Elections : Appel lancé à Rwasa à revenir sur sa décision "par fidélité à Gahutu"
Opinion

@rib News, 03/06/2010

Mbonimpa MelchiorCapituler, c’est un mauvais choix

Par Melchior Mbonimpa

Il y a quelques semaines, j’écrivais ceci dans un article portant sur le demi-siècle des indépendances africaines : « […] en Afrique, on a effectivement assisté à la fin du monopartisme, et cela, aussi bien dans les pays anglophones que dans les pays francophones, mais encore une fois, la montagne a accouché d’une souris, parce que, ni les partis au pouvoir, ni ceux de l’opposition n’ont une culture démocratique suffisante pour admettre que lors d’élections libres, il y ait des gagnants et des perdants. Nous avons donc un multipartisme typiquement africain, affligé de cette curieuse infirmité intellectuelle : on organise des élections où tout le monde doit gagner ! Ceux qui perdent contestent immédiatement les résultats, quitte à provoquer des bains de sang.

Des exemples ? Pensez au désastre de la Côte d’Ivoire après Houphouët Boigny : trois présidents successifs, effrayés par le multipartisme, ont tenté de brouiller le jeu et de se rallier une majorité en agitant le concept débile de « l’ivoirité ». Comme c’était parfaitement prévisible, de cette boîte de Pandore, il n’est sorti que des calamités, car, justement, jusqu’à preuve du contraire, ivoirité rime avec calamité. Pensez également aux dernières élections au Kenya et au Zimbabwe. Dans chacun des deux pays, les adversaires politiques ont envoyé la pensée en vacances pour tabler sur un dogme insensé : « Il est impossible que mon camp soit perdant! » Une telle attitude est la meilleure recette pour provoquer l’avortement de la démocratie. Après les élections, aussi bien au Kenya qu’au Zimbabwe, il y a eu des émeutes sanglantes. Des milliers de citoyens ont péri avant la mise en place de ces absurdes « gouvernements d’union nationale » qui multiplient par zéro le résultat des urnes. »  

On n’en est pas encore là, au Burundi et j’espère bien que malgré ceux qui sont en train de nous dire que le peuple s’est trompé en votant comme il l’a fait, on n’aboutira pas à l’annulation des communales, ni à la démission de la CENI, ni aux arrangements calamiteux qui se moquent royalement de la voix du peuple. Les urnes ont parlé. Le monde était là pour observer, ainsi que les représentants de tous les partis quand se déroulait le scrutin. Avaient-ils tous les yeux fermés ? Le respect du peuple exige de déclarer hors-jeu ceux qui tentent de mettre en panne le processus démocratique en cours.

Du temps de Gahutu, j’étais membre du Palipehutu. J’ai cessé de l’être quand, après l’assassinat de son fondateur, le parti a subi la fragmentation et je ne savais plus quelle faction soutenir. Le groupe principal de ceux qui revendiquent l’héritage de Gahutu, c’est le dernier mouvement rebelle, devenu depuis peu un parti politique, et sorti deuxième des élections communales qui viennent d’avoir lieu. Un score honorable, même si Rwasa le trouve décevant.  Sa sidérante décision de retirer sa candidature aux présidentielles relève d’un manque de leadership évident. Si j’avais pu participer aux élections, j’aurais donné ma voix à ce parti, uniquement par fidélité à Gahutu. C’est pourquoi je me joins à tous ceux qui tentent de convaincre Rwasa à revenir sur sa décision, même si tous les autres du camp du retrait maintenaient leur position.

Seul Rwasa peut mettre fin à ce qui ressemble à une véritable prise en otage de la démocratie. Il doit se montrer à la hauteur de la responsabilité historique qui est la sienne en ce moment. Il n’y a pas de cause commune entre ce parti et les joueurs mineurs avec lesquels il s’associe dans une solidarité négative. Seul ce parti se rabaisse en suivant ceux qui désertent le processus démocratique par mépris pour le verdict du peuple souverain. Seul ce parti ne peut se permettre de manquer de courage et de créativité.

Ailleurs qu’au Burundi, j’ai déjà vu des élections, incontestablement libres, où un seul parti a gagné tous les sièges. Ainsi, à la fin des années quatre-vingt, au Nouveau Brunswick (une province canadienne) le parti libéral de Frank MacKenna a gouverné sans opposition pendant tout un mandat de quatre ans, parce que ses adversaires n’ont fait élire aucun député ! Or, au Burundi, nous n’en sommes même pas là. Les communales n’ont pas créé une situation de « parti unique ». Et si, au lieu de pratiquer la politique de la chaise vide, les partis de l’opposition formaient un front commun soutenant un seul candidat aux présidentielles, il se pourrait même que le score du CNDD-FDD baisse de façon significative.

Disons en conclusion que pour le FNL de Rwasa, un autre jeu est possible, un autre choix est plus que souhaitable. Ceux qui ont voté pour ce parti, et qui le feraient pour les scrutins à venir, méritent un peu plus de considération. Maintenir cet incompréhensible retrait de la candidature aux présidentielles, ce serait traiter les électeurs, le peuple qui sue, de quantité négligeable, de moins que rien! Et plus tard, ils pourraient se souvenir de cet affront en renvoyant aux oubliettes le parti qui, pour le moment, détient encore, à lui tout seul, la possibilité d’incarner une opposition solide, crédible, fondée sur le scrutin qui lui a accordé le statut, non pas de tiers parti, mais de deuxième force politique du pays, avec une très longue avance sur les suivants.