"Baranyanka confond régime monarchique et régime présidentiel constitutionnel"
Opinion

@rib News, 29/09/2009

REPONSE A L’ARTICLE DU MUGANWA CHARLES BARANYANKA AU SUJET DE L’ABSENCE DE PIERRE NKURUNZIZA AUX OBSEQUES DES SOLDATS TUES EN SOMALIE.

1. Après la lecture de l’article paru sur le site www.arib.info en date du 25 septembre 2009 et signé par le Muganwa Charles Baranyanka au sujet de l’absence du Président de la république aux obsèques des soldats tués en Somalie, j’ai ressenti comme un devoir moral d’y répondre pour le motif principal que l’article risque de perpétuer une confusion entre la gestion d’un mandat politique de Président de la république dans un Etat moderne qui est soumise à un contrôle de la constitution et la gestion d’une Monarchie qui est dictée par le bon vouloir ou la magnanimité du Roi et dont le pouvoir n’est pas organisé par une constitution écrite ou coutumière.

2.       Cette confusion est d’autant plus significative dans l’article de son altesse le Prince Charles Baranyanka qu’il ne parvient pas tout au long de son article à trouver une excuse ou un motif valable qui justifierait l’absence du Président de la république à ces obsèques nationales. Ce qui est révoltant dans cet article, ce n’est pas qu’il essaye de trouver une excuse pour cette absence injustifiée, mais c’est qu’il semble vouloir donner raison au Chef de l’Etat et même l’encourager à adopter la même attitude aussi longtemps qu’il aura daigné « envoyer une délégation de hautes autorités militaires et civiles rendre les honneurs à nos héros morts en services commandés, nous ne pouvons qu’applaudir ».

3. Je tiens tout d’abord à préciser que la rédaction de cette réponse n’a pas été dictée par le scandale provoqué par l’absence du Président de la république aux obsèques des militaires succombés sur le sol somalien. Le Président de la république nous a habitué à des scandales les plus divers dont la gravité et l’importance se distinguent les unes des autres à tel enseigne que le scandale de l’absence aux obsèques pourrait être considéré comme un scandale d’une moindre importance par rapport à d’autres scandales dont les plus importants sont la complicité dans  l’assassinat de plus de 30 personnes à Muyinga et l’aide à la fuite du suspect principal dans l’exécution de ce crime, la complicité dans la torture d’un ancien Vice-président de la république, etc. sans parler des nombreux scandales financiers qui risquent de mettre le pays en faillite.

Ce qui est, par contre, extrêmement inquiétant, c’est qu’il y ait des burundais qui osent justifier l’injustifiable, soit pour des motifs que nous ignorons, soit probablement de bonne foi.

4.       C’est donc parce que j’espère que l’analyse que le Prince Baranyanka a produit  est dictée par la bonne foi que j’ai accepté de consacrer une partie de mon temps à rédiger cette réponse. Toute la confusion résulte du fait que le Prince a une conception monarchique du pouvoir qui trouve sa source dans la théorie ancienne de l’origine du pouvoir monarchique où le futur roi détenait son pouvoir par la volonté de Dieu IMANA, par la mise dans sa main de la graine du pouvoir lors de sa naissance. Vue sous cet angle, le Roi qui est effectivement SEBARUNDI, n’a pas de compte à rendre à la population puisque son pouvoir n’est pas temporel mais spirituel et par conséquent il agit comme bon lui semble. C’est vrai que la gestion du pouvoir monarchique était basée sur des valeurs et principes qui guidaient son action : SEBARUNDI, RUTUNGABORO, NTA MWANA N’IKINONO etc…

5.       Par contre, en voulant transposer ces valeurs et principes qui guidaient la conception monarchique du pouvoir dans la conception républicaine du pouvoir, il commet une erreur d’appréciation et de jugement préjudiciable à toutes les générations futures parce que le mandat qu’assume le Président de la république ne provient pas de la volonté divine mais celui-ci provient de la constitution, qui est la loi fondamentale qui définit les droits et libertés des citoyens, l’organisation et la séparation des pouvoirs (exécutif, parlementaire et judiciaire) ainsi que les élections. La loi fondamentale (Constitution) détermine les fonctions du Président de la République en tant que détenteur du pouvoir exécutif et toutes les obligations ou les devoirs auxquels il est astreint. Je vais vous donner un exemple : ceux qui ont toujours une conception monarchique du pouvoir diront souvent que le Président de la république, en décidant l’accès pour tous aux soins médicaux primaires, a fait preuve d’une magnanimité et qu’il faudrait applaudir (GUKOMA AMASHI) cet acte. Par contre, je vous dirai que, sous une conception républicaine du pouvoir, il n’y a rien de plus normal que le Président fasse respecter la constitution conformément à l’article 106 et  à l’article 55 de la constitution qui prévoit que « toute personne a le droit d’accéder aux soins médicaux. » Ce droit est un droit constitutionnel et le Président de la république a le devoir de faire respecter cette constitution et de l’appliquer à la lettre. En contrepartie, il bénéficie des avantages et émoluments déterminés par la loi. On ne doit pas l’applaudir pour autant. Pourquoi le Muganwa doit se sentir dans l’obligation d’applaudir les actions que le président entreprend ? Dans une démocratie, le président est élu en fonction d’un programme politique, et son action sera appréciée en fonction du programme qu’il s’est fixé.

6.       Pour ce qui est du cas spécifique des obsèques rendues aux militaires morts dans l’exercice de leurs fonctions, le Président de la république en vertu de l’article 110 de la constitution est le Commandant en chef des corps de défense et de sécurité. A ce titre, il a l’obligation de participer aux obsèques des militaires qui sont tombés sur le champ de bataille ou en mission de rétablissement de la paix. Cette obligation trouve sa source légale dans la fonction de Commandant en chef des corps de défense et de sécurité et dans l’obligation prescrite par la constitution en son article 247 qui stipule que « les corps de défense et de sécurité développent en leur sein une culture non discriminatoire, non ethniste et non sexiste ». Le Commandant en chef de ce corps doit éviter que ses actes ou omissions soient interprétés comme ayant l’objet de dénigrer ou favoriser une ethnie par rapport à une autre au sein de ce même corps.

7.       La disparition d’un militaire qui meurt sur le champ de bataille ne pourrait pas être considérée de la même manière que la mort d’un diplomate en fonction ou la mort d’un médecin tué par un virus dans l’exercice de ses fonctions. Certes, ces morts s’équivalent mais elles ne se ressemblent pas en vertu des honneurs qui sont dus, par les usages et les règlements militaires en vigueur, aux militaires qui meurent en action. Ces usages et pratiques ne sont pas propres à l’armée Burundaise, ils revêtent un caractère international qui se manifeste dans toutes les armées du monde : chaque fois qu’un militaire tombe sur le champ de bataille il a droit à des obsèques particulières : le drapeau national qui recouvre son cercueil, les honneurs militaires et des coups de canon ou une musique de clairon selon le grade du disparu pour la circonstance. Le défunt militaire a droit à cette reconnaissance particulière de la part des plus hautes autorités de ce corps et ce geste de reconnaissance pour l’ultime sacrifice d’avoir payé de sa vie pour accomplir la mission pour laquelle il s’était donné volontairement. Par contre, le Président de la république n’a pas d’obligation constitutionnelle d’assister aux obsèques de citoyens morts dans l’exercice de leur fonction. Il n’a qu’un devoir moral qu’il lui appartient d’exercer en fonction de ses priorités et du temps libre et de la disponibilité de son agenda.

8.       Si donc le Commandant en chef des corps de défense et de sécurité doit accomplir son obligation d’être présent aux obsèques des militaires, il n’est pas tenu à une obligation de résultat mais de moyen. Du fait qu’il assure en même temps les fonctions de Président de la république, il est toujours possible que le Président soit pris par des engagements plus importants ou que son agenda chargé ne lui permette pas d’assister à ces obsèques. Je n’ai jusqu'à présent pas encore reçu d’explication valable justifiant l’absence du président à ces obsèques nationales.  L’explication du Muganwa ne nous éclaire pas du tout, au contraire son explication a tendance à confondre les devoirs du Président en acte de charité que le Président est loisible d’accomplir selon son bon vouloir comme à l’époque de la monarchie.  Si le Muganwa estime que par le fait « d’envoyer une délégation de hautes autorités militaires et civiles rendre les honneurs à nos héros morts en services commandés, nous ne pouvons qu’applaudir », il commet une erreur  d’appréciation des obligations auxquelles le comandant suprême des corps de défense et de sécurité doit s’astreindre et le devoir moral qu’il a, en tant que Président de la république, d’assister aux obsèques de citoyens qui meurent dans l’exercice de leurs fonctions.

9.       En conclusion, le Muganwa Baranyanka commet une erreur parce qu’il confond deux régimes constitutionnellement différents : le régime monarchique et le régime présidentiel constitutionnel. Ensuite, il affirme sans aucune preuve que le Président de la république a envoyé une délégation  pour le représenter à ces obsèques. Je n’ai aucune information à ce sujet et par conséquent je suis convaincu que ceux qui s’y sont rendus, en l’occurrence le Ministre de la défense, s’y est rendu en tant que Ministre de la défense et non sur ordre de mission du Président de la république. Comment alors pourrait-il expliquer que suite au deuil national décrété par le Gouvernement, tous les drapeaux aient été mis en berne sauf évidemment le drapeau de la présidence de la république ?

10.     Enfin, en admettant même la conception du pouvoir monarchique que le Muganwa tente tant bien que mal de défendre afin de justifier l’absence du président de la république à ces obsèques, il est extrêmement difficile de pouvoir accréditer les valeurs de SEBARUNDI, RUTUNGABORO à un Président comme Pierre Nkurunziza lorsque nous connaissons tous les manquements, tous les crimes politiques et financiers qui sont à sa charge. Il peut continuer à laver les pieds de chacun des 7 millions de burundais pour faire amende honorable, il ne pourra pas faire effacer les crimes horribles dont il s’est rendu coupable avant et durant sa gestion au pouvoir. Par conséquent, son déplacement aux obsèques des travailleurs qui sont morts suite à l’effondrement de l’immeuble de la permanence nationale du CNDD-FDD en construction à Gitega et son absence aux obsèques des militaires morts sur le champs de bataille seront toujours interprétés le premier comme étant un acte politique de propagande et de campagne électorale et le second comme étant un manquement grave à ses obligations constitutionnelles.

Maître Pacelli Ndikumana, sé