Burundi : comment prévenir un génocide ?
Droits de l'Homme

La Libre Belgique, 28 décembre 2019

Dans un récent colloque organisé à Bruxelles, à l’initiative de la communauté arménienne, sur la répression en Belgique du négationnisme des génocides, Me Bernard Maingain a évoqué la difficulté de prévenir un génocide au Burundi où un « processus génocidaire » peut être considéré comme en cours. Il est membre d’un collectif d’avocats qui défend de nombreuses victimes de la répression dans ce pays et qui a amené le dossier devant la Cour pénale internationale (CPI). La Libre Afrique.be l’a interrogé.

L’avocat belge souligne qu’alors que des « métastases » génocidaires se sont répandus, depuis 1994, du Rwanda vers les régions voisines, dont le Burundi, celui-ci est soumis depuis 2015 à un régime dictatorial qui applique une répression féroce à toute opposition, qu’elle soit hutue ou tutsie. « Mais, en même temps, le pouvoir burundais a un autre fer au feu: la question prétendument ethnique Hutu-Tutsi », pour le cas où il serait nécessaire de faire flamber cette rivalité pour rester au pouvoir.

Me Maingain a repéré de nombreux indicateurs du « processus génocidaires » et notamment l’obligation, pour les ONG, d’indiquer l’ethnie de leurs demandeurs d’emploi pour que des quotas (que n’impose pas la loi, sauf pour les fonctionnaires) soient respectés; les chants de la milice du parti présidentiel CNDD-FDD, encourageant ses membres, les Imbonerakure, à violer les femmes tutsies afin qu’elles engendrent de petits Imbonerakure; les interventions publiques de dirigeants politiques du CNDD-FDD utilisant des expressions des auteurs du génocide des Tutsis au Rwanda, comme « achever le travail » (tuer pour éradiquer cette ethnie).

En outre, la ligue de défense des Droits de l’Homme Iteka vient de signaler que des réunions d’Imbonerakure ont lieu la nuit dans la province de Karuzi (où tous les Tutsis ont été tués en 1993) pour organiser des massacres de Tutsis au cas où les élections de mai 2020 tourneraient mal.

Le Conseil de Sécurité bloqué

Face à tout cela, cependant, la communauté internationale ne fait pas grand-chose, se désole l’avocat. Le Conseil de Sécurité de l’Onu est bloqué par des vetos russe et chinois systématiques, liés au refus de Moscou et Pékin de toute éventuelle ingérence extérieure dans leurs propres affaires. « Sans compter que, bien souvent, chaque pays membre utilise le sujet du jour pour marchander sur d’autres points », souligne Bernard Maingain. On dispose donc essentiellement de rapports d’ONG signalant le risque de génocide au Burundi.

« La seule chose qui fasse peur aux dirigeants burundais, c’est la perspective d’être jugés », note Me Maingain. « Mais, devant un tribunal, les rapports d’ONG ne constituent pas une preuve. Il faut donc collecter les preuves de ce qui se passe, pour préparer le débat judiciaire – et construire la mémoire. Nous développons des systèmes d’enregistrement audio et video mais il faudrait une aide. Voilà un champ où l’Union européenne pourrait intervenir ».

Protéger les repentis

L’avocat souligne un autre enjeu: « la protection des témoins. Certains sont des victimes. Mais d’autres sont de petites mains des auteurs; ils ont eux-mêmes été co-auteurs de tortures. Pour qu’ils témoignent, il faut les exfiltrer du pays; or, ayant participé aux crimes, ils ne peuvent avoir le statut de réfugié. Les installer ailleurs ne coûterait que quelques centaines d’euros par mois mais nous n’avons pas ces budgets. Et nous avons besoin de leur témoignage pour constituer la preuve, notamment pour établir la ligne hiérarchique d’un ordre », plaide-t-il.

Me Maingain regrette que « la culture générale de la prévention n’existe pas » au niveau international. Il n’y a pas de système pour les repentis ». « De manière générale, il manque une articulation, dans les Etats, entre la répression du génocide et la répression de l’incitation à la haine raciale. Il faudrait aider les Etats à se doter de l’arsenal juridique et d’unités de gestion des risques en la matière et des pratiques déviantes. On pourrait, par exemple, créer un observatoire interrégional sur l’évolution des incitations à la haine ethnique dans les Grands lacs. Ou, au sein de l’UE, des unités soutenant les associations de la société civile locale et les avocats africains qui récoltent des preuves, protègent les témoins, aident les repentis. C’est un travail fondamental ».

Et l’avocat de conclure: « La haine ethnique est comme un cancer et il faut un travail en profondeur, sur le long terme, pour casser définitivement le cycle de haine identitaire qui traverse la région des Grands lacs ».

Entretien avec Marie-France Cros.