Burundi : Un an plus tard, Pierre Nkurunziza a-t-il réussi son pari ?
Analyses

RTBF, 04 mai 2016

Burundi : chronique d'un échec diplomatique

 Par Damien Roulette

Un an de crise. 260 000 personnes ont fui les violences et les intimidations, quelque 3400 personnes ont été arrêtées et plus de 430 personnes auraient été tuées.

Le 25 avril 2015, le Cndd-Fdd (parti au pouvoir) annonçait la candidature officielle de Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat jugé anticonstitutionnel par l’opposition mais aussi par l’Union européenne et les Etats-Unis. Le lendemain, le 26 avril, les premières manifestations s’organisaient dans plusieurs quartiers de la capitale, Bujumbura.

Un mouvement à caractère politique - et non ethnique - prenait rapidement forme, porté par une jeunesse sans perspective d’avenir. La marmite sociale bouillait, elle allait même déborder lorsqu’un jeune homme de quinze ans était abattu de deux balles dans la tête.

Il s’appelait Jean Népomucène Komezamahoro, il n’avait pas encore de conscience politique. Sa curiosité l’avait amené en bord de route, poussé à regarder ses aînés dire non à un troisième mandat. Les forces de l’ordre avaient menacé de tirer, les manifestants ont couru. Paniqué, Komezamahoro a levé les bras au ciel. Sa simple présence dans la rue a servi de preuve "d’insurrection'' à un policier. Il est abattu de sang froid. "Komezamaharo", cela signifie "consolider la paix". Il était né en 2000, l’année de l’Accord (de paix) d’Arusha. Tout un symbole.

Un an plus tard, il ne reste qu’un vague souvenir de ce jeune homme. Il aurait pu être l’objet d’une résilience du mouvement contestataire mais il n’en a rien été. Ces jeunes de Ngagara, Musaga, Mutakura et autres quartiers contestataires de la capitale ont fui. Ou ont été tués. Ou emprisonnés. Certains témoignages évoquent un "jeunocide" à défaut d’un génocide.

Un an plus tard, les oripeaux diplomatiques pour une sortie de crise s’entassent dans les placards de l’ONU. New-York a voulu laisser la main aux organisations régionales. "Pas de néocolonialisme s’il vous plaît". L’Union africaine a embrayé, appelant la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (CEA) à soigner la poussée de fièvre burundaise. Yoweri Museveni, à la tête de l’Ouganda depuis 30 ans, postulant alors pour un quatrième mandat, est désigné pour ausculter le patient. Comble de l’ironie mais colère dans les rues de Buja. 

Un an plus tard, l’Union africaine a failli, prise en otage par une poignée de potentats. Il n’y a pas eu d’envoi de mission africaine d’interposition (la Maprobu) car les présidents de Gambie et de Guinée-Equatoriale, entre autres, ont refusé  "toute ingérence" dans des affaires nationales.

Un an plus tard, le régionalisme a failli. Yoweri Museveni était trop occupé à se faire réélire en n’hésitant pas à avoir recourt à la force. 

Un an plus tard, la répression s’est abattue au lendemain d’un coup d’État manqué. La plupart des opposants politiques ont fui. Rebelles et faucons du régime s’affrontent à coup d’assassinats ciblés. Le pays est plongé dans un conflit de basse intensité.

Un an plus tard, ni le football ni la religion – chers au président burundais - n’ont permis de solutionner la crise. Sepp Blatter avait proposé un poste à la FIFA à Pierre Nkurunziza s’il laissait tomber ses ambitions présidentielles. Et Thomas Yayi Boni, l’ex-président béninois, avait été envoyé pour rencontrer son homologue burundais dans l’idée de nouer un dialogue entre "Born Again". Tous deux ont été éconduits. 

Certes, la médiation régionale avait donné rendez-vous le 2 mai à Arusha pour relancer le dialogue mais les autorités burundaises ont posé leurs conditions. Bujumbura veut choisir les dates, le lieu et les personnes qui seront autour de la table. La médiation reprendra finalement fin mai -potentiellement le 21 - à Arusha.

Certes, l’Union européenne a suspendu sa coopération bilatérale et a opté pour quelques sanctions ciblées. Mais déjà entre ’96 et ’99, le pays avait été soumis à un embargo. Cela n’avait pas fait plier les autorités d’alors.

Certes, la Procureure générale de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, a annoncé qu’elle ouvrait un examen préliminaire sur la situation prévalant au Burundi depuis le 25 avril 2015. Mais on est encore loin d’une enquête.

Un an plus tard, Pierre Nkurunziza a réussi son pari. Les protestations se sont tues. Les Nations unies, l’Union européenne et les Etats-Unis sont bien embarrassés. La diplomatie africaine a le bec cloué. Et doucement mais sûrement, les regards se tournent vers le voisin congolais, plus important géopolitiquement et économiquement. Kinshasa est censée organiser des élections en novembre 2016. Malgré les promesses, la crainte d’assister à un glissement électoral et donc à un prolongement de la présidence de Joseph Kabila grandit.

Pour autant, la force du régime burundais ne réside pas dans ses bases, bien plus friables et instables qu’il ne veut le laisser penser. Non, sa force, c’est l’échec de la diplomatie. De Bruxelles à New-York en passant par Addis-Abeba, la faute est collective.

Comment dit-on "Dieu soit loué" en kirundi ?

Damien Roulette