, je joins ma voix à tous ceux qui se sont déjà exprimés, parfois avec inquiétude, à propos de la nécessité d’un déroulement libre et pacifique des élections à tous les échelons. Mais plutôt que de céder à l’inquiétude, je préfère suggérer à ceux qui sont pointés du doigt un défi à relever : Faites taire les pessimistes ou prophètes de malheur! Abstenez-vous de verser de l’huile sur le feu ou d’ajouter de l’eau au moulin d’une polémique stérile. Laissez se reconstituer un consensus sur la loi électorale, et finalement, efforcez-vous de faire confiance à la CENI plutôt que de la soupçonner de planifier la victoire de je ne sais quelles forces occultes.

Un dernier point : À l’approche des élections, d’aucuns critiquent de plus en plus une instrumentalisation politicienne de la religion. Je ne suis pas certain si les grands rassemblements religieux qui ont fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours, sont motivés par le pur calcul électoraliste ou par une réelle conviction. Je ne crois pas qu’il faille ranimer la guerre anti-religieuse que Bagaza perdit il y a vingt ans. Il faut constater que le Burundi est un pays hyper-religieux, et que, dans certains contextes, religion et politique peuvent faire bon ménage.

Ainsi, dans la chute du communisme en Pologne, puis dans le reste de l’empire soviétique, la religion fut un facteur crucial. Par contre, il en va de la religion comme des médicaments : il vaut mieux en consommer avec modération ! Je ferais remarquer au passage que le président Juvénal Habyalimana et sa famille jouèrent à fond cette carte, notamment en rejoignant les foules qui s’extasiaient devant les apparitions et les miracles de « la Vierge de Kibeho ». Je tiens cette immense distraction pour l’une des causes de son échec définitif.

Melchior Mbonimpa

Université de Sudbury

Canada