Burundi : "il faut que Nkurunziza parte pour clore un chapitre dans le pays"
Opinion

Le Monde, 27.05.2015

Pour un devoir d’irrévérence en Afrique

Pierre Nkurunziza a-t-il le droit de demander encore la confiance du peuple pour un troisième mandat qui serait contraire aux accords d’Arusha ?

Dans ce débat entre partisans et opposants du chef de file du Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD) la réponse, finalement, importe peu. Je ne suis pas un excité des limitations de mandat. Je ne fais pas partie, non plus, des personnes qui applaudissent les chefs d’Etat qui respectent les limitations constitutionnelles. Car le drame de l’Afrique c’est aussi cette propension à s’émouvoir pour des choses ordinaires de la vie.

Pour Nkurunziza, même si la constitution lui permettait de briguer un nouveau bail, son bilan et l’intérêt d’un pays encore en convalescence politique et sociale, lui interdisent moralement de se représenter.

A ce sujet, le modèle fut le mandat unique post apartheid de Nelson Mandela. Mais l’irresponsabilité du président burundais n’a d’égal qu’à son incompétence à apporter en deux mandats une amélioration concrète des conditions de vie de ses compatriotes.

Dans la contestation qui s’est organisée contre la supposée forfaiture de Nkurunziza, j’admire particulièrement le devoir d’irrévérence qui prévaut au Burundi ; devoir qui semble devenir une intéressante nouvelle posture au sein de la jeunesse africaine. Cette responsabilité assumée d’exiger la fin d’un régime pour permettre la respiration de la démocratie malgré la féroce répression policière.

Le « Dégage » qui a prévalu au Maghreb durant le printemps arabe a trouvé résonance en Afrique subsaharienne. Le 23 juin 2011, c’est une jeunesse sénégalaise qui s’est résolue à annihiler les velléités monarchiques d’Abdoulaye Wade.

Inspiré par ses parrains de Y’en a marre, le Balai citoyen a été à l’avant-garde de la vague qui a poussé opportunément Blaise Compaoré à une retraite méritée en Côte d’Ivoire. Des répliques de ces séismes juvéniles seront notées ailleurs tant que les élites politiques africaines resteront sourdes aux interpellations de leurs jeunesses.

Le marqueur de notre génération doit être cette exigence démocratique qui insuffle l’énergie et la rage de défendre quelque chose de finalement très abstrait. L’exercice suprême de la citoyenneté est l’acharnement à défendre des principes moraux qui définissent et garantissent une communauté de destin.

Plus seulement des émeutes de la faim : les mouvements exigeant le respect d’un « bout de papier » qui est le socle commun d’une nation se généralisent. En démocratie, il faut se situer clairement dans le camp des maximalistes. On ne transige pas avec le contrat social qui lie le dépositaire d’un mandat électif à ceux dont il est supposé servir les intérêts.

A l’ère du Web 2.0, de la circulation fulgurante de l’information et de l’existence d’exemples de réussites démocratiques ailleurs, il serait désastreux pour les politiques africains de vouloir encore regarder leurs pays avec le prisme du passé.

La jeunesse africaine n’a plus le droit à l’indifférence dans les affaires publiques, elle a, bien au contraire, un devoir d’irrévérence vis-à-vis de ses aînés dont l’héritage politique et économique n’est guère tout à fait remarquable, après un demi-siècle d’indépendance.

Irrévérence dans le refus des arrangements avec la démocratie. Ainsi, il faut que Nkurunziza parte pour clore un chapitre dans le pays et permettre à sa jeunesse d’avoir des perspectives d’une meilleure gouvernance en phase avec ses aspirations.

Mais il faut aussi à cette jeunesse une exigence dans les choix alternatifs. Car il faut savoir aussi préserver les acquis obtenus de haute lutte pour ne pas seulement remplacer un conservatisme par un autre.

Hamidou Anne, ancien élève de l’ENA passé par les cabinets ministériels au Sénégal, il est membre du think tank L’Afrique des Idées