Burundi/Référendum : Colère d'Elyse Ngabire, journaliste réfugiée en France
Opinion

France Culture, 17.05.2018

Burundi : "Si le oui au référendum l'emporte, Pierre Nkurunziza sera président à vie"

Entretien | Au Burundi, un référendum pourrait permettre ce jeudi au Président de rester en place jusqu'en 2034. Si elle est adoptée, la Constitution autorisera Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005, à briguer deux mandats de sept ans à partir de 2020. Colère d'Elyse Ngabire, journaliste réfugiée en France.

Un référendum constitutionnel a débuté ce matin au Burundi sur la révision de la durée du mandat présidentiel. Cela offrirait au président Pierre Nkurunziza, âgé de 54 ans et arrivé au pouvoir en 2005, un "boulevard", jusqu'en 2034... La société civile et l'opposition en exil le craignent (et cela fait peu de doute). Et si le "oui" l'emporte, le pays pourrait à nouveau s'enflammer, treize ans après la guerre civile qui avait fait des milliers de morts d'octobre 1993 à août 2005. Entretien avec Elyse Ngabire, journaliste réfugiée en France depuis 2015.

Quel résultat attendez-vous du vote des 4 800 000 électeurs burundais appelés aux urnes ?

Je sais que le peuple burundais va dire non, mais le président fera tout pour que le "oui" l’emporte sur le "non". Et si le "oui" l’emporte, ce dont je ne doute pas, Nkurunziza sera président à vie. Je suis très en colère que la communauté internationale, que les Nations unies laissent un boulevard à un président qui "tue son peuple".

Comment expliquez-vous qu’il n’y ait aucune condamnation du Conseil de Sécurité ?

C’est dû aux intérêts de certains pays membres à l’instar de la Russie et de la Chine. Ils ont un droit de veto et on connaît les relations qui unissent le Burundi et ces deux pays. Le Burundi est un pays où il y a des minerais. Cela ne m’étonne pas qu’aujourd’hui la Russie et la Chine veuillent s’impliquer dans la gestion du pouvoir à Bujumbura parce qu’ils ont des intérêts là-bas. Mais les intérêts de ces pays ne peuvent pas dépasser les intérêts du peuple qui est sur ce même sol.

Chaque jour, des gens sont assassinés, aucune nuit ne passe sans qu’il y ait un mort. Nous disons à ces pays : si cela devait se passer chez eux, qu’ils comprennent notre souffrance, à quel point on n’en peut plus. Nous sommes révoltés.

Si le "non" gagne, que peut-il se passer ?

Je suis pessimiste, le "non" ne peut pas gagner au Burundi. Avec le système de Nkurunziza, il n’y aura même pas de comptage des voix.

Le OUI a gagné d’avance, il va l’emporter sur le "non" et avec le nouveau référendum, Nkurunziza va se représenter en 2020, et il ira jusqu’en 2027 et en 2027, il aura encore l’occasion de se faire réélire pour la deuxième fois et il ira jusqu’en 2034. Je ne doute pas qu’il soit parti pour être président à vie.

Un mot sur la France : a-t-elle un rôle particulier à jouer ?

C’est dommage qu’on n’ait pas entendu depuis toutes ces années de crise la voix de la France. On n'a jamais entendu la France s’exprimer sur ce qu'il se passe au Burundi. Et pourtant il y a des relations linguistiques : le Burundi est un pays francophone quand même, entouré par des pays anglophones ! Ne fut-ce que pour préserver ce pays de l’Afrique de l’Est qui reste francophone, il fallait de toutes les façons user du droit pour faire pression sur ce gouvernement afin qu’il accepte de continuer le dialogue avec les opposants, afin de sortir de cette crise qui n’a que trop duré.

Pourquoi ne le fait elle pas ?

Je ne saurai pas vous dire. Peut être par intérêts diplomatiques…

Par Valérie Crova