Burundi : Le sport féminin à l’épreuve du poids de la tradition
Sports

PANA, 25 janvier 2019

Bujumbura, Burundi - La célébration de la Journée internationale du sport féminin a donné lieu, jeudi, à un riche débat public au cours duquel Francine Niyonsaba, première jeune fille burundaise médaillée à des jeux olympiques, a témoigné du poids de la tradition qui maintient aujourd’hui encore à l’écart des arènes sportives, nombre de ses consœurs burundaises.

Les débuts remarqués de celle qui n’a pas encore dit le dernier mot, à 25 ans, remontent au temps de l'école primaire, dans des championnats inter-scolaires d’athlétisme.

Depuis sa province natale de Ruyigi, aux confins Est du Burundi, la maman était fière des résultats inter-scolaires de sa fille et l’encourageait à aller de l’avant, contrairement au monde extérieur qui la prenait pour «une folle» par simple conservatisme.

Au Burundi, les mœurs tolèrent aujourd’hui encore difficilement le port de la culotte ou du pantalon chez une jeune fille «bien élevée» en milieu rural.

Parmi ses motivations, Mme Niyonsaba cite la «grande pauvreté matérielle» de la famille qu’il fallait vaincre par tous les moyens, «à commencer par ce que je savais mieux faire : courir».

Et « quand on progresse, on se fait finalement remarquer et admirer », ce qui fut le cas, d’abord à l'occasion des championnats d'Afrique 2012, à Porto-Novo (Bénin) où elle a remporté le titre continental alors qu'elle était totalement inconnue du grand public, encensait la presse internationale d’alors.

Plus récemment encore, le 3 mars 2018, Francine Niyonsaba a conservé son titre du 800 mètres aux championnats du monde en salle de Birmingham (Angleterre) grâce à la meilleure performance mondiale de l'année (1 min 58 s 31), rappelle-t-on.

La popularité de Mlle Niyonsaba au Burundi n’a d’égale que celle de son compatriote, Venuste Niyongabo, une ancienne gloire de l'athlétisme, vainqueur des Jeux olympiques d'Atlanta (Etats-unis d’Amérique) en 1996 sur 5.000 mètres.

L’autre vedette de la Journée internationale du sport féminin était Mme Lydia Nsekera, première femme d’Afrique à diriger une Fédération nationale de Football.

L’actuelle présidente du Comité national olympique (CNO) est également membre du Comité international olympique depuis 2009.

En 2012, elle a encore gravi les échelons des instances dirigeantes du sport mondial en devenant la première femme membre du comité exécutif de la FIFA.

« Les jeunes filles burundaises peuvent aller loin dans le sport, à condition qu’elles aient  confiance en elles », a-t-elle encouragé ses concitoyennes.

Mme Nsekera a ouvert une fenêtre sur le monde extérieur pour rappeler que 42% des athlètes qui ont participé aux jeux olympiques de 2016 (Rio de Janeiro, au Brésil) étaient des femmes, contre 34% en 1996 (Atlanta, Etats-unis), « ce qui nous rapproche résolument de la  parité avec les hommes ».

Au niveau du comité international olympique, les femmes sont représentées dans des postes de responsabilités à hauteur de seulement 6%, a-t-elle, par contre, déploré.

Pour ce qui est du Burundi, les chiffres sont encore moins brillants, a illustré pour sa part, la chargée du sport féminin au Comité national olympique, Mme Circoncie Nahimana.

Quelque 3.703 hommes sont affiliés aux 24 fédérations sportives nationales, contre seulement 2.301 femmes, soit 16.10% de l’ensemble des effectifs, a-t-elle indiqué, citant une récente enquête du CNO.

Au niveau des directions techniques des différentes fédérations, on retrouve 626 hommes responsables, contre 72 femmes, soit 11,50% des effectifs.

La responsable du sport féminin au Comité national olympique a encore fait état d’un grand écart de 385 arbitres qui sont de sexe masculin, contre seulement 76 femmes.

Dans l’administration du sport au Burundi, on retrouve un autre déséquilibre flagrant de 102 hommes responsables, contre 31 femmes, soit 30,39% d’écart entre les deux sexes, selon la même source.

Une autre présence remarquée au débat du jour a été celle de la présidente de l’Association des journalistes des sports au Burundi (AJSB), Mme Liliane Nshimirimana.

Les inégalités sont, là aussi, criardes, à en juger par les chiffres qui font état d’un effectif de 98 journalistes sportifs que compte l’AJSB, dont seulement 10 femmes.

Du côté des pouvoirs publics, le responsable du département chargé du sport d’élite au ministère de la Jeunesse et des Sports, Laurent Nzeyimana, a fait état d’une politique gouvernementale visant la détection et la promotion de tous les talents jusque dans le pays profond, en collaboration avec les différentes fédérations et le Comité national olympique.

Au chapitre des recommandations, Mme Nsekera a pressé pour que toutes les fédérations se donnent les moyens d’organiser des championnats à la fois pour les hommes que pour les femmes.

L’autre idée de Mme Nsekera est qu’il faut plus de ressources humaines féminines qualifiées pour prendre en charge les jeunes talents féminins souvent réticents à se lancer à cause du phénomène diffus de « harcèlement sexuel » dans le sport.

Les parents hésitent à confier leurs enfants à des entraîneurs masculins à cause du harcèlement sexuel, a-t-elle brisé le tabou jusque-là bien gardé.

Il faut encore dynamiser les championnats inter-scolaires pour servir de tremplin et de pépinière aux futurs talents, a préconisé cette autre icône du sport féminin au Burundi.