Les victimes du génocide de 1972 au Burundi se racontent
Opinion

@rib News, 30/04/2010

Hommage à Gérard Ndayavurwa : Mort en 1972, Décédé en 2008

Par Emmanuel Manirakiza - Canada

C’était au courant du mois de mai 1972, alors qu’il était dans sa classe de 6ème, à l’école primaire de Ndagano, en pleine leçon avec ses élèves, la porte s’ouvrit et une voix s’écria: “Vous devez être Gérard Ndayavurwa?” Et toute la classe sursauta… Oui, …il y a un problème?... Sous la stupeur de ses élèves, trois gendarmes armes jusqu’aux dents bondirent sur lui, commencèrent à le matraquer et le jetaient dans un camion militaire déjà superchargé d’autres fonctionnaires, commerçants et paysans Hutu du coin. Quelques heures plus tard vers la tombée de la nuit, tous sans exception aucune, sans procès ni autre procédure, devraient être fusillés à bout portant.

Gérard avait été  arrêté deux semaines auparavant mais il s’en était plutôt bien sorti sur intervention de l’abbé Gérard Nzeyimana, recteur du séminaire de Buta d’alors. Un certain Kirima, voisin et chef de secteur à l’époque, s’était introduit chez nous et l’avait conduit à “l’abattoir” de Muzenga, en compagnie de son petit frère Gaspard. Mes deux grandes sœurs, militantes éclairées de la Chiro, avaient accouru pour informer l’abbé Gérard à Buta. Sans poser d’autres questions, celui-ci était vite monté sur sa moto et les avaient retrouvés déjà attachés dans une salle à Muzenga, attendant l’heure de leur exécution. Il les avait fait libérés et cette fois-ci, ils étaient rentres saint et sauf.

Pour revenir à la fusillade dont j’évoquais plus-haut, un miracle (ou malheur diront certains) s’était produit, cette-fois ci ce n’était pas Nyanzira, ni le gros et grand militaire noir dont j’ai oublié le nom, qui devait procéder à la fusillade comme d’habitude, mais un jeune caporal, ancien élève de mon frère Gérard. Selon certains, le caporal aurait averti mon frère qu’il tirerait au dessus de sa tête, et que ce dernier devrait faire le mort.  D’autres racontent qu’il aurait tout simplement tremblé devant la silhouette de son meilleur prof et que la balle aurait raté sa cible. Tout ce qu’on sait, c’est que mon frère a fini inconscient dans une fosse commune comme tout le monde pour ne réapparaître que deux jours plus tard à la maison, tout couvert de sang et complètement débile.

Ce fut le début du calvaire pour lui-même, ses amis et toute la famille.

En effet, mon frère Gérard est devenu dès ce jour fou et a passé tout le reste de son existence (sa vie lui ayant été enlevée) comme un chien, errant partout dans le pays. Tantôt il passait des semaines à camper aux alentours de ses anciennes écoles dont l’Athénée et l’École normale de Gitega, tantôt il revenait à la maison quand il n’avait plus d’énergie pour vadrouiller ou lorsque quelqu’un lui avait fait du mal. Les anciens du séminaire de Buta doivent tous le connaitre car il a passé la majeure partie de son temps à chanter pour eux ou à faire des devoirs pour d’autres et surtout à manger dans leur poubelle.

Sa fiancée, tutsi comme la plupart de femmes des intellectuels Hutu de l’époque, est morte malheureuse, célibataire quelques années plus tard.

Et notre famille? Quel gachi! Mon père a vendu presque toutes ses vaches et une partie de notre lopin de terre pour tenter de faire soigner son fils. Ils sont allés d’hôpital en hôpital, de Kamenge à Buye, en passant par les hôpitaux de Gitega, Bukeye, jusqu’en Tanzanie pour finir dans la médecine traditionnelle à Buha. Tout cela pour rien.

Gérard est finalement décédé en Aout 2008, après tant d’années de souffrance.

Paix a son âme.

Emmanuel Manirakiza

Calgary, Alberta

Canada