Burundi : interdiction aux femmes et filles de sortir non accompagnées le soir
Société

La Libre Belgique17 mai 2019

Burundi : interdiction de circuler après 19h pour les femmes dans certaines communes

La presse burundaise rapporte la décision de l’administrateur de la commune de Musongati (province de Rutana, à l’est, à 160 km de Bujumbura) d’interdire aux femmes et aux filles de sortir de chez elles non accompagnées par leur conjoint légal, le soir, que ce soit pour se rendre au café ou au marché. Une mesure supposée enrayer « la prostitution et l’adultère ».

Des chefs locaux et la milice du parti au pouvoir, les Imbonerakure – responsables de nombreuses violations des droits de l’homme – sont chargés de surveiller l’application de cette décision.

Jean Damascène Arakaza, l’administrateur de Musongati n’est pas le seul à avoir imposé une décision de ce type, bien qu’elle viole l’article 22 de la Constitution, selon lequel « nul ne peut être l’objet de discrimination du fait notamment de (…) son sexe », et son article 25: « Tout être humain a droit à la liberté (…) de mouvement », rappelait Ivomo News le 11 mai dernier.

Pas de promenade avec les garçons après 18h

En effet, depuis février à Muyinga (province de Muyinga) et depuis mars à Nyabiraba (province de Bujumbura), les jeunes filles ne peuvent plus circuler dans les rues avec des garçons après 18h, pour prévenir les cas de « grossesses non désirées », selon leurs administrateurs. BurundiDaily.net rappelait cette semaine que les élèves venant de familles pauvres ont l’habitude, une fois la nuit tombée (vers 18h sous ces latitudes), d’aller étudier à un endroit où elles peuvent bénéficier de l’éclairage public, faut d’électricité à la maison. Ivomo-News interroge sur ce que peuvent faire les femmes qui rentrent tard du travail.

Ces décisions irritent les Burundaises. Or, elles apparaissent surtout comme un cache-sexe de la crise que traverse le pays depuis avril 2015, quand le président Pierre Nkurunziza a décidé d’imposer par la force sa volonté de se présenter à un troisème mandat, bien que cela soit interdit par l’Accord de paix d’Arusha, qui mit fin à la guerre civile (1993-2005). Cette crise politique a accru la misère.

Chomage record et fuite des jeunes

Le taux de chômage dans le pays atteint près des deux tiers de la population et touche même les jeunes qui ont fait des études. En janvier dernier, Ivomo-News s’interrogeait ainsi sur les raisons de 700.000 abandons scolaires en trois ans: manque de maîtres, absence de perspectives d’avenir, difficulté de trouver un emploi même quand on a fait des études.

En février 2018, le même journal avait fait une enquête – précisément à Musongati – auprès de 60 ménages: 51 d’entre eux avaient « au moins un enfant en Tanzanie », le pays voisin, où ils étaient partis dans l’espoir d’une vie meilleure ou pour gagner un peu d’argent pour eux-mêmes ou leur famille. Certains partent par goût de l’aventure, d’autres parce qu’ils y ont été poussés par des trafiquants d’êtres humains (18 dollars par adolescent vendu, selon l’enquête du journal). La paie du travailleur agricole n’atteint pourtant que 125 dollars par an – oui, oui, par an – et les jeunes gens, généralement engagés ou achetés pour travailler dans des plantations de tabac ou maïs, doivent dormir sous une pauvre tente, dans les champs, loin de tout, à la merci des maladies.

S’occuper de cette tragédie semble avoir été moins important, pour l’administrateur de Musongati, qu’interdire aux femmes de sortir le soir.

Par Marie-France Cros.